Sous pression d’une polémique concernant le roman « Houaria », la maison d’édition MIM a annoncé sa fermeture.
« Nous vous annonçons aujourd’hui, le 16/07/24, notre retrait du monde de l’édition, laissant le navire avec sa cargaison, comme nous l’avons toujours fait. À partir de maintenant, MIM ferme ses portes, bravant vents et marées. Nous avons toujours été des défenseurs de la paix et de l’amour, cherchant uniquement à les diffuser. Que le pays soit préservé de la division et que le livre soit préservé, car un peuple qui lit est un peuple libre et nourri. Que la paix soit avec tous et que chacun soit heureux. », c’est par ces mots que tel est la maison d’édition a annoncé ce 16 juillet son retrait.
« Aux Algériens, particulièrement aux lettrés, aux vrais et aux faux lecteurs d’auteurs et de livres, aux véritables éditeurs et aux pseudo-éditeurs. Des années de douces et amères épreuves ont été traversées, durant lesquelles les éditions MIM ont tenté de présenter à l’Algérie, aux intellectuels, aux lecteurs, aux écrivains, à la scène et à l’industrie du livre, un travail artistique, esthétique et de haute qualité intellectuelle. Comme toute expérience, il y a eu des hauts et des bas, mais nous avons contribué à promouvoir une image positive du pays dans tous les forums, comme chacun le sait ; nous n’aspirions pas à plus que cela, à nous soucier du sens et de l’utilité, à être là où il fallait et à consacrer notre temps, notre argent et notre attention. Mais il n’y a aucun intérêt ni aucun sens à lutter contre l’absurdité », indique encore le communiqué.
Cette annonce intervient à la suite d’une polémique sur les réseaux sociaux autour du roman « Houari » d’Inaam Bayoud, lauréat du Grand Prix Assia Djebar du roman en langue arabe. « Si cette belle maison ferme, c’est la victoire de la laideur sur la beauté, de l’obscurité sur la lumière », a réagi l’éditeur et écrivain Lazhari Labter.
« Un tribunal populaire »
La controverse a éclaté après que le roman a été distingué par le Grand Prix Assia Djebar en langue arabe. Un « tribunal populaire » s’est constitué sur les réseaux sociaux contre l’autrice, son roman et le jury. En effet, plusieurs internautes « conservateurs » ont sévèrement critiqué le roman, appelant à son retrait des librairies. Ils jugent le roman « immoral » et considèrent les expressions populaires en darija utilisées dans le texte comme « grossières ». D’autres ont critiqué même le titre du roman « Houaria », un prénom typiquement oranais, y voyant un cliché sur cette ville. Dans une déclaration aux médias, Inaam Bayoud a affirmé que Houria, le personnage de son roman, est inspiré de faits réels.
Des écrivains et des journalistes ont répondu à ses détracteurs. L’écrivain Wassini Laaredj a rappelé la différence entre personne et personnage et l’importance de la littérature.
« Un texte n’est pas seulement un espace religieux, social ou psychologique. Il englobe tout cela. Les critiques font une distinction entre deux concepts : la personne et le personnage. La personne est incarnée dans la chair et le sang, tandis que le personnage est créé par l’imagination et l’expérience de vie de l’écrivain. Ainsi, le personnage ne représente pas l’écrivain, sinon la littérature perdrait son essence pour devenir simplement une somme d’éléments subjectifs jetés ici et là dans ce que nous appelons un roman. Le personnage, dans ce sens, est une expression condensée d’un événement ou d’une situation que l’écrivain donne vie en fonction de sa condition sociale et psychologique, influençant son langage et ses pratiques sociales », a-t-il souligné.
Le journaliste Hassan Merabet a réagi en défense de MIM et a souligné que « MIM est la première maison d’édition algérienne à avoir publié un livre ayant remporté le Booker arabe, celui d’Abdelouahab Issawi, et un deuxième texte, « De nous » de l’ami Haj Ahmed, qui a été finaliste du Prix Katara du roman en langue arabe avec le roman d’El Habib Al-Sayeh « Moi et Haim », entre autres. MIM n’est pas simplement un éditeur de passage, comme le prétend Al-Habib Al-Sayeh, mais une maison d’édition professionnelle avec un engagement créatif et éducatif. J’espère que Mme Assia Ali Moussa reviendra sur sa décision de fermer la maison, car sa position est excellente tant localement qu’au sein du monde arabe », a-t-il ajouté.
Amina Belaala, membre du jury du Grand Prix Assia Djebbar, a répondu aux détracteurs d’Inaam Bayoud par une clarification. Elle a expliqué que « le choix de « Houria » s’est basé sur des critères annoncés qui incluent l’engagement envers les valeurs nationales et la capacité à construire un monde fictif avec un langage expressif et approprié, une vision unique et une approche qui encadre les éléments de l’œuvre de fiction ». Elle a souligné que Bayoud a écrit « un roman algérien dans l’âme, inspiré de la réalité algérienne jusqu’à ses moindres détails, en se focalisant sur un groupe social fragile qui est devenu le sujet central de son roman ». Concernant l’utilisation de la darija dans le texte, Belaala a rappelé que le langage populaire est souvent utilisé dans les romans en langue arabe, citant en exemple le prix Nobel de littérature égyptien Naguib Mahfouz, soulignant que c’est un défi pour les romans de réussir à s’internationaliser tout en restant ancrés dans leur société d’origine.