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jeudi 6 février 2025
ActualitéDe la France en Algérie à l'Algérie en France : continuité ou discontinuité 

De la France en Algérie à l’Algérie en France : continuité ou discontinuité 

L’histoire, semble-t-il, n’aime pas les points finaux. L’Algérie, 62 ans après son indépendance, se retrouve toujours face à son passé colonial. À croire que, malgré les promesses d’une rupture radicale, la réalité semble nous rappeler qu’une fracture historique, ça se soigne rarement en un coup de plume. Le titre de cette chronique pourrait paraître simple, mais il est en réalité une question infiniment complexe : continuité ou discontinuité ?

Une indépendance qui ne signifie pas « fin de l’histoire »

Si l’Algérie a été « décolonisée » en 1962, elle n’a en aucun cas rompu les chaînes invisibles qui la lient à la France. Après tout, quelle indépendance peut se revendiquer sans une réelle coupure avec l’ancien colonisateur ? L’indépendance algérienne n’a pas été un simple acte administratif ; elle fut un combat sanglant, un cataclysme pour la France, et pourtant, plus d’un demi-siècle plus tard, les Algériens sont toujours là… en France.

Les répercussions de cette relation torturée ne se limitent pas à la mémoire collective : elles ont traversé les océans sous forme de migrations. Des millions d’Algériens, souvent relégués aux marges de la société française, sont venus « pour des raisons économiques » (si l’on peut dire) – mais en vérité, c’était tout sauf un choix. La colonisation, qui a dépouillé l’Algérie de ses ressources humaines et matérielles, continue de tourmenter les trajectoires de ceux qui y sont liés.

Parlons maintenant de cette fameuse réconciliation, toujours promise mais rarement concrétisée. C’est un peu comme la France qui nous assure que l’Algérie fait partie de son « passé », tout en refusant de véritablement affronter ce passé. Des excuses ? Non, ça attendra. Les mémoires ? Elles sont trop conflictuelles. Pourtant, chaque année, une nouvelle génération d’Algériens s’installe en France, apportant avec elle une question non résolue : « Pourquoi, après tout ce temps, la France continue-t-elle à regarder l’Algérie par le miroir ? »

La « discontinuité » s’annonçait comme une page tournée, mais voilà que la réalité fait griller les couvertures. La France dit ne plus être présente en Algérie, mais combien de fils invisibles tirent encore cette relation dans le dos des deux peuples ? Les archives sont ouvertes, les discussions sur les crimes coloniaux s’intensifient, mais ça ne semble jamais suffisant. La vérité historique doit-elle être la monnaie d’échange pour apaiser une histoire toujours vivante ?

La diaspora algérienne : héritage ou aliénation ?

Voyons les choses en face. Si la France en Algérie n’est plus qu’un souvenir douloureux pour les uns, un petit billet d’histoire pour les autres, l’Algérie en France, elle, n’a cessé de se rappeler à nous. Oui, l’immigration algérienne a donné à la France de nombreux talents, mais aussi, il faut le dire, un héritage d’injustices sociales et souvent économiques invisibles. Qui peut dire que la France a véritablement intégré l’Algérie dans son récit national, au-delà de ses besoins économiques temporaires ? Qui peut affirmer que l’Algérie a su effacer des décennies d’influence coloniale en quelques années de migration massive ?

Les banlieues françaises sont les témoins vivants de cette continuité – les enfants des exilés, parfois rejetés, souvent ignorés, mais toujours là. Ceux-ci ne s’accrochent pas aux rêves coloniaux, non, mais à une identité malmenée entre deux rives : la France et l’Algérie. Et si cette identité, bien que multiple, portait une trace indélébile ? Peut-être est-ce là la continuité que l’on n’ose pas vraiment nommer.

Et l’avenir ? Une nouvelle rupture ou un éternel recommencement ?

Alors, quelle conclusion ? Continuité ou discontinuité ? La réponse n’est pas simple. Les liens entre la France et l’Algérie sont bien plus que diplomatiques. Ils sont humains, politiques, économiques et sociaux, et l’histoire d’une nation ne se résume pas à une déclaration d’indépendance. Une fois les batailles militaires gagnées, la guerre des mémoires reste à mener. L’histoire de l’Algérie en France – celle des Algériens en France – n’est peut-être que la prolongation du passé, une guerre qui ne s’est pas encore terminée.

La discontinuité, si elle existe, reste une illusion. Et tant qu’il y aura des enfants d’immigrés algériens se battant pour une place à la table, tant qu’il y aura des mémoires non reconnues, l’histoire, en effet, continue.

Un avenir sous haute tension : la France, le « modèle républicain » et l’Algérie en héritage

On pourrait croire que tout est question de rupture : le passé colonial derrière nous, l’avenir de la France et de l’Algérie devant. Mais la réalité, souvent dérangeante, nous montre un autre visage. La France, fière de son « modèle républicain », continue de traiter l’Algérie comme un parent gênant dans son histoire, un héritage qu’on préfère ignorer ou minimiser. Les symboles d’une « Algérie ancienne » resurgissent dans des débats sur l’intégration, le voile, l’immigration, la laïcité, et autres illusions républicaines.

D’un côté, la France se veut un modèle universel d’égalité et de fraternité, de l’autre, elle cantonne ses enfants d’Algériens dans des ghettos urbains, dans les quartiers périphériques de la République, où les rêves de réussite et d’ascension sociale se heurtent à la barrière invisible du racisme institutionnalisé. Peut-on vraiment dire qu’il y a discontinuité, alors que l’État français, tout en dénonçant les dérives du colonialisme, perpétue souvent des formes de ségrégation sociale plus sournoises ? Si c’est de la continuité, c’est une continuité marquée par une profonde injustice.

L’Algérie, de son côté, n’est pas non plus épargnée par cette spirale de continuité. Dans ses propres murs, les traces de la colonisation sont encore visibles, même si elles prennent des formes nouvelles. L’armée, le FLN, le régime autoritaire, la corruption : des structures héritées de l’époque coloniale ont pris racine dans l’après-indépendance. La jeunesse algérienne, lasse de ce système figé, exprime sa colère par des manifestations comme le Hirak. Mais, au fond, n’est-ce pas aussi une forme de discontinuité avec un passé colonial que de rechercher la démocratie dans un pays qui se veut libre ? Et pourtant, dans cette quête d’une Algérie « nouvelle », la mémoire de la colonisation reste une référence incontournable.

Le retour du refoulé : la mémoire coloniale, entre déni et héritage vivant

L’une des questions essentielles reste : comment faire face à cette mémoire partagée, sans sombrer dans la victimisation ou l’oubli ? Les mémoires coloniales, françaises et algériennes, sont des entités complexes, souvent en décalage avec la réalité contemporaine. La France, en grande partie, continue de refouler ses responsabilités coloniales, trop souvent réduites à des gestes symboliques de reconnaissance. Mais ces gestes ne suffisent pas à réparer un siècle de violence. En Algérie, l’histoire de la guerre d’indépendance est en permanence réécrite pour servir les intérêts politiques du régime. Les « martyrs » de la révolution sont élevés au rang de symboles, mais leur mémoire est instrumentalisée par le pouvoir en place.

Ainsi, l’Algérie en France, cet héritage vivant et parfois lourd de la colonisation, revêt une double dimension : une mémoire refoulée, rejetée, mais aussi une mémoire résistance qui, paradoxalement, continue de lier les deux pays. La lutte pour une reconnaissance pleine et entière de cette mémoire devient alors un point de friction évident. La fracture historique entre les deux nations, loin d’être référée, reste ouverte, nourrie par l’absence de véritables réparations et de réconciliations sincères.

Un dialogue de sourds ? Vers une nouvelle lecture de l’histoire commune

Alors, peut-on espérer un jour une véritable discontinuité dans cette relation franco-algérienne ? Le doute reste permis. L’histoire nous montre que la mémoire, surtout quand elle est douloureuse, ne s’efface pas aussi facilement. Mais peut-être que cette histoire, loin d’être un simple résidu du passé, peut devenir une ressource pour construire un avenir commun, moins marquée par les rancœurs et plus orientée vers la reconnaissance mutuelle.

La France doit accepter qu’elle a laissé des cicatrices profondes sur le corps de l’Algérie, et qu’ignorer cette réalité, c’est entretenir des fractures qui ne se refermeront jamais. Quant à l’Algérie, elle doit apprendre à se détacher des fantômes du passé pour construire une nation moderne, tout en respectant son histoire. En d’autres termes, une rupture symbolique s’avère nécessaire, mais cette rupture ne doit pas ignorer l’immensité du terrain commun qu’ils ont encore à partager.

Si la France et l’Algérie souhaitent réellement tourner la page, elles abandonneront la tentation du déni et se confronter à la vérité du passé. La discontinuité n’est pas simplement un point de non-retour ; c’est une nouvelle manière de lire et de vivre cette histoire commune. L’avenir, aussi difficile soit-il à imaginer, pourrait naître dans ce dialogue sincère, si et seulement si les deux nations parviennent à accepter que l’histoire ne se dissout pas dans un simple effet de levier politique.

Alors, disons-le clairement : l’histoire continue. Et elle continue, encore et encore, tant que la France et l’Algérie ne sauront pas se regarder en face.

Dr A. Boumezrag

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