Pékin et Washington pourraient mettre un terme à la guerre commerciale qui les oppose ce 27 mars. Néanmoins, la Chine, principal créancier des États-Unis, a commencé à se débarrasser activement de ses investissements dans la dette publique américaine.
Laurence Fink, PDG de BlackRock, la plus grande société de gestion d’actifs au monde, estime que le règlement du conflit commercial entre les USA et la Chine ne fera qu’accélérer le processus de séparation de Pékin de ses obligations américaines. Faut-il s’attendre à une vente massive?
Importante vague de ventes en 2018
Fin 2018, la Banque de Chine détenait 1.120 milliards de dollars d’obligations américaines, soit 28% de toute la dette publique américaine entre les mains des détenteurs étrangers.
Parmi les autres grands créanciers figurent le Japon (qui possède 1.030 milliards de dollars de dette américaine — 25,7%), le Brésil (303 milliards de dollars — 7,5%), l’Irlande (280 milliards de dollars — 7%) et le Royaume-Uni (273 milliards de dollars — 6,8%).
Toutefois, ces derniers temps, les analystes constatent une réduction sensible des investissements dans la dette publique américaine.
En juin 2018, le portefeuille d’obligations du Japon a atteint son minimum depuis sept ans. La Russie et la Turquie, qui ont subi la pression économique de Washington, ont quitté le top-30 des détenteurs d’obligations américaines. Sachant que Moscou les a pratiquement toutes vendues.
Trop tard
C’est la Chine qui suscite les plus grandes craintes. En 2013, Pékin détenait encore 1.300 milliards de dollars d’obligations américaines. Fin 2016-début 2017, les Chinois avaient réduit leurs actifs pour compenser le renforcement du yuan, avant de tout rétablir. Mais les ventes ont repris l’an dernier. Au final, la Chine a vendu 13,8% de ses obligations en cinq ans.
La vente d’obligations permet à Washington de financer les dépenses fédérales grandissantes qui stimulent la croissance économique et de maintenir des taux d’intérêt bas. Ce qui joue également en faveur de la Chine: les investissements dans les obligations affaiblissent le yuan par rapport au dollar. Au final, les marchandises chinoises importées coûtent aux Américains moins cher que leurs propres produits.
Mais la dépendance financière de la Chine en est renforcée, ce qui est d’autant plus notable sur la toile de fond des différends des derniers mois. Le préjudice de la guerre commerciale déclenchée par Washington se chiffre déjà en milliards pour les deux pays. Et Pékin a averti plusieurs fois que si cela continuait, il devrait vendre ses parts dans la dette américaine. La raison serait principalement économique: il s’agirait d’assurer la stabilité du yuan.
A présent, Washington est sur le point de signer une trêve avec Pékin, mais les analystes sont convaincus que même si un accord commercial était signé, la Chine continuerait de vendre ses obligations américaines.
Comme l’a noté Laurence Fink, cela pourrait être dû à l’accord-même, qui serait «loin d’être parfait». La Chine a accumulé des parts dans la dette américaine notamment à cause de l’excédent dans les échanges, explique l’économiste. Si Pékin acceptait de réduire l’excédent commercial, il aurait bien moins d’argent à investir dans la dette américaine.
«La Chine continuera de réduire ses achats d’obligations américaines. Compte tenu du déficit budgétaire grandissant, cela laisse présager des conséquences très négatives pour le ministère américain des Finances. Au final, le Trésor risque de sortir perdant», affirme Laurence Fink.
Pourquoi la Chine détient autant d’obligations américaines
Le maintien de prix à l’export compétitifs est un élément important de la stratégie économique de la Chine. Elle garantit ces derniers en maintenant le cours du yuan par rapport au panier monétaire, majoritairement en dollars. Quand le dollar baisse, Pékin utilise les réserves disponibles de monnaie américaine pour acheter des obligations. Le gouvernement obtient cet argent des compagnies chinoises, qui, elles, le tirent des exportations. L’acquisition des obligations entraîne une hausse de la demande pour le dollar et donc son renforcement.
La Chine, qui est le plus grand créancier américain, dispose donc d’un puissant levier de pression politique et économique sur Washington. Pékin l’utilise périodiquement en menaçant de lancer la vente et de faire effondrer le marché de la dette publique des USA. Si les Chinois mettaient à exécution cette menace, les Américains seraient confrontés à l’instabilité du cours du dollar et au ralentissement de l’économie.
«L’économie sera secouée par des taux d’intérêts élevés partout, ce qui exercera un puissant effet de ralentissement», souligne Jeff Mills du PNC Financial Services Group américain.
La demande mondiale pour le dollar pourrait chuter brusquement. L’effondrement de la monnaie américaine frappera les marchés internationaux plus fort que la crise financière de 2008. Tout le monde sera touché, l’économie chinoise y compris.
C’est pourquoi le scénario le plus probable est une vente progressive et continue d’obligations américaines par Pékin. Ce qui n’est pas si mauvais non plus pour Washington.
Les analystes de la Deutsche Bank constatent que la demande pour la dette publique américaine diminue inéluctablement et que les banques centrales étrangères vendent ces actifs depuis quatre ans. Ils avertissent que pour assurer une demande stable pour les obligations, les taux d’intérêt actuels pourraient s’avérer trop bas.
«Faudra-t-il les augmenter en sacrifiant la croissance économique afin de compenser l’offre supplémentaire d’obligations dans un contexte de faible demande? Ce n’est que l’une des questions auxquelles devra répondre la Maison-Blanche», déclare le patron de BlackRock. Et, surtout, il faut réfléchir à qui sera le nouvel acheteur de la dette américaine qui pourra compenser la réduction permanente de la demande.