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mardi 17 juin 2025
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Anna Gréki ou l’amour avec la rage au cœur : Hommage à la poétesse et militante

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Anna Gréki, née Colette Grégoire, a marqué l’histoire par son engagement politique et poétique au service de l’indépendance de l’Algérie. Militante communiste et poétesse d’une grande intensité, son œuvre transcende les épreuves individuelles pour porter un message de résistance collective et d’amour profond pour son pays. À travers ses vers, elle exprime à la fois la douleur et l’espoir, l’amour et la colère, la poésie devenant une arme dans la lutte pour la liberté. Cet hommage propose une analyse critique de son œuvre en s’appuyant sur certains de ses poèmes emblématiques.

1. Une voix poétique et révolutionnaire

« Nous te ferons un monde humain », extrait de Pour un monde humain

Anna Gréki est une poétesse dont la plume respire l’engagement politique. Dans Pour un monde humain, Gréki affirme sa foi en la possibilité de bâtir un avenir plus juste, plus humain. Le poème, tout comme son engagement, transcende les souffrances du moment pour affirmer une vision d’espoir et de transformation sociale. Pour Gréki, la poésie est un outil de résistance, mais aussi un moyen de se projeter dans un avenir où la fraternité et l’humanité triompheraient.

Ses mots, porteurs de promesses, sont profondément ancrés dans la réalité de la guerre de libération. Ils sont vibrants de l’énergie révolutionnaire qui a animé la jeunesse algérienne, transformant la poésie en un acte politique. Ce « monde humain », Gréki le dessine avec des mots puissants, capables d’apaiser les douleurs et d’ouvrir des horizons de liberté.

2. Une mémoire à bâtir, une poétesse à honorer

« Nos morts qui l’ont rêvée se comptent par milliers », extrait de Juillet 1962 – El Houria

L’Algérie moderne, riche de son histoire et de ses luttes, doit rendre hommage à des figures comme Anna Gréki. Dans son poème Juillet 1962 – El Houria, elle évoque ces « morts » qui ont rêvé de la liberté, ces milliers de martyrs qui ont sacrifié leur vie pour l’indépendance. Leur rêve est devenu réalité, mais à travers ses vers, Gréki rappelle la responsabilité de ceux qui restent : « toi qui as exigé l’extrême du possible », tu devras aller plus loin encore. Elle exhorte son pays à ne jamais oublier les sacrifices consentis et à toujours tendre vers un idéal de justice et d’humanité.

À Batna, sa ville natale, et ailleurs en Algérie, la mémoire d’Anna Gréki devrait être honorée pour ce qu’elle représente : une poétesse engagée, une militante sans compromis. Bâtir une mémoire collective autour de figures comme Gréki est essentiel pour forger un avenir éclairé par les leçons du passé.

3. Le poids de l’amour et de la tragédie

« Un seul aurait suffi pour que je me rappelle / Le tracé des chemins qui mènent au bonheur », extrait de Juillet 1962 – El Houria

L’œuvre d’Anna Gréki est marquée par une dualité entre l’amour et la rage, entre le bonheur espéré et la tragédie vécue. Dans Juillet 1962 – El Houria, elle évoque la profondeur de la perte et du sacrifice, tout en montrant que ces douleurs, loin de briser les individus, tracent des chemins vers le bonheur collectif. C’est dans l’amour du pays, de la liberté et des siens qu’elle puise la force de continuer à rêver et à lutter.

La perte de son compagnon, Ahmed Inal, assassiné par l’armée française, traverse son œuvre, conférant à ses poèmes une intensité particulière. Cet amour brisé, loin de la dévaster, devient une force motrice qui alimente sa poésie et son engagement. Gréki transforme la tragédie en beauté, la douleur en une voix poétique puissante, capable de transcender l’intime pour toucher à l’universel.

4. Entre résistance et modernité : l’héritage de Gréki

« Toi qui as exigé l’extrême du possible / Tu iras par la force au-delà de toi-même », extrait de Juillet 1962 – El Houria

L’œuvre de Gréki ne se limite pas à la célébration des victoires passées ; elle interroge aussi l’avenir de l’Algérie. Dans cet extrait, elle parle de l’exigence, du sacrifice, et de l’effort constant nécessaire pour dépasser les limites imposées par la guerre et le colonialisme. Ce dépassement est une forme de résistance à la stagnation, une invitation à toujours aller plus loin dans la construction d’un avenir basé sur la justice et l’émancipation.

Dans ce sens, Gréki pose une réflexion moderne, anticipant les défis de l’après-indépendance. Elle refuse de se reposer sur les lauriers de la victoire. La liberté est une conquête permanente, un combat sans fin, où la vigilance et l’effort doivent toujours être renouvelés. Son héritage littéraire et politique est un appel à la génération suivante à ne jamais abandonner cette quête de justice.

5. L’importance de la mémoire collective

« Leurs bouches apaisées à notre bonne foi / Parleront de torrents plus violents que leurs voix », extrait de Pour un monde humain

Le poème Pour un monde humain évoque la nécessité d’une mémoire collective, où la reconnaissance des luttes passées pave la voie à une société plus juste. Gréki savait que la victoire des armes devait être accompagnée d’une victoire morale et intellectuelle. Dans ce passage, elle évoque la puissance des mots, qui deviennent « torrents » capables de façonner le futur. Les poèmes, les mémoires, les récits du passé sont autant de forces vives qui peuvent guider l’avenir.

Construire la mémoire est un acte fondamental pour la survie d’une nation, et Anna Gréki a joué un rôle majeur dans cette entreprise. En poétisant la résistance, elle a permis de faire des luttes passées une source d’inspiration pour les générations futures. Ses mots continuent de résonner aujourd’hui, porteurs d’une vision où la liberté, la solidarité et l’espoir sont les piliers d’une société plus humaine.

Anna Gréki, poétesse de la résistance et de l’amour, mérite de retrouver toute la place qui lui revient dans la mémoire collective algérienne. Ses poèmes, traversés par la rage du combat et la douceur de l’espoir, continuent d’éclairer notre réflexion sur la liberté, la justice, et l’engagement. Ce récit critique est un hommage à son œuvre et à sa vision, qui reste plus que jamais d’actualité dans la quête d’un monde plus humain.

Par Bouzid Amirouche.

Kamel Daoud : Entre Lucidité Critique et Exil Littéraire

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Dans le panthéon des lettres algériennes contemporaines, Kamel Daoud s’affirme comme une figure emblématique et paradoxale. Son parcours intellectuel et littéraire, marqué par une quête de sens et une volonté de critique acerbe, le positionne non seulement comme un écrivain, mais comme un intellectuel engagé qui choisit d’explorer les limites de la pensée et de la liberté d’expression. Cependant, cette recherche de vérité s’inscrit dans un contexte d’exil, non pas géographique, mais intellectuel et émotionnel, qui nuance sa relation avec son pays d’origine.

1. Exil Intellectuel : Une Évasion Necessaire

L’exil, pour Kamel Daoud, dépasse le simple acte de quitter un territoire. Il s’agit d’une volonté de se libérer des carcans d’une société qu’il perçoit comme figée et dominée par des élites politiques et religieuses. En choisissant de se distancer de ce cadre, Daoud ne fait pas que fuir ; il cherche à transcender un discours qu’il considère comme archaïque, en proie à des langages morts qui entravent la pensée critique. L’arabe classique, pour lui, devient le symbole d’un immobilisme qui entrave l’émancipation individuelle et collective, alors qu’il aspire à une expression plus vivante, enracinée dans la modernité et le pluralisme.

Dans ses écrits, Daoud s’illustre par une audace rare, scrutant les mécanismes de pouvoir avec une lucidité pénétrante. Il dénonce les abus des élites, n’hésitant pas à faire le parallèle entre le pouvoir religieux et politique en Algérie et celui de la monarchie médiévale en Occident. « Aujourd’hui, en Algérie, deux castes parlent arabe, langue morte pour les Algériens, peuple vivant », écrit-il dans une de ses chroniques, soulignant ainsi le décalage entre les discours officiels et les aspirations réelles du peuple. Cette critique, bien que nécessaire, peut créer une dichotomie entre son discours et la réalité des Algériens, qui se sentent parfois aliénés par une pensée jugée trop théorique ou déconnectée.

2. La Complexité du Regard Extérieur

Ce désir de s’élever au-dessus des réalités algériennes le place dans une posture ambivalente. D’un côté, Daoud est reconnu internationalement pour sa capacité à déconstruire les mythes et à aborder des questions taboues, comme la place de la femme, les violences faites à la société ou encore l’héritage colonial. De l’autre, il se voit critiqué pour son éloignement vis-à-vis des luttes qui animent son peuple. Par exemple, ses déclarations sur la Kabylie, qu’il qualifie de « ghetto sublimé », provoquent des réactions vives et révèlent une tension profonde dans sa compréhension des réalités locales. Ce glissement dans son discours soulève des interrogations sur sa capacité à s’engager pleinement avec les diverses couches de la société algérienne.

Daoud incarne un intellectuel qui, tout en dénonçant les archaïsmes, semble parfois négliger les particularités culturelles et historiques qui façonnent les identités régionales en Algérie. Comment un écrivain, dont la voix est souvent saluée pour sa clarté et sa profondeur, peut-il passer à côté des luttes identitaires et politiques de la Kabylie, par exemple, un bastion historique de la résistance ? Cette question soulève la problématique de la représentation et de l’appropriation des voix locales dans un discours global.

3. La Parole de l’Intellectuel Engagé

À travers ses écrits, Daoud s’efforce de donner une voix aux aspirations du peuple algérien, mais son exil émotionnel le rend parfois moins accessible à ceux qui subissent les conséquences des réalités qu’il analyse. Son regard critique, bien qu’acéré, peut sembler condescendant, provoquant un fossé entre l’intellectuel brillant et l’homme enraciné dans son pays. En réponse à une question sur son départ, il explique : « Je n’y respirais plus. » Cette affirmation, à la fois simple et profonde, résonne avec l’expérience de nombreux Algériens confrontés à des réalités oppressantes, mais elle marque aussi la distance que Daoud entretient avec son propre passé.

L’exil, tant géographique qu’intellectuel, l’amène à interroger la place de l’intellectuel dans une société en crise. Daoud aspire à être un agent de changement, mais se trouve parfois piégé dans des contradictions qui fragilisent son message. Il dénonce les abus, mais ne parvient pas toujours à articuler une vision d’avenir qui inspire et unifie. Ce décalage entre sa critique acerbe et la réalité vécue par de nombreux Algériens soulève la question de l’efficacité de son discours.

4. Un Engagement à Redéfinir

Kamel Daoud représente donc une figure complexe de l’intellectuel postcolonial. S’il se positionne en défenseur des libertés individuelles et de la pensée critique, il est également confronté à des accusations de déconnexion avec les luttes identitaires et politiques qui traversent l’Algérie. Sa voix, essentielle dans le débat algérien, est à la fois une source d’inspiration et un point de discorde. Il reste à voir comment Daoud peut réconcilier son regard critique, sa lucidité et son engagement, afin de se reconnecter avec une Algérie dont il est issu.

Kamel Daoud est un écrivain qui choisit l’exil pour mieux penser, mais qui, par moments, semble lui-même prisonnier de ses contradictions. Il incarne le défi de l’intellectuel moderne : naviguer entre l’affirmation d’une critique nécessaire et la nécessité de se réinscrire dans un récit collectif. Pour que son regard ne devienne pas celui d’un étranger, mais demeure celui d’un écrivain engagé dans le destin de son pays, il lui incombe de retrouver un équilibre entre sa lucidité et son enracinement. Le véritable défi pour lui sera de redéfinir son engagement et d’être en phase avec les aspirations du peuple algérien, afin que ses mots ne restent pas des échos lointains, mais deviennent des leviers pour l’action et la transformation.

Par Bouzid Amirouche.

Une lecture approfondie de Histoire de ma vie de Fadhma Ath Mansour

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– Une lecture approfondie de Histoire de ma vie de Fadhma Ath Mansour convoque une intertextualité philosophique et religieuse pour révéler la profondeur spirituelle qui anime cette œuvre.


– Une lecture approfondie de Histoire de ma vie de Fadhma Ath Mansour convoque une intertextualité philosophique et religieuse pour révéler la profondeur spirituelle qui anime cette œuvre. À travers un prisme théologique, notamment celui de saint Augustin, l’autobiographie de Fadhma prend des dimensions insoupçonnées, où l’exil, la quête identitaire, et l’angoisse de la séparation dialoguent avec des thèmes augustiniens universels : l’âme en quête de rédemption, la recherche d’un ordre supérieur, et la tension entre la chair et l’esprit.

1. Le récit comme quête intérieure : des Confessions à l’exil

Fadhma Ath Mansour, à travers son autobiographie, semble s’inscrire dans une lignée augustinienne. À l’instar de saint Augustin dans ses Confessions, l’auteure kabyle nous offre le récit d’un retour sur soi, d’une exploration intime de son être, où le souvenir et la mémoire deviennent des outils de compréhension de la vie spirituelle. Saint Augustin, en théorisant la mémoire comme une faculté centrale de l’âme humaine, un lieu où résident non seulement les images du passé mais aussi les idées qui orientent l’esprit vers Dieu, nous permet de lire Histoire de ma vie comme une méditation sur l’exil non seulement géographique, mais aussi spirituel.

Ce lien entre le temps passé et l’âme en exil est fondamental dans la narration de Fadhma. L’émigration, au cœur de son récit, prend ici des résonances augustiniennes : ce n’est plus seulement une fuite ou une contrainte matérielle, mais un cheminement intérieur. En quittant son pays, Fadhma se lance dans une quête identitaire qui reflète le déracinement originel de l’homme, tel que le conçoit saint Augustin : une âme en exil sur cette terre, à la recherche de la patrie céleste. Il est pertinent de souligner ici l’écho avec l’exil augustinien qui, dans ses Confessions, s’exprime par ce désir ardent de retrouver l’intimité divine, de s’arracher au péché qui éloigne l’âme de sa véritable destination.

2. Le rôle de la souffrance et du silence de Dieu

Fadhma, comme saint Augustin, fait face à des périodes de profond doute et de souffrance. Dans son récit, la douleur de la séparation avec sa famille, son peuple et ses origines résonne comme une forme d’épreuve divine. Ici, nous pouvons établir un parallèle avec la nuit obscure de saint Jean de la Croix et le silence de Dieu auquel saint Augustin fait allusion dans les moments de détresse spirituelle. L’exil de Fadhma n’est pas simplement une souffrance liée à la perte d’un foyer physique, mais une métaphore de l’absence de réponse divine face à ses tourments intérieurs. Pourtant, comme dans les Confessions, ce silence n’est pas signe d’abandon, mais plutôt une invitation à l’éveil spirituel.

Dans ce contexte, la foi de Fadhma, bien qu’évoquée avec retenue, peut être mise en relation avec le saut dans l’inconnu dont parle Kierkegaard. Tout comme l’angoisse du penseur danois face au silence de Dieu trouve sa résolution dans l’abandon total à la foi, Fadhma semble, elle aussi, accepter son destin en élevant la souffrance à un niveau transcendant. Son récit n’est pas celui d’une révolte, mais d’une résignation qui s’apparente à la soumission augustinienne à la volonté divine, une attitude qui rejoint également les pensées de Pascal sur le pari de Dieu.

3. Mémoire, langage et rédemption : la dialectique de l’identité

Il est également crucial de souligner la centralité du langage et de la mémoire dans la rédemption, tant chez Fadhma que chez saint Augustin. Pour ce dernier, la mémoire est le lieu où l’homme retrouve les traces de Dieu. Chez Fadhma, la langue kabyle, matrice de son identité, joue un rôle similaire. Écrire en français tout en parlant de sa langue maternelle est pour elle un acte de réconciliation avec une mémoire blessée. Elle fait de sa langue natale un refuge, une patrie imaginaire, tout comme saint Augustin retrouve la trace divine dans sa propre intériorité. De ce point de vue, la relation que Fadhma entretient avec la langue rejoint la conception augustinienne du Verbe : ce langage qui permet à l’homme de réintégrer l’ordre divin.

La structure narrative elle-même de Histoire de ma vie est révélatrice d’une tension entre passé et présent, entre la vie vécue et la vie remémorée. Cette dialectique du temps, qui est au cœur des Confessions de saint Augustin, trouve ici un écho littéraire puissant. Le récit de Fadhma, écrit en français, mais profondément marqué par la culture kabyle, devient un pont entre deux mondes, une tentative de retrouver un ordre perdu, de rétablir une continuité entre le passé et le présent, entre l’exil et le retour.

4. L’élévation de l’âme à travers l’exil

Enfin, dans une perspective plus mystique, l’exil de Fadhma pourrait être vu comme une analogie de l’ascension de l’âme vers Dieu, telle que la décrit saint Augustin dans ses écrits théologiques. L’exil physique est l’expression d’un exil plus profond, celui de l’âme qui cherche à transcender les limitations de ce monde matériel. Chez Fadhma, la séparation douloureuse de sa terre natale prend alors une dimension métaphysique, marquée par une aspiration à une union plus élevée, une quête de plénitude qui, au-delà de la souffrance, évoque le désir augustinien de retrouver Dieu.

5. L’œuvre de Fadhma Ath Mansour, bien qu’apparemment enracinée dans un contexte particulier de colonisation et d’exil, se révèle donc universelle par la profondeur des questionnements qu’elle soulève. En se plaçant dans une lignée intertextuelle qui va de saint Augustin à Kierkegaard, en passant par Pascal, elle transcende les limites de l’autobiographie pour rejoindre les grandes œuvres de la littérature spirituelle et philosophique. Son récit, par la multiplicité de ses résonances, nous rappelle que l’exil n’est pas seulement une expérience historique, mais aussi une condition existentielle, partagée par tous ceux qui, comme saint Augustin, cherchent à retrouver leur véritable demeure dans la lumière divine.

Ainsi, Histoire de ma vie peut être lu comme une œuvre d’exil et de réconciliation, à la fois personnelle et universelle, un miroir de la condition humaine en quête de sens et de salut.

Par Bouzid Amirouche.

Evénements du 17 octobre 1961 : une tragédie que la France peine à reconnaître

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Par BOUZID AMIROUCHE

Le 17 octobre 1961 constitue l’une des pages les plus sombres et tragiques de l’histoire contemporaine de la France et de ses relations avec l’Algérie. Ce jour-là, en pleine guerre d’indépendance algérienne, des milliers d’Algériens manifestèrent pacifiquement dans les rues de Paris pour dénoncer un couvre-feu discriminatoire visant uniquement les « Français musulmans d’Algérie », instauré par le préfet de police Maurice Papon. La répression qui s’ensuivit fut d’une violence inouïe, marquant un tournant tragique dans l’histoire des relations franco-algériennes.

 Un massacre occulté, une mémoire réprimée

La répression, d’une brutalité inédite, aboutit à l’arrestation de plus de 14 000 manifestants. Déportés vers des centres de détention improvisés, tels que le Palais des sports ou le stade Pierre-de-Coubertin, les Algériens furent entassés, battus, affamés, et privés de soins. Ce traitement inhumain illustrait une déshumanisation systématique des populations coloniales, une violence d’État qui avait ses racines dans les pratiques coloniales en Algérie. Au-delà des arrestations massives, plusieurs centaines de manifestants furent exécutés sommairement ou jetés dans la Seine.

L’historien Gilles Manceron décrit cet événement comme un « massacre d’État » soigneusement occulté pendant des décennies. Il rappelle que les consignes données aux forces de police par Maurice Papon étaient claires : aucune limite dans la répression. La mémoire collective fut délibérément effacée, une amnésie orchestrée pour éviter de reconnaître la responsabilité de l’État dans ces violences. Pendant longtemps, le massacre du 17 octobre 1961 n’existait que dans la mémoire des victimes et des témoins directs, étouffé par la censure médiatique et l’absence de reconnaissance officielle.

La question mémorielle : un enjeu contemporain

 Le silence entourant ce massacre n’a été que partiellement brisé au fil des décennies. En 2012, François Hollande évoqua pour la première fois la « tragédie » du 17 octobre, sans toutefois reconnaître un crime d’État. Emmanuel Macron, lors de sa campagne présidentielle, avait quant à lui reconnu la colonisation comme un « crime contre l’humanité ». En 2018, il réitéra son engagement à regarder en face cette histoire douloureuse en déclarant : « Le 17 octobre 1961 fut le jour d’une répression violente de manifestants algériens ». Cependant, malgré ces gestes, la reconnaissance officielle reste incomplète.

L’occultation du massacre par les autorités françaises, analysée par des historiens comme Fabrice Riceputi dans Ici on noya les Algériens, trouve encore des échos dans les tensions mémorielles actuelles. Le contrôle au faciès, qui cible de manière disproportionnée les populations d’origine maghrébine, rappelle les méthodes de la guerre d’Algérie. Cette violence institutionnelle contemporaine est en grande partie héritée du racisme structurel qui imprégnait la politique coloniale et postcoloniale française.

L’art comme outil de mémoire

Face à l’absence de reconnaissance politique, la mémoire du 17 octobre 1961 a aussi trouvé une résonance à travers l’art. Le rappeur Médine, dans son morceau 17 Octobre, incarne la voix d’un Algérien manifestant à Paris ce soir-là :

« 17e jour du mois d’octobre, le FLN a décidé de mettre fin à l’opprobre. En effet, le journal de la veille titrait : « Couvre feu recommandé pour les immigrés ». Non ! La réaction ne s’est pas faite attendre ; Algériens de France dans les rues, nous allons descendre Protester contre leurs lois discriminatoires Investissons leurs ponts et leurs centres giratoires Embarqués dans un cortège pacifique, nous réclamons justice pour nos droits civiques Mais la police ne l’entend pas de cette oreille En cette période nous sommes un tas de rats rebelles. »

Ses paroles dénoncent les violences subies par les manifestants et dressent un parallèle avec les luttes contemporaines contre les discriminations et les injustices. Cet art militant contribue à maintenir vivante la mémoire de cette nuit tragique, tout en soulignant l’importance de la justice pour les luttes actuelles.

 La photographie militante joue également un rôle clé dans la transmission de cette mémoire. Une image frappante prise en 1961 par Jean Texier montre l’inscription « Ici on noie les Algériens », inscrite sur les quais de la Seine. Bien que cette photo ait été censurée à l’époque, elle est devenue un symbole puissant de la répression et de l’occultation des crimes d’État. Ce graffiti aurait été imaginé par le dramaturge Arthur Adamov, actif dans les mouvements de soutien à l’indépendance algérienne, soulignant la dimension artistique et engagée de la dénonciation.

Vers une réconciliation par la mémoire

La pleine reconnaissance du massacre du 17 octobre 1961 reste cruciale pour envisager une réconciliation durable entre la France et ses citoyens d’origine algérienne. Les historiens, tels que Jean-Luc Einaudi, dont l’ouvrage La Bataille de Paris fut pionnier dans la révélation des faits, ont joué un rôle clé dans l’émergence d’une mémoire plurielle. Cette démarche historique est nécessaire pour que les blessures laissées par le passé colonial puissent enfin être pansées.

 Le chemin vers une véritable réconciliation passera par une confrontation honnête avec ce passé refoulé. Cela implique non seulement la reconnaissance des faits, mais aussi une réflexion profonde sur les héritages coloniaux qui continuent de structurer la société française. Aujourd’hui encore, la mémoire du 17 octobre 1961 résonne avec les luttes contemporaines contre les discriminations et les violences policières. En reconnaissant pleinement cette tragédie, la France pourrait amorcer un processus de justice et de vérité, essentiel pour apaiser les tensions mémorielles et sociales.

L’ouvrage de Dominique Martre, La Kabylie en partage

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Par Bouzid Amirouche

Dans l’intimité des femmes, se présente comme une œuvre ethnographique profondément immersive, retraçant plusieurs décennies de la vie quotidienne des femmes d’un village kabyle, M’Chedallah, au fil des transformations sociales, politiques et culturelles de l’Algérie post-indépendance.

S’inscrivant dans une tradition littéraire et anthropologique marquée par la quête d’intimité dans des sociétés souvent représentées comme hermétiques, Martre, forte de son statut d’étrangère, tente de dévoiler les non-dits et les ressorts profonds qui gouvernent l’existence des femmes en Kabylie.

Toutefois, si cet ouvrage se veut un témoignage authentique et sensible, il se heurte à plusieurs écueils liés aux filtres culturels, aux limitations d’une approche féministe occidentale et à l’insuffisante prise en compte des dynamiques internes de résistance de cette société.

  • 1- Une immersion ethnographique : force et limites du regard étranger

    Dominique Martre, alors jeune enseignante française, arrive dans la bourgade kabyle de M’Chedallah au début des années 1970, où elle parvient à pénétrer un univers essentiellement féminin. Grâce à l’accueil chaleureux des femmes du village, elle observe leur quotidien, leurs gestes, leurs traditions, mais aussi leurs drames intimes et les luttes qu’elles mènent contre le patriarcat et les contraintes imposées par les structures sociales. Son récit, qui s’étend sur près de cinquante ans, est enrichi par ses rencontres avec des dizaines de femmes et d’hommes, dont elle consigne minutieusement les confidences.

Le principal atout de cet ouvrage réside dans cette immersion intime qui semble transcender les barrières culturelles. Martre parvient à construire des liens profonds avec ces femmes, devenant presque une confidente et observatrice discrète de leur existence. Ce positionnement d’étrangère joue un rôle ambivalent : il lui permet d’avoir un regard distancié, mais également d’être accueillie avec une certaine bienveillance, par effet de curiosité ou de sympathie. Ce statut lui permet d’entrer dans un espace où l’accès est restreint pour un homme ou un observateur local.

Cependant, cette même distance pose également des questions sur la validité des interprétations de Martre. En tant qu’étrangère, elle risque de percevoir les réalités locales à travers le prisme de ses propres préconceptions, ce qui peut induire des jugements biaisés ou des simplifications. La critique de Mustapha Harzoune souligne à juste titre que Martre, malgré son immersion, semble parfois succomber à une forme de sociologie de bazar, en présentant M’Chedallah comme un paradigme de la société kabyle. Cette essentialisation, bien que peut-être involontaire, peut limiter la portée de son analyse, car elle omet la diversité des trajectoires individuelles et les nuances qui façonnent cette région.

  • 2- Une lecture féministe occidentale : universalité ou biais idéologique ?

    L’un des points centraux du livre est la condition des femmes en Kabylie, une société marquée par des traditions patriarcales et des structures sociales rigides. Martre y consigne les luttes des femmes pour leur émancipation, que ce soit à travers l’accès à l’éducation, le droit au travail, ou encore leur résistance face à la domination de la belle-famille. Son récit s’inscrit dans une perspective féministe qui met en avant le combat des femmes pour tracer des chemins de liberté, malgré les obstacles socioculturels et les coûts élevés à payer : surveillance, jalousie, violences, exil.

    Cette approche, bien que louable, peut être critiquée pour son manque de contextualisation. En effet, le féminisme que prône Martre repose sur des critères d’émancipation largement influencés par des valeurs occidentales. L’éducation, l’indépendance économique et la fuite vers des espaces urbains ou occidentaux (Alger, France, Espagne) sont présentées comme les principaux moyens de libération pour ces femmes, sans que ne soient pleinement explorées les formes de résistance intérieure propres à la société kabyle.

    Dans cette optique, Martre semble parfois réduire la complexité de la société locale à une dichotomie rigide entre modernité et tradition, où seule la modernité occidentale semble représenter une issue positive. En occultant les formes subtiles de négociation et de pouvoir que les femmes peuvent exercer au sein même des structures patriarcales, l’auteure impose une lecture univoque de l’émancipation. Ce biais idéologique peut conduire à une forme d’ethnocentrisme, où les solutions aux problématiques locales sont importées de l’extérieur, sans tenir compte des spécificités culturelles et historiques de la Kabylie.
  • 3- Arabisation et islamisation : la Derive /une critique partielle

    Le récit de Martre est également traversé par une critique acerbe du virage politique de l’Algérie des années 1970, notamment à travers l’arabisation et l’islamisation de la société. Elle décrit avec une grande acuité les effets de l’arrivée des enseignants égyptiens, porteurs d’une idéologie qui, selon elle, a contribué à rigidifier les relations sociales et à accentuer la domination patriarcale. Cette critique, fondée sur une expérience directe, est particulièrement percutante dans la mesure où elle illustre les conséquences désastreuses de cette politisation de la culture et de la religion sur la jeunesse kabyle.

    Néanmoins, la lecture de Martre reste parcellaire. Si elle dénonce avec vigueur les effets de l’arabisation et de l’islamisation, elle n’explore pas suffisamment les autres dimensions de ce processus, notamment la manière dont certaines franges de la société ont pu voir dans l’arabisation un outil de décolonisation linguistique et culturelle. De plus, en concentrant ses critiques sur l’islamisation, elle risque d’occulter les résistances internes à cette dynamique au sein même de la Kabylie, où l’identité berbère est restée un socle de contestation culturelle.
  •  4- Une quête de liberté collective : de l’intime au politique

    Malgré ses limitations, La Kabylie en partage offre un tableau poignant des aspirations à la liberté, non seulement des femmes, mais de toute une société en quête de sens face aux bouleversements du monde moderne. Martre dresse des portraits saisissants de femmes « debout », prêtes à payer le prix fort pour s’émanciper. La dimension individuelle de ces luttes est rehaussée par une réflexion plus large sur les conflits générationnels, les écarts entre tradition et modernité, et les fractures engendrées par l’émigration.

    En cela, le livre se hisse au-delà de la simple ethnographie pour devenir un manifeste de résilience, où les victoires individuelles peuvent, selon Martre, devenir des avancées collectives. L’exil, souvent présenté comme une échappatoire, apparaît également comme un choix tragique, synonyme de déchirure identitaire et de nostalgie irréversible. C’est dans cette tension entre enracinement et fuite que le récit trouve sa force narrative, révélant la complexité des trajectoires kabyles.

    La Kabylie en partage est une œuvre d’une grande richesse qui, malgré ses biais, offre un témoignage puissant sur la société kabyle et la condition des femmes dans une Algérie post-coloniale en mutation. Dominique Martre, à travers son regard étranger, capture avec sensibilité les dynamiques d’oppression et de résistance qui façonnent la vie quotidienne des femmes de M’Chedallah. Toutefois, en adoptant une perspective féministe occidentale et en simplifiant parfois les réalités locales, l’ouvrage se heurte à certaines limitations idéologiques et interprétatives. Une approche plus nuancée, prenant en compte les résistances internes et les spécificités culturelles de la Kabylie, aurait permis de rendre ce récit encore plus pertinent dans sa portée ethnographique et littéraire.

Entretien avec Idir Tas, à propos de son livre dédié au regretté Da Said “En mémoire de mon père”

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Propos recueillis par Tahar Khalfoune

 — En ce premier anniversaire de la disparition de ton père, Da Saïd, tu viens de publier aux éditions du Net un livre intitulé « En mémoire de mon père ». Pourquoi as-tu choisi de parler de ton père sous forme de petits tableaux mémoriels ?

 — Parce que je me suis mis à l’écoute de mes souvenirs qui sont revenus selon leur logique propre, au fil des jours, à partir du moment où j’ai appris la mort de mon père. Ce sont d’abord les souvenirs qui m’ont marqué le plus profondément qui sont remontés à la surface, puis peu à peu, d’autres plus anecdotiques, plus récents ont resurgi. À la fin de l’écriture de ce récit, je me suis rendu compte en le relisant, qu’il y avait une trame beaucoup plus chronologique que ce que je pensais.

 — Da Said un homme fort sympathique et discret, tu en fais un héros, pourquoi ?

— Oui, à mes yeux de petit garçon et encore plus d’homme (adulte), mon père était un héros, car même s’il n’a pas œuvré au premier plan, il a risqué sa vie à plusieurs reprises. À l’époque de la Guerre d’Algérie, il vivait à Paris et il était membre de l’OCFLN… Il faisait le guet lors des réunions des chefs de quartier, acheminait du courrier et parfois un peu d’argent venant des cotisations de nos concitoyens.

— (Ainsi), à travers le destin (singulier) d’un seul homme, c’est de toute une génération d’Algériens immigrés dont tu parles en vérité ?

— En effet, en même temps que j’ai essayé de comprendre quel rôle mon père a joué à son échelle, si modeste soit-elle, dans la grande Histoire du peuple algérien au moment où il se libérait du joug du colonial (isme), j’ai retrouvé toute une génération d’hommes qui ressemblaient peu ou prou à mon père et dont la jeunesse avait été sacrifiée par la guerre comme toute personne qui doit participer à un conflit et servir l’intérêt collectif, peu importe le pays et l’époque.

— Da Said a participé à la manifestation bien connue à Paris du 17 octobre 1961 noyée dans le sang par la préfet Maurice Papon. Dans ton récit tu rapportes l’infortune qui a frappé Zadri Mohand-Saïd, originaire du même du village que Da Said, At Saada, et tu as écrit que ton père était hanté par ce souvenir.

— Oui, mon père m’a très souvent parlé de cette histoire et à travers la gravité de sa voix, même si je n’étais encore qu’un enfant, j’ai compris et pris la mesure de la tragédie de l’évènement. Je revois la scène comme si j’y avais assisté. La police française avait lié les mains de Mohand-Saïd derrière son dos et lui avait ligoté les pieds, puis elle l’avait mis dans un sac et l’avait jeté du haut d’un pont dans la Seine. Heureusement que Mohand-Saïd cachait toujours un petit canif dans une de ses chaussettes. Il avait réussi à prendre son couteau et à couper ses liens et, comme c’était un bon nageur, il avait pu échapper à la noyade.

 — tu rapportes un autre fait qui a touché particulièrement Da Said, à savoir l’exécution par des membres de l’OCFLN d’un partisan de Messali El-Hadj.

 — Oui, mon père avait proposé à ce messaliste de payer sa cotisation à sa place, mais il avait refusé. Pour ce partisan, ce n’était pas une question d’argent, mais de principe. Mon père m’avait raconté que lors de son arrivée pour la première fois à Paris en automne 1956, ce messaliste l’avait bien accueilli et il lui avait même acheté une chemise en guise de bienvenue.

— Da Said qui n’est jamais allé à l’école, Akfadou était privé d’école pendant la colonisation, a fréquenté à Paris les cours du soir et il a exercé plusieurs métiers ; en mécanique, en parfumerie, comme plombier et comme économe à l’Ambassade américaine. Y a-t-il un travail qui lui plaisait plus qu’un autre ?

— C’est certainement celui qu’il faisait à l’ambassade des États-Unis. Selon les besoins du personnel diplomatique, il avait exercé plusieurs fonctions : aide-cuisinier, serveur, économe, organisateur de réception… Son supérieur hiérarchique était tellement satisfait de lui qu’il l’avait inscrit à des cours d’anglais. Il lui avait même demandé de l’accompagner à son retour aux États-Unis. Pour les papiers, il se serait occupé de tout. Sa femme et ses enfants l’auraient évidemment accompagné. L’idée de franchir en famille l’Atlantique et de fouler le sol du nouveau continent avait commencé à faire son chemin dans la tête de mon père, mais le sort en avait décidé autrement pour lui, puisqu’il avait été embauché à l’usine de moteurs-tracteurs de Constantine, la SONACOME.

 — Tu racontes dans ton récit, qu’à sa retraite, Da Said vivait dans village à Akfadou et il qu’aimait bien s’occuper des oliviers et grimper aux arbres, même à un âge avancé…

— Oui, jusqu’au jour où il est tombé d’un olivier. Alors je lui ai demandé au téléphone : pourquoi montes-tu encore aux arbres, à ton âge ? Il m’a répondu que les olives bien exposées au soleil sont les plus belles et qu’il ne pouvait pas ne pas les cueillir.

 — Dans ce livre commémoratif, tu évoques de nombreux moments de complicité avec ton père. Il y en a un qui m’a particulièrement touché, le moment où vous alliez ensemble au marché à Constantine.

 — Oui, nous avions l’habitude d’aller au marché tous les vendredis matin et c’était comme un rituel. On nous prenait souvent pour deux frères. Cela nous amusait et renforçait notre complicité. J’aimais bien entendre mon père bavarder avec les vendeurs et le regarder choisir des fruits et des légumes avec des gestes méticuleux. Il était toujours de bonne humeur et il avait la conversation facile. En un mot, il avait du liant et j’appréciais ce trait de caractère.

« Tudert-iw » d’Ahmed Aït Bachir : Une Œuvre Entre Kabylité, Universalité et Émergence d’une Expression Littéraire Féminine

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« D inebgi kan mačči d imezgi.
a Lbacir, ɣas tekna tgecrirt
Ma d allaɣ yugi mayna
Ur nettuɣal d timendeffirt
Ɣas ad neḥrured di lqaɛa. »
 
Poème de Awatneri awlawal

La réédition de Histoire de ma vie de Fadhma Ath Mansour Amrouche, traduite en kabyle par Ahmed Aït Bachir sous le titre Tudert-iw, s’impose comme un jalon incontournable dans la réaffirmation de l’identité kabyle et l’émergence d’une voix littéraire féminine. Dans un contexte algérien et kabyle marqué par des troubles sociaux et politiques, cette œuvre transcende son époque pour devenir un symbole de résistance, d’affirmation culturelle et de lutte pour la reconnaissance. Elle résonne non seulement comme un hommage à la langue et à la culture kabyle, mais aussi comme une affirmation puissante de l’expression féminine dans une société longtemps dominée par le patriarcat.

Fadhma Ath Mansour Amrouche est la première écrivaine algérienne, célèbre pour son autobiographie émotive, Histoire de ma vie, qui narre ses souffrances en tant qu’enfant illégitime dans une société patriarcale. Ce récit culte brise des tabous culturels en abordant des vérités souvent tues. Mère des intellectuels Taos et Jean El Mouhouv Amrouche, elle a forgé une grande personnalité à travers ses épreuves, obtenant son Certificat d’études en 1892. Bien qu’elle ait vécu entre l’Algérie, la Tunisie et la France, elle est restée attachée à sa Kabylie natale. En plus de son roman, Fadhma a enrichi la culture kabyle avec des chants et poèmes traditionnels, coécrivant Le grain magique avec sa fille Taos. Décédée en 1967 en exil en France, elle a laissé une empreinte durable dans la littérature algérienne, célébrée par des auteurs tels qu’Assia Djebar.

Une Voix Féminine Émergeante

Dans Tudert-iw, la traduction d’Ahmed Aït Bachir donne une nouvelle vie à l’autobiographie de Fadhma Ath Mansour, une femme qui, par sa naissance hors mariage, a été condamnée à la marginalisation dans une société patriarcale colonisée. À travers cette œuvre, Fadhma ne raconte pas seulement son propre parcours ; elle devient la voix de toutes les femmes réduites au silence par les structures sociales dominantes. En la traduisant en kabyle, Aït Bachir fait de Fadhma une figure centrale de l’expression littéraire féminine émergente, tout en inscrivant son témoignage dans la mémoire collective kabyle.

Fadhma Ath Mansour n’est plus simplement une victime d’un système, mais une métaphore de la vie, de la maternité et de la création. À travers ses récits, elle enfante non seulement des enfants, mais aussi des idées, des œuvres d’art, et des éclats de lumière dans les ténèbres. Fadhma devient ainsi la matrice d’une littérature féminine kabyle naissante, une expression de la complexité et de la dualité de l’existence, qui porte en elle l’héritage du rejet et de l’amour, de la douleur et de l’espoir.

Un Phare de la Résistance Féminine

L’émergence de cette voix féminine est un acte de résistance contre les structures sociales patriarcales et coloniales. Tudert-iw devient non seulement un récit personnel, mais aussi une revendication collective. Fadhma, par sa parole, éclaire le chemin pour d’autres femmes qui cherchent à s’émanciper des normes sociales oppressantes. Cette œuvre est un phare, une lanterne qui éclaire ceux qui continuent à naviguer dans les eaux troubles de l’exil, de l’indifférence et de l’injustice.

Cette résistance féminine, telle qu’incarnée par Fadhma, s’inscrit dans une tradition littéraire émergente où les femmes prennent la parole pour raconter leur propre histoire, leur propre lutte. Le fait qu’Aït Bachir ait choisi de traduire ce récit en kabyle renforce cette dynamique : il fait de la langue kabyle un outil d’émancipation féminine, un moyen pour les femmes de se réapproprier leur histoire et de la transmettre aux générations futures.

Kabilité et Universalité : Le Dialogue entre les Cultures

Le travail d’Ahmed Aït Bachir va bien au-delà de la simple traduction d’un texte autobiographique. En traduisant Histoire de ma vie en kabyle, il met en lumière une dualité : celle d’une culture kabyle longtemps cantonnée à l’oralité et celle d’une universalité qui transcende les frontières linguistiques. Comme le disait Léon l’Africain, « de ma bouche, tu entendras l’arabe, le turc, le castillan, le berbère, l’hébreu, le latin et l’italien vulgaire, car toutes les langues, toutes les prières m’appartiennent. Mais je n’appartiens à aucune. » Cette citation résonne comme un écho à la démarche d’Aït Bachir, qui fait de la traduction un pont entre les cultures, entre la kabylité et l’universalité.

En rendant accessible ce récit dans la langue kabyle, Aït Bachir permet à la culture kabyle de s’inscrire dans le concert des langues et des cultures du monde. Cette œuvre dépasse le cadre régional pour rejoindre une réflexion plus vaste sur la résistance des femmes, sur l’affirmation de soi, et sur la transmission de la mémoire collective.

La Traduction Comme Acte de Résistance

Le travail d’Ahmed Aït Bachir se distingue également par son engagement à revitaliser la langue kabyle. Dans un monde où les langues minoritaires sont souvent menacées, sa traduction de Tudert-iw est un acte de résistance. Il ne s’agit pas simplement de transposer des mots, mais de conserver l’essence de l’œuvre tout en respectant les subtilités de la langue kabyle. En redonnant une voix à Fadhma Ath Mansour, il réinscrit la kabylité dans une modernité littéraire et culturelle.

Cette traduction souligne également l’importance de permettre aux femmes de s’exprimer dans leur propre langue. La langue kabyle, ici, devient un espace de résistance, un lieu où les femmes peuvent revendiquer leur droit à raconter leurs histoires, à faire entendre leur voix, et à participer à la construction de leur société.

L’Émergence d’une Littérature Féminine en Kabyle

Tudert-iw marque un tournant dans l’émergence d’une littérature féminine en kabyle. En donnant une nouvelle vie à ce récit, Aït Bachir participe à la création d’un espace où les récits féminins peuvent s’épanouir et s’affirmer. Cette œuvre devient un modèle pour d’autres femmes qui, comme Fadhma, cherchent à s’émanciper des contraintes sociales et à revendiquer leur place dans la société kabyle.

Le fait que cette traduction soit réalisée par un homme renforce également l’idée d’une solidarité universelle dans la lutte pour l’égalité et la reconnaissance des femmes. Aït Bachir, par son travail, montre que la lutte féminine n’est pas une affaire de genre, mais une affaire d’humanité.

Une Œuvre Universelle Portée par une Identité Kabyle

Tudert-iw parvient à conjuguer à la fois la kabylité et l’universalité. L’histoire de Fadhma Ath Mansour, bien que profondément enracinée dans la culture kabyle, porte en elle des questions universelles : la lutte pour l’émancipation féminine, la résistance contre l’oppression, et la quête d’identité dans un monde en perpétuel changement. Cette œuvre, traduite en kabyle, devient le miroir d’une humanité en lutte pour sa dignité.

En ce sens, Tudert-iw incarne parfaitement l’idée que la littérature, et plus particulièrement la traduction, est un vecteur de résistance contre le repli identitaire. Elle permet à une culture de se renouveler, de s’ouvrir à d’autres horizons, tout en restant fidèle à elle-même.

L’Expression Littéraire Féminine Comme Force de Transformation

En somme, Tudert-iw d’Ahmed Aït Bachir incarne l’émergence d’une expression littéraire féminine qui résonne à travers la kabylité, tout en touchant à l’universalité. La traduction devient ici un acte de résistance contre l’oubli, un moyen de préserver une langue et une culture tout en lui insufflant une nouvelle vie. Grâce à ce travail, Fadhma Ath Mansour continue de briller comme un symbole de la résistance féminine, un éclat de lumière dans les ténèbres de l’histoire.

À travers cette œuvre, Ahmed Aït Bachir nous rappelle que la voix des femmes, souvent étouffée, est essentielle non seulement à la construction d’une identité collective, mais aussi à la création d’un avenir plus juste et équitable. Tudert-iw est bien plus qu’une traduction ; c’est une réinvention.

Bouzid Amirouche

Nouvel An Berbère 2975 : Timimoun va abriter les festivités officielles

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Si El-Hachemi Assad, le secrétaire général du Haut-commissariat à l’amazighité (HCA), a annoncé ce mercredi que les festivités officielles du nouvel an berbère 2975 se déroulerons à Timimoune.

Lors de la visite qu’il effectue dans le grand Sud pour sensibiliser sur l’importance de l’usage localement de la langue amazighe, dans sa variante targuie, Si El-Hachemi Assad a annoncé ce mercredi 2 octobre depuis In Salah, que les festivités officielles du nouvel An berbère se tiendront à Timimoune, et ce, conformément aux directives d’Abdelmadjid Tebboune. Le responsable du HCA a également indiqué que la cérémonie de remise du prix du Prix du Président de la République de la littérature et de la langue amazighe pour sa cinquième édition, du 10 au 12 janvier 2025, se déroulera également à Timimoune.

Il a souligné, en outre, l’intérêt de « poursuivre le travail en vue de trouver les meilleurs moyens de valoriser le patrimoine immatériel amazigh, dans sa variante locale targuie ».

S’agissant du projet de dictionnaire propre à la variante targuie de la langue amazighe, M. Assad a annoncé « l’installation prochaine d’un groupe de travail spécialisé pour ce projet, encadré par des compétences locales, dont des universitaires, enseignants et étudiants en langue et culture amazighes de l’université de Tamanrasset, et soutenu par des linguistes et épistémologues ».

Une démarche qui sera, dit-il, accompagnée de « l’organisation d’une rencontre de formation en direction de ce groupe de travail, à l’effet de donner forme à ce projet selon les objectifs escomptés ».

Espionnage pour le compte de la France et guerre des clans : L’ex-DGSN Farid Bencheikh écroué

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L’ex-DGSN Farid Zineddine Bencheikh a été présenté ce samedi 28 septembre par-devant le procureur militaire du tribunal de Blida, avant d’être auditionné jusque tard dans la nuit par le juge d’instruction de cette juridiction militaire, qui a décidé de le placé en détention provisoire en attendant l’avancement de l’instruction judiciaire dans une affaire de « connexion » avec des cyberactivistes à l’étranger, ainsi qu’avec un ancien ambassadeur de France en Algérie et un officier (de la DGSE) au sein de l’ambassade de France à Alger.

Suite à une enquête préliminaire confié aux officiers de la direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA), Farid Bencheikh, limogé après la découverte le 28 décembre 2023, à l’aéroport d’Orly en France, d’un Algérien caché dans le train d’atterrissage d’un avion d’Air Algérie, en provenance d’Oran, ne cesse d’être dans l’œil du cyclone. Dès avril 2024, des rumeurs ont commencé à circuler sur son implication dans des affaires d’espionnage pour le compte d’un pays, devenu un véritable ennemi pour l’Algérie, à savoir les Emirat arabes unis. Après son audition en avril, l’ex-DGSN a été remis en liberté. Mais cela ne l’a pas empêché de poursuivre son combat dans le cadre de la féroce guerre des clans qui secoue, depuis des décennies le régime algérien et qui s’est accentuée avec le début du hirak et le coup d’Etat opéré par l’ancien chef d’Etat-major Ahmed Gaïd Salah.

Dans leur guerre des clans, les généraux et hauts responsables algériens utilisent souvent des cyberactivistes établis à l’étranger comme porte-paroles officieux. Un moyen de déstabiliser leurs adversaires des autres clans à travers des révélations et la fuite de certains dossiers sensibles et compromettants.

Tout aurait commencé avec le vol à Paris du smartphone de Saïd Bensdira, un cyberactiviste établi à Londres. Le téléphone volé à Paris, s’est retrouvé sur le bureau du chef de la police. Après son ouverture, celui-ci a découvert des informations sur plusieurs personnalités importantes à la présidence de la République, de l’ANP et autres hauts fonctionnaires de l’Etat.

Des informations en possession de cyberactivistes comme Amir Boukhors, dit Amir DZ ou encore le journaliste et ex-officier des services algériens Hichem Aboud. Farid Bencheikh avait, dans un rapport adressé à la présidence de la République, fait état d’un complot ourdi contre Abdelmadjid Tebboune. Ce n’est après le limogeage du désormais ex-DGSN qu’une enquête menée par les éléments de la DCSA a pu « aboutir », menant à des arrestations parmi les proches collaborateurs de Bencheikh. L’audition de ces derniers n’a pas donner de résultats concluants contre l’ex-DGSN qui avait contrairement à ses collaborateurs été relâché et placé sous contrôle judiciaire. Mais une enquête complémentaire de la DCSA aurait permis, cinq mois après, de remonter à Bencheikh. Il s’agit selon les informations que certains clans de la DCSA ont fait fuité d’une «opération de déstabilisation des institutions de l’Etat, à travers des attaques simultanées et croisées, dirigées contre les plus hauts responsables des services et leurs subordonnés par le biais de relais médias électroniques en Algérie et à l’étranger».

Ainsi, l’ex-architecte de la répression du Hirak et de la répression contre les militants pacifiques se retrouve poursuivi pour des accusations très graves. Il risque également d’être accusé pour «abus de fonction», «trafic d’influence», «atteinte aux institutions de l’Etat» et «connexions avec un ancien ambassadeur de France à Alger et un des chefs d’antenne de la chancellerie».

Cette guerre des clans qui ne cesse de s’intensifier, depuis qu’Ahmed Gaid Salah a ouvert le bal des emprisonnements des généraux, ne fait qu’affaiblir le régime algérien.

L’ONU exige l’annulation de la peine de la poétesse du Hirak 

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Dans son rapport rendu public ce lundi 30 septembre, l’ONU, au terme d’une procédure spéciale, a exigé des autorités judiciaires algérienne l’annulation de la peine prononcée à l’encontre de la poétesse du Hirak, Djamila Bentouis.

« La Cour d’appel algérienne doit annuler la peine d’emprisonnement de la poétesse du Hirak Djamila Bentouis et la blanchir de tous les chefs d’accusation, ont déclaré aujourd’hui des experts de l’ONU », lit-on dans le rapport onusien, établi par le groupe de travail contre la détention arbitraire de l’ONU, la rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels, la rapporteuse spéciale sur la liberté d’opinion et d’expression, la rapporteuse spéciale sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, le rapporteur spécial sur les droits de l’homme et la lutte anti-terrorisme.

“Nous sommes outrés par la pratique du Gouvernement, consistant à museler un mouvement de contestation politique en arrêtant et détenant arbitrairement des personnes qui osent s’élever et s’exprimer”, ont dit les experts. Et d’ajouter « nous sommes profondément préoccupés par le maintien en détention de Mme Djamila Bentouis, la condamnation en juillet dernier à deux ans de prison et à 100.000 dinars algériens d’amende pour sa participation au mouvement de protestation sociale Hirak ».

Pour les experts onusiens les charges pénales retenues contre Mme Bentouis seraient directement liées à l’exercice de son droit à la liberté d’expression, y compris l’expression artistique et demandent par conséquent aux autorités algériennes de se conformer au droit international en « d’annuler sa condamnation et l’innocenter de toutes les charges qui pèsent sur elle »

« Par ses poèmes et chants patriotiques, Mme Bentouis a participé au Hirak. Ses textes ont été repris par les manifestants algériens. Mme Bentouis a également enregistré certaines chansons sur le Hirak, largement partagées sur les réseaux sociaux, et a l’habitude de réciter publiquement ses poèmes à Paris », rappelle le rapport en question.

Pour les auteurs du rapport, l’emprisonnement et la condamnation de Mme Bentouis, vise clairement à obtenir un effet dissuasif sur l’ensemble de la population.

L’Algérie semble sourde aux recommandations de l’ONU, faites en septembre 2023, d’abandonner toutes les poursuites à l’encontre et gracier les personnes condamnées pour l’exercice de leurs droits légitimes.

Les auteurs du rapport s’inquiètent également des accusations initiales de graves crimes que l’Algérie colle à la légère aux opposants et citoyens qui pratiques leurs droits légitime, tel que « l’atteinte à l’intégrité et à la sécurité de l’État et appartenance à une entité terroriste ».

« La poursuite de Mme Bentouis pour terrorisme en vertu de l’article 87 bis et d’autres infractions liées à la sécurité nationale dans le code pénal peut porter atteinte à la liberté d’expression et d’association en Algérie de manière plus générale. Cela pourrait particulièrement affecter les secteurs artistiques et culturels, les Algériens vivant à l’étranger et l’espace civique dans son ensemble », ont déclaré les experts de l’ONU, qui espèrent vivement que l’Algérie respectera ses obligations internationales en matière de droit à la liberté d’expression lors de la décision en appel de ce cas devant la cour de justice d’Alger, le 2 octobre 2024.