Violée par son mari, menacée par sa famille, Hind Mohammed al-Bolooki a fui en Macédoine où elle a été détenue deux mois. Elle est aujourd’hui en Allemagne.
« Médiatiser, c’est la solution de dernier recours. » Ces mots sont ceux de Jérémy Desvages, un informaticien français qui a contribué à sortir une jeune Émiratie de prison. Hind Mohammed al-Bolooki était incarcérée depuis deux mois en Macédoine du Nord, alors qu’elle venait de s’enfuir de Dubaï où elle subissait des violences conjugales de la part de son mari. L’homme en question n’est autre que le vice-ministre de la Santé, selon sa femme. « J’ai demandé le divorce pour la première fois il y a cinq ans, a-t-elle expliqué à une journaliste du quotidien allemand Die Welt. Bien sûr, mon mari était contre, un divorce bafouerait son honneur. Il m’a pourtant trompée pendant des années, battue et humiliée de toute sorte. Quand je refusais de coucher avec lui, il m’attachait et me violait. J’ai quatre enfants. Je n’aurais jamais fui si je n’avais pas été sûre qu’il me tuerait. »
Face à ces violences, l’Émiratie de 42 ans a bien tenté de réagir, mais impossible de porter plainte sachant que le meilleur ami de son mari n’est autre que le chef de la police des Émirats. Quand elle fait part de son désir de divorcer à ses proches, ces derniers font venir un Cheikh à son domicile pour lui rappeler son « devoir de femme », avant de la menacer de l’envoyer en hôpital psychiatrique. Sa famille tente même de lui retirer son passeport. « Ils m’ont dit qu’ils feraient de ma vie un enfer », explique Hind Mohammed al-Bolooki dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux. Sans solution, elle s’évade par la fenêtre, sans même avoir pu prévenir ses enfants.
Camp de détention
En Arabie saoudite, la vie des femmes est encore largement sous tutelle masculine. Ce sont les hommes qui autorisent la délivrance d’un passeport, l’ouverture d’un compte bancaire ou la création d’une entreprise. L’ONG Human Rights Watch rappelle que « si une femme décide de divorcer, elle doit demander une ordonnance du tribunal, tandis que les hommes peuvent divorcer unilatéralement de leur femme ». Certains activistes parlent d’un système « d’apartheid de genre ». Récemment, le gouvernement a annoncé que les femmes recevraient désormais un SMS en cas de demande de divorce de leur mari au tribunal. La mesure, qui vise à éviter les « divorces secrets », fait partie d’une succession de réformes voulues par le prince héritier Mohammed ben Salmane pour accorder des droits supplémentaires aux femmes.
Après un long périple qui l’a conduite au Barhein, puis en Turquie et en Serbie, Hind Mohammed al-Bolooki arrive en République de Macédoine du nord, où des amis lui ont conseillé de se réfugier. À Skopje, la capitale, elle s’adjoint les services d’un avocat et se rend au commissariat pour effectuer une demande d’asile politique. Elle apprend au cours de l’entretien que sa famille sait où elle se trouve et qu’elle fait pression sur les autorités locales pour l’expulser aux Émirats. Le 7 décembre, elle est enfermée dans le camp de détention pour migrants de Gazi Baba, sous prétexte qu’elle menace la sécurité intérieure. Bien que récemment rénové, le centre est connu pour sesconditions d’accueil « inhumaines et dégradantes », selon Amnesty International. Hind Mohammed Al-Bolooki n’a pas le droit aux visites, comme le rapporte The Guardian. « Elle n’a pas de casier judiciaire et sa détention est arbitraire, a déclaré à la télévision locale le directeur du comité Helsinki, une ONG. C’est aussi exceptionnel qu’on lui ait interdit les visites. Cette affaire est trouble du début à la fin. »
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« Ma famille essayera toujours de me persécuter »
Après deux mois d’emprisonnement, Hind Mohammed al-Bolooki apprend que sa demande d’asile est rejetée et on lui donne 15 jours pour plier bagage sous peine d’être renvoyée aux Émirats. Entre-temps, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) s’est saisie du dossier, ce qui bloque momentanément toute possibilité d’expulsion. L’Émiratie reçoit alors l’aide de Jérémy Desvages, qui l’emmène en Allemagne. Cet informaticien-activiste n’en est pas à son coup d’essai. Il a déjà aidé « huit ou neuf fois » des personnes qui fuyaient leur pays, dont la Saoudienne Rahaf Mohammed Al-Qunun qui a trouvé refuge au Canada. Barricadée pendant plusieurs jours dans une chambre d’hôtel à l’aéroport de Bangkok, la jeune femme avait tourné des vidéos pour dénoncer les violences corporelles et psychologiques dont elle était victime dans sa famille.
Hind Mohammed al-Bolooki et Jérémy Desvages ont pris ensemble l’avion pour Berlin, alerté HRW et déposé une demande d’asile en Allemagne. Aujourd’hui, l’Émiratie est en lieu sûr, quelque part dans le pays. « Elle est rassurée d’être arrivée ici, mais a encore peur qu’on la retrouve », explique Jérémy Desvages. « Ma famille essayera toujours de me persécuter, a-t-elle expliqué à Die Welt. Ils ont déjà utilisé leur pouvoir de nuisance en Macédoine. » Jérémy Desvages dit qu’il restera sur place « jusqu’à ce que la situation soit plus claire ».
Par Louis Chahuneau
Source : Le Point