Une mère d’un détenu politique rifain : « Ni les détenus ni leurs familles n’ont demandé à être graciés ! »
La grâce fut une « surprise » pour les familles et les détenus, malgré le soulagement d’avoir retrouvé leurs proches, il reste que « la majorité des détenus n’avait rien demandé ! »
À l’occasion de la fête religieuse du « sacrifice », le roi du Maroc Mohammed VI a gracié au total 188 personnes liées au mouvement de protestataire rifain.
Une mère d’un jeune détenu de 19 ans témoigne que son fils a été condamné, en 2017, à 18 mois de prison ferme, il devrait sortir en décembre 2018. Le 20 août 2018, (Révolution du Roi et du peuple) des documents de demande de grâce ont été proposés aux détenus, mais la majorité d’entre eux a refusé, estimant qu’ils étaient innocents des accusations pour lesquelles, ils étaient arrêtés et condamnés. De surcroît les peines d’emprisonnement de la plupart d’entre eux étaient quasiment écoulées. A contrario, ceux qui avaient demandé la grâce n’ont pas été relâchés !
La maman du jeune garçon, bien que soulagée d’avoir retrouvé son fils, affirme qu’il n’avait demandé aucune grâce, mais les autorités ont décidé pour lui : « On a ordonné à mon fils de prendre ses affaires et de ficher le camp ! « dit-elle.
Cette femme et son mari n’attendaient guère la libération de leur fils. La veille, elle avait fait quelques achats, qu’elle comptait ramener à son fils détenu à la prison de Taza. Le lendemain, vers midi, le père du jeune garçon a reçu un appel de son rejeton, lui annonçant qu’il venait d’être libéré !
Pour le jeune homme, la détention était une épreuve lourde de conséquences. Sa mère témoigne de la souffrance physique et psychologique de son fils depuis son retour à la maison. Plusieurs signes montrent qu’il ne va pas bien. La maman décrit les symptômes d’un stress post-traumatique. « Mon fils se sent étouffé, perdu, traumatisé… Il ne se sent nulle part en sécurité. Son visage a pris un teint jaune et il est constamment malade. Il fait des crises d’hystérie au point de déchirer ses vêtements ! Il n’arrête pas de répéter que la police marocaine et ses sbires sont une honte et qu’ils sont capables de tout ! Il supplie tout le temps sa mère de « Ne plus laisser son petit frère sortir seul ! » témoigne sa mère désemparée.
Ce témoignage accablant nous montre que le nombre de victimes de ce pouvoir tortionnaire ne cesse de s’accroître malgré les prétendues mesures de Clémence. Tout le tapage médiatique qui a été fait autour de ces grâces n’est que grossières ficelles utilisées par le makhzen pour duper l’opinion et tenter d’inverser l’impression terriblement négative pour l’image du Maroc laissée par les lourdes sentences de juin 2018 contre les prévenus des « grands procès » de Casablanca.
Pour rappel, le noyau dur du « Hirak ». 53 personnes de ce mouvement populaire avaient été condamnés à des peines allant d’une année à et 20 ans de prison ferme. La sévérité du verdict avait suscité des réactions d’incompréhension et d’indignation sur les réseaux sociaux, suivies par quelques manifestations de protestation.
Notes:
Au Maroc, la grâce fait partie des prérogatives du Souverain. Elle peut porter sur une remise de peine, une grâce totale ou une annulation de peine. Elle peut concerner les peines de prison ou les amendes, ou encore les deux à la fois. Elle est valable pour les mis en cause déjà emprisonnés ou ceux se trouvant en état de liberté provisoire. Les demandes de grâce sont formulées soit par les mis en cause eux-mêmes, soit par leurs avocats, familles ou des ONG.
Pour statuer sur les demandes, une commission spéciale a été créée. Il s’agit d’un organe permanent relevant de la direction des affaires pénales et des grâces (ministère de la Justice). Il est présidé par son directeur et est composé de représentants :
- Du cabinet royal,
- De la Cour Suprême,
- Du parquet Général à la Cour Suprême
- De l’Administration pénitentiaire,
- La présence d’un magistrat de la défense.
Dans son travail, la commission des grâces se base sur les dossiers élaborés par les assistants sociaux des divers centres pénitentiaires du pays. Les demandes retenues par la commission sont par la suite transmises au Cabinet royal pour validation.
Rachid Oufkir