Il est 19h à Alger, le premier jour du Ramadan touche à sa fin. Dans chaque foyer, la chorba fume, symbole de chaleur, de réconfort et de tradition. À Porto, quelques heures plus tôt, le président français Emmanuel Macron a pris la parole, en direct du Portugal, pour évoquer l’état des relations entre la France et l’Algérie
Les déclarations étaient tout aussi brulantes que la soupe de Ramadan, mais dans un autre registre : un mélange de prudence, d’appels à la réconciliation, mais aussi de mises en garde. En substance : l’Algérie doit réengager un travail « de fond » sur les sujets de l’immigration et des droits de l’homme. Pas de rupture nette, mais un appel à plus de coopération, à un réajustement des relations. Voilà qui pourrait sonner comme une invitation à poser la cuillère et revenir à la table… sauf qu’à Alger, ce genre de message ne se reçoit jamais aussi tranquillement.
Un dialogue sur le fil du rasoir
La veille alors qu’il se trouve en visite officielle au Portugal, Emmanuel Macron s’est exprimé sur la relation franco-algérienne en des termes à la fois mesurés et directs. Il a appelé à « réengager un travail de fond » avec l’Algérie pour surmonter les tensions actuelles, particulièrement autour de la question de l’immigration et des droits de l’homme. À ce propos, il a souligné l’importance des accords bilatéraux, tout en mettant en garde contre les « jeux politiques » et l’usage de l’armoire à contentieux à des fins internes. La France, selon Macron, ne peut pas ignorer la question de la coopération sur les migrants, mais elle attend aussi un engagement plus fort de la part de l’Algérie sur la question des libertés et des droits humains.
Le timing, évidemment, n’est pas anodin. La France, en proie à des vagues d’attentats et de tensions internes, cherche à stabiliser sa politique migratoire, et l’Algérie reste un partenaire clé dans cette gestion. Mais la réponse algérienne, bien que modérée, n’a pas tardé à faire comprendre qu’on ne parle pas impunément du retour des « indésirables » sans que le sujet ne soit traité avec la déférence qu’il mérite.
Une rupture… de façade ?
En dépit des tensions, il y a une constante dans la relation franco-algérienne : la nécessité de maintenir un dialogue. Les deux pays, malgré leurs divergences, n’ont guère le luxe de s’ignorer. Le gaz algérien, la lutte contre le terrorisme et les enjeux migratoires font de l’Algérie un partenaire stratégique dont la France ne peut se passer. Mais, bien que les deux présidents évoquent des « avancées » et des « compromis », il est évident que la confrontation de fond sur les mémoires coloniales, les droits humains et les questions économiques sous-jacentes demeure.
Au cœur de cette tension, les accords de 1994 sur les expulsions et le contrôle migratoire sont devenus un point de friction supplémentaire. La France veut que l’Algérie accepte d’en reprendre plus largement ses ressortissants en situation irrégulière, mais l’Algérie, de son côté, réaffirme qu’il s’agit d’une question qui dépasse la simple gestion administrative et qu’elle est politisée. Le nombre d’expulsions de ces dernières années ne cesse de faire monter la pression sur le terrain.
L’éternel revient du même
Alors, cette fois-ci, y at-il une rupture, ou bien ce n’est véritablement encore qu’un autre tour de la danse des relations franco-algériennes ? La question se pose, mais la réponse semble évidente : l’histoire se répète. Les échanges sont accrochés à une corde fragile, un équilibre tenu entre tension et coopération. Après chaque crise, les deux pays se retrouvent à la table de négociation, conscients de leurs interdépendances, mais toujours figés dans une sorte de danse sans fin.
Macron parle de réconciliation, mais ses propositions restent un appel à l’action. Il insiste sur la nécessité de dépasser les rancunes et les clivages, de « tourner la page ». Mais, à Alger, on attend toujours un geste plus significatif, plus profond, un engagement plus clair sur la reconnaissance des blessures du passé.
Comme le disait Nietzsche : « L’histoire est un éternel retour : on croit avancer, mais on tourne en rond. »
Peut-être qu’un jour, la France et l’Algérie se quitteront enfin ce cercle vicieux, mais ce jour ne semble pas encore arrivé. En attendant, le vin reste tiède, la soupe brûlante, et les débats, eux, continuent sans fin.
Dr A. Boumezrag