Printemps 2025. Le monde change, les sociétés s’agitent, les crises s’accumulent. Mais face à cette complexité, les États, eux, ont trouvé leur réponse : le décret. Simple, rapide, vertical. Une décision sans débat, un texte sans dialogue. Le décret, aujourd’hui, est à la politique ce que le pansement est à l’amputation : un geste rassurant, mais rarement salvateur.
Deux pays, deux régimes, une même tentation : celle de gouverner sans gouverner. En France, le décret incarne une technocratie sous stéroïdes. En Algérie, c’est le totem d’un pouvoir qui s’invente en récitant ses propres formules magiques.
France : une République gouvernée comme une app
En France, le pouvoir s’exerce en mode « silent update ». Plus besoin de convaincre, ni même de consulter : on publie. Le décret est devenu le raccourci favori d’une classe dirigeante qui redoute l’obstacle démocratique autant qu’un bug dans un logiciel.
En avril, la réforme controversée sur l’« IA éthique » est passée comme un téléchargement automatique : adoptée par ordonnance, discutée à peine, digérée jamais. Le Conseil constitutionnel, garant supposé de l’équilibre des pouvoirs, a regardé ailleurs. Quant à la presse, elle s’est brièvement indignée avant de se remettre à couvrir l’actualité… météo.
Les libertés publiques, elles, sont devenues optionnelles. La reconnaissance faciale est « encadrée », les manifestations sont « régulées », le vote électronique est « sécurisé ». La gouvernance devient un protocole algorithmique : le citoyen, un utilisateur sans accès root.
L’État, jadis moteur de projet collectif, s’est mué en plateforme de services. Il réagit, il compense, il gère. Jamais il n’inspire. En multipliant les mini-réformes par décret, il donne l’illusion du mouvement… en évitant soigneusement la direction.
Algérie : l’État incantatoire et l’illusion souveraine
En Algérie, le décret ne vient pas clore un débat — il le remplace. C’est une déclaration d’existence dans un paysage politique figé. Le pouvoir ne gouverne pas : il proclame. Chaque décret est un acte de présence, un rituel républicain qui mime la réforme sans la faire.
En 2025, l’Algérie continue d’enchaîner les annonces : lutte contre la corruption, relance économique, sécurité nationale. Autant de promesses répétées, jamais réalisées. Le décret devient ici une forme de storytelling institutionnel, où chaque signature vise à rassurer une population qui n’y croit plus.
Sur le plan régional, l’Algérie se rêve en médiateur du chaos sahélien. En réalité, elle s’y noie. Le gazoduc transsaharien, censé incarner la grandeur géoéconomique de la décennie, est suspendu entre instabilité politique et diplomatie d’apparat. Quant aux contentieux avec le Maroc ou la France, ils servent surtout à occuper le vide stratégique.
Le décret algérien, loin d’être un outil de réforme, est une opération de communication. Il maintient les apparences : celles d’un État fonctionnel, d’un pouvoir actif, d’une souveraineté maîtrisée. Mais derrière le rideau, tout vacille. Le système fonctionne sur l’inertie, la rente et la peur de l’alternance.
Le décret : cache-misère ou stratégie d’évitement ?
Ce qui unit la France et l’Algérie, c’est une même dérive : le décret comme ersatz de gouvernance. Dans les deux cas, le politique se dérobe. L’un par hyper-rationalisation technocratique, l’autre par peur du réel.
En France, décréter, c’est gagner du temps. On réforme sans dialogue, on évite le tumulte parlementaire. C’est la gestion du court terme, au service d’une stabilité fictive. En Algérie, décréter, c’est repousser l’effondrement. On brandit l’autorité sans assumer le changement. C’est la survivance par le verbe.
Et dans les deux cas, le résultat est le même : un pouvoir qui parle à la place d’agir. Un pouvoir qui prétend maîtriser, alors qu’il ne fait que contenir.
Conclusion : une république du texte vide
Le décret était jadis l’outil d’un pouvoir fort, capable de trancher dans l’urgence. Il est devenu aujourd’hui le masque d’un pouvoir faible, incapable d’inspirer. Dans les deux cas, il témoigne d’un glissement : gouverner ne consiste plus à faire des choix, mais à les simuler.
« Là où l’on pensait gouverner, il ne reste que des signatures au bas de pages que plus personne ne lit. »
Dans cette époque où tout est communication, le décret est un geste qui rassure l’appareil, pas les peuples. Il console le politique, mais trahit la démocratie. Il produit du texte, mais pas de sens. Il impose, mais ne construit rien.
Au final, en 2025, un État par décret n’est ni une solution, ni un destin. Juste un symptôme. Celui d’une politique devenue gestion, et d’une gouvernance qui, faute de vision, s’accroche à la forme.
Le dinar algérien ne vaut plus grand-chose. Ni sur le marché, ni dans le cœur des citoyens. Ce n’est plus une monnaie, c’est un aveu de faiblesse. Dans les rues des grandes villes du pays ce sont l’euro et le dollar qui dictent leur loi. Et pendant que la Banque d’Algérie publie un taux officiel sans surprise, le vrai taux se négocie à l’ombre, en espèces, dans un marché parallèle devenu norme.
Voilà l’état de notre souveraineté monétaire : une fiction administrative, démentie quotidiennement par la réalité économique.
Officiellement, le marché informel est combattu. Officieusement, il est toléré, parfois même utile pour désamorcer la colère populaire. Officiellement, le dinar est stable. Officieusement, il ne permet plus de changer une voiture vieillissante ou d’acheter un mouton pour l’Aïd. Officiellement, nous parlons de “relance économique”. Officieusement, nous stagnons depuis quatre décennies. Le citoyen algérien, lui, n’a pas besoin de rapports officiels : il le voit à la caisse du supermarché, dans les frais scolaires de ses enfants, dans son pouvoir d’achat en ruine.
Soyons clairs : cette situation n’est pas née d’une malédiction économique. Elle est le produit d’un système fondé sur la rente, sur l’importation comme modèle de croissance, et sur une gouvernance qui préfère l’improvisation aux réformes structurelles. Dans un pays aussi riche en ressources et en talents, l’érosion du dinar n’est pas une fatalité, mais une responsabilité politique.
Oui, des contraintes extérieures existent. La dépendance historique aux hydrocarbures pèse lourd, les instabilités régionales ajoutent des incertitudes, et les marchés mondiaux ne font pas de cadeaux. Mais justement : c’est dans ces moments que les nations souveraines tracent leur propre voie. Ce que nous vivons n’est pas une conséquence de la mondialisation, mais de notre incapacité à la préparer et à y répondre avec lucidité.
Revaloriser le dinar n’est ni un slogan technocratique, ni une utopie nationaliste. C’est un projet politique exigeant, qui passe par la reconquête de la confiance – à la fois des citoyens et des investisseurs. Il implique un changement de cap économique : production locale, transformation industrielle, exportations hors hydrocarbures, réforme fiscale équitable, bancarisation intelligente, lutte réelle contre la fuite de capitaux. Cela suppose aussi de véritablement libérer l’initiative privée, contrôler les mouvements de capitaux sans asphyxier l’économie réelle, et de faire confiance à la société civile dans sa capacité à créer de la valeur.
Une monnaie nationale n’est pas un simple outil de transaction. C’est un miroir de la solidité d’un État, de la cohérence de sa politique, de la confiance qu’il inspire. Lorsque le dinar perd sa valeur, c’est le contrat de confiance entre l’État et ses citoyens qui se fissure. Il ne s’agit donc pas seulement d’économie, mais de justice. Car une monnaie faible, c’est une inflation forte. Et cette inflation, comme toujours, frappe d’abord les plus modestes. Ceux qui ne peuvent pas thésauriser en euros, ni ouvrir un compte offshore.
Redonner sa valeur au dinar, c’est rétablir l’égalité des chances. C’est garantir l’accès équitable aux soins, à l’éducation, à la mobilité. C’est mettre fin à l’économie à deux vitesses, où les plus favorisés accèdent à la devise et les autres s’enfoncent dans la précarité.
Enfin, redonner au dinar sa place, c’est affirmer que notre souveraineté n’est pas un mot vide. C’est admettre que l’Algérie ne peut prétendre à une place digne dans le monde si elle ne maîtrise pas sa propre monnaie. Cela demande de la rigueur, du courage, et surtout une vision. Pas des incantations patriotiques, pas des lois de finances à courte vue.
Alors oui, pour l’instant, nous restons les champions du taux parallèle, les maîtres du double discours et les rois de l’évasion monétaire. Mais rassurez-vous : sur les affiches et dans les cérémonies officielles, l’Algérie reste “victorieuse”. Pas contre l’inflation. Pas contre la fuite des talents. Pas contre la pauvreté. Non. Une victoire de façade, pour un peuple à qui l’on demande d’applaudir pendant qu’on lui vide les poches.
L’avocat et ancien magistrat administratif Ahmed Souab a été arrêté ce lundi matin par une unité sécuritaire relevant du Pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme. Dix agents lourdement armés ont fait irruption à son domicile, procédant à une perquisition musclée, avant de le transférer à la caserne de Bouchoucha où il a été placé en garde à vue pour une durée de 48 heures, sur la base de la législation antiterroriste.
Cette arrestation brutale fait suite à la diffusion d’un extrait vidéo sur les réseaux sociaux, dans lequel Maître Souab livrait une analyse critique du fonctionnement de la chambre criminelle spécialisée dans les affaires de terrorisme, à l’issue de l’audience du 18 avril dernier dans l’affaire dite du « complot contre la sûreté de l’État ». Dans ce passage, l’ancien juge décrivait la situation du président de la chambre comme étant sous menace et intimidation directe, compte tenu du dévouement de la justice à l’exécutif, qui détient aujourd’hui tous les leviers de nomination, de révocation et de pression sur les magistrats.
Ce diagnostic – que partage une large partie des observateurs – s’inscrit dans une lecture factuelle et critique de l’effondrement de la séparation des pouvoirs et de la soumission du pouvoir judiciaire à l’appareil présidentiel. Le propos d’Ahmed Souab, qui ne contient en aucun cas de menace explicite ou implicite, a néanmoins été présenté de manière tronquée et alarmiste, sous l’effet d’une campagne de manipulation et d’instrumentalisation politique orchestrée sur les réseaux sociaux.
Son interpellation s’inscrit dans une stratégie systématique de répression des voix critiques, notamment des avocats engagés dans la défense des détenus d’opinion. Elle soulève de sérieuses inquiétudes quant au respect des garanties procédurales : absence de mandat d’amener, recours disproportionné à la force et détournement de la législation antiterroriste à des fins de persécution politique.
Nous exprimons notre solidarité totale avec Ahmed Souab, figure de probité et de courage dans le combat pour les libertés publiques en Tunisie. Nous dénonçons avec la plus grande fermeté cette nouvelle atteinte à la liberté d’expression, à la défense et à l’État de droit.
Le CRLDHT appelle :
À la libération immédiate et inconditionnelle de Maître Ahmed Souab;
À l’arrêt de la criminalisation des opinions juridiques critiques ;
Et à la mobilisation des instances nationales et internationales pour faire cesser la répression croissante contre les avocat-e-s, journalistes, syndicalistes, opposants et défenseur-e-s des droits humains.
L’arrestation d’Ahmed Souab n’est pas un fait divers : elle est le symptôme alarmant d’un pouvoir qui ne tolère plus aucune dissidence.
Chronique printanière sur un Maghreb qui se regarde en chiens de faïence. Parfois, la géopolitique maghrébine ressemble à une vieille pièce de théâtre où les acteurs refusent de changer de costume, mais renouvellent sans cesse les accessoires.
D’un côté, un roi qui soigne son image, multiplie les partenariats, les accolades diplomatiques, les deals de drones et les sommets feutrés. De l’autre, un président qui tient haut la bannière de la souveraineté, dénonce l’ingérence, toise les voisins, et célèbre chaque contrat gazier signé avec la Russie ou la Chine comme une gifle à l’Occident.
Entre Rabat et Alger, les gestes sont nouveaux, mais la rivalité est vieille comme les palmiers.
Le roi du Maroc, stratège feutré, a troqué le burnous pour le veston d’affaires. Il serre des mains à Tel-Aviv, reçoit des F-16, sourit à Macron quand il le veut bien, et surtout, fait mine de ne pas voir l’Algérie.
Il vend un modèle de stabilité à géométrie variable, en s’alignant là où ça paie : États-Unis, Israël, Émirats… Peu importe la cohérence, pourvu que la carte du Sahara soit dans les bonnes poches.
En face, le président algérien rejoue le non-alignement sauce 2025. Un cocktail de défiance vis-à-vis de l’Occident, d’hommages à la lutte anti-impérialiste, et d’accords bien huilés avec Pékin et Moscou. Il ne normalise pas, il moralise. Il ne pactise pas, il patiente. Tout le monde est suspect, sauf ceux qui ne demandent rien — surtout pas des comptes.
Les deux capitales tissent leur toile, mais pas la même soie.
Rabat regarde vers Tel-Aviv, Washington et Abou Dhabi. Alger vers Moscou, Pékin, et parfois Téhéran — à distance prudente.
Le Sahara occidental est la ligne de fracture, l’obsession mutuelle, le chiffon rouge dans un Maghreb qui refuse de se parler autrement qu’à travers des communiqués acides.
Et pendant ce temps ?
Le Maghreb économique reste une utopie. Les frontières terrestres sont fermées. L’Union du Maghreb arabe est un souvenir sur Wikipédia. Et l’Afrique, qu’on se dispute dans les discours, avance sans eux, entre projets chinois, startups nigérianes et diplomatie rwandaise.
Le roi est seul, car trop aligné. Le président est seul, car trop rigide. Le premier a des partenaires, mais pas toujours des amis. Le second a des convictions, mais souvent peu d’alliés solides.
Le roi a les honneurs d’un Occident qui aime les régimes « stables », mais regarde ailleurs dès que la démocratie éternue.
Le président a le respect des principes, mais pas toujours les moyens de ses ambitions. Tous deux sont souverains, certes, mais la souveraineté est devenue une monnaie : il faut savoir l’échanger sans se vendre.
Et le peuple, dans tout ça ? Il regarde. Il attend. Il rêve d’emploi, d’ouverture, de circulation. Mais il hérite d’une diplomatie fossilisée, d’une guerre froide régionale servie avec des hashtags.
Les jeunes Marocains partent à Dubaï ou en Europe. Les jeunes Algériens à Montréal ou dans des bateaux. Le Maghreb de 2025 est moderne à l’extérieur, rouillé à l’intérieur.
Un roi, un président… et mille alliances pour une même solitude. Pas de paix, pas de guerre. Juste ce grand entre-deux maghrébin, nourri de rancunes et de gestes politiques sans vision commune.
Et pendant que les puissances s’installent, investissent, influencent, le rêve maghrébin — lui — reste en transit quelque part entre Tanger et Tamanrasset.
Plusieurs pistes de recherche peuvent être explorées. L’analyse est brillante mais elle sous-estime le poids de l’histoire coloniale et des blessures non cicatrisées. La rivalité maroco-algérienne est aussi une guerre de mémoire. Elle ne se résoudra pas avec des accords ou des drones, mais par un véritable travail de réconciliation des récits. »
Le roi et le président ont chacun leurs raisons, leurs contraintes. La complexité du Maghreb ne peut se résumer à un duel d’egos. La chronique oublie que des mécanismes de coopération existent, en coulisses, souvent invisibles, mais bien réels. »
La piste nationaliste algérienne : encore un article qui confond souveraineté et isolement. L’Algérie ne s’aligne pas parce qu’elle a une colonne vertébrale. Mieux vaut être seul que sous influence israélienne ou atlantiste. »
la piste royaliste marocaine : le Maroc avance, investit, rayonne. Si le président est jaloux, qu’il ouvre ses frontières. Le roi, lui, agit. Les critiques sur les alliances sont absurdes dans un monde interconnecté. »
La piste jeune génération /ironique : un roi, un président… et nous, les jeunes, on swipe à gauche sur les deux. Qu’ils règlent leurs comptes, on a TikTok, l’exil ou les start-ups pour vivre ailleurs. »
La piste réaliste / fataliste : le Maghreb n’a jamais vraiment fonctionné ensemble. Ce n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est que désormais tout le monde fait semblant d’y croire… sauf les populations. »
La piste des média étranger / observateur extérieur : à l’heure où le monde se régionalise, le Maghreb se fragmente. Vu d’Europe ou d’Afrique, c’est une aberration stratégique. Deux puissances moyennes qui sabotent leur avenir commun pour des raisons internes. »
Conclusion
Le Maghreb, en ce printemps 2025, n’est ni en guerre ni en paix. Il est en suspens. Deux États, deux modèles, deux orgueils qui s’observent sans se comprendre. L’un multiplie les poignées de main à l’international, l’autre les postures de défi. Et entre ces deux solitudes souveraines, aucun pont, juste des lignes rouges et des postures de parade.
Peut-être qu’au fond, la véritable tragédie n’est pas qu’ils se détestent, mais qu’ils ne se manquent même plus.
Moralité
« Quand deux puissances régionales refusent de se parler, ce ne sont pas leurs peuples qui s’éloignent, ce sont leurs ambitions qui se ratatinent.
Quand deux frères se battent, ce sont les étrangers qui héritent du patrimoine. »
Témoignage. Le 18 avril 2001, Guermah Massinissa est assassiné dans une brigade de gendarmerie à Beni Douala, à Tizi Ouzou. Le lendemain, l’information est relayée par le journal Liberté.
Le 22 avril 2001, des collégiens, en route pour une séance de sport, sont arrêtés par la gendarmerie à Amizour, dans la wilaya de Béjaïa. Leur “faute” : avoir chanté un chant berbère… C’était le summum de la provocation. Les émeutes commencent le soir même. Trois jours plus tard, c’est toute la vallée de la Soummam qui entre en ébullition. Ighzer Amokrane, haut lieu de la Révolution et du Congrès de la Soummam, s’enflamme. Le 25 avril 2001, un convoi de CRS tire à balles réelles sur des jeunes pacifiques. La première victime tombe sous les balles : Imekhmoukhen Kamel, 18 ans. D’autres suivent : Saidani, Chila…
Kamel est la première victime à tomber après Guermah Massinissa. Les jeunes, révoltés, refusaient de laisser passer cela. Ils réclamaient justice, surtout après la déclaration insultante du ministre de l’Intérieur, qui, pour justifier la mort de Guermah, l’avait qualifié de “voyou” lors du journal télévisé de 20h. En réponse, les jeunes scandèrent un slogan devenu emblématique de ce nouveau mouvement : “Ulac Smah” — “Pas de pardon”. Ils exigeaient la vérité, la justice, et le départ immédiat des gendarmes. Guermah, rappelons-le, avait été tué à l’intérieur même d’une brigade de gendarmerie.
Akbou, ville limitrophe d’Ighzer Amokrane, est en ébullition. La tension est déjà palpable.
Pour ma part, moi qui avais décidé de décrocher, de prendre du recul après les grandes désillusions liées aux divisions ayant secoué le MCB et le mouvement démocratique… Après le 20 avril 2000, j’avais pris la décision de m’occuper de moi-même. Je suivais alors les événements de loin, mais non sans intérêt.
Le 26 avril 2001, je me lève comme d’habitude pour me rendre à mon travail. Je travaille toute la journée dans un village de la commune d’Ighil Ali, isolé, loin de toute information. Le soir, sur le chemin du retour, en arrivant au village, on aperçoit déjà de la fumée à l’horizon. Des pneus brûlent sur la route. J’étais avec Moussa et Mohand. En entrant dans Akbou, c’est une scène de guerre : routes fermées, lampadaires renversés bloquant le passage, fumée et barricades sur toute la nationale 26.
Face à la situation, conscients des dangers et des risques de dérapage, nous comprenons qu’on ne peut pas rester indifférents. Il faut agir, s’organiser. Il est hors de question de laisser des enfants, des collégiens, seuls face aux services de sécurité. Le bilan est déjà lourd : quatre morts…
Le soir même, nous prenons contact avec Djamel Benseba. On se dit qu’il faut s’impliquer, qu’on ne peut plus rester spectateurs. Alors, on se donne rendez-vous pour le lendemain matin, à 9 h.
Le 26 avril 2001, comme convenu, nous nous retrouvons à la place Colonel Amirouche, face à la mairie. Abderrahmane Benseba, maire d’Akbou, vient à notre rencontre. Il a le pied dans le plâtre, mais malgré cela, il est là. Il nous dit simplement : « La mairie est à votre disposition. Faites quelque chose. La situation est grave. »
Et en effet, l’inquiétude est partout. Elle pèse lourdement sur la ville. La veille, à Ighzer — ville voisine d’Akbou — trois jeunes ont été tués par balles, et de nombreux blessés ont été transférés à l’hôpital d’Akbou. L’information s’est propagée comme une traînée de poudre dans toute la région. Le choc est profond, la tension à son comble.
On se donne le mot : une réunion de crise est prévue à 11h, à la mairie. Tous les représentants des partis, des organisations et de la société civile sont conviés à une réunion de concertation.
Tout le monde est là. La discussion tourne rapidement autour de la nécessité urgente de s’impliquer, de ne pas laisser les collégiens et les jeunes livrés à eux-mêmes dans la rue. L’objectif est clair : soutenir le mouvement, mais s’organiser, éviter les dérapages, contenir la violence, prévenir le pire. Un appel à la retenue et à la désescalade est rédigé, adressé aussi bien aux autorités et aux forces de sécurité qu’aux jeunes mobilisés. Un comité de crise est mis en place.
Mais ce que nous redoutions le plus ne tarde pas à se produire. En pleine réunion, la terrible nouvelle tombe : un premier blessé par balle vient d’être signalé du côté des lycées. Il s’agit de Djadda Idir. Quelques minutes plus tard, un autre nom : Ikken Sofiane, un collégien de 13 ans, touché par balle à l’abdomen. Sofiane… c’est lui, sur la photo, à gauche.
La marche des collégiens arrive déjà sur la place d’Akbou. Ils sont en colère, déterminés, prêts à en découdre avec les forces de l’ordre. Nous essayons de les calmer, de leur parler, de les contenir. Ils nous rétorquent avec rage :
« On vous connaît… vous, les militants pacifistes. On a marché derrière vous pendant une décennie, pacifiquement. À Alger, à Béjaïa, à chaque fois on se fait tabasser par la police, et puis on rentre chez nous. Et rien ne change. Rien ! On ne peut plus continuer comme ça. Ce système est violent, il ne comprend que le langage de la violence. Ils ne peuvent pas nous tuer : on est déjà morts. »
On marche avec eux jusqu’au tribunal, on voulaient passer le message , on voulait gagner leurs confiance, nouer le dialogue … C’était important pour nous, après la marche on forme une délégation ; il fallait discuter avec les chefs des services de police, les renforts écumait le commissariat , plusieurs et fourgons de police stationné en face dans le siège du service de l’hydraulique… On était a 7 dans la délégation; le message était de demander a la police d’arrêter l’utilisation des armes de guerre face a des enfants et de cesser les tirs a balles réelles et les tirs tendus avec les bombes lacrymogènes sur les foules… L’échange était tendu , les chefs de la police disent qu’ils ont ordre de protéger les institutions de souveraineté et qu’ils ne reculeront pas, ils voulaient nous renvoyer la balle a nous , c’est a nous de contenir les jeunes et les calmer ; Ia répondu que la provocation est venu du régime surtout avec la déclaration du ministre de l’intérieur au JT de 20 h traitant Massinissa de voyou pour justifier son assassinat.
La journée du 26 avril fut intense, chargée d’émotion et de tension.
Guendouza, sur la route nationale, était devenue l’artère principale du mouvement. Le carrefour, bloqué par une grosse citerne métallique, servait de point de ralliement. C’est de là que partaient toutes les marches. Les jeunes avaient rebaptisé la place “El Qods”. Chaque matin, des milliers de jeunes affluaient de toutes les communes alentour. La citerne faisait office d’estrade improvisée pour les discours et les appels à la mobilisation.
Avec Djamel, qui habitait à proximité du carrefour, nous nous retrouvions régulièrement sur les lieux pour discuter avec les jeunes, les écouter, les accompagner.
Le vendredi 28 avril 2001, les jeunes lancent un mot d’ordre clair : marcher vers la brigade de gendarmerie et exiger le départ immédiat des forces de l’ordre. Avec Djamel, nous avons tenté de les dissuader, en soulignant les risques énormes d’un affrontement. Nous leur avons parlé avec calme, essayant de faire appel à leur raison. Mais ils étaient déterminés. Rien ne semblait pouvoir les arrêter. Nous n’avions alors qu’un seul choix : participer à la marche, l’encadrer du mieux possible pour limiter les débordements.
Nous avons donc marché avec eux. Beaucoup de jeunes étaient encagoulés. En arrivant devant la brigade, la foule était immense. Les manifestants encerclent le bâtiment, scandant avec force le départ des gendarmes. À l’intérieur, les renforts du GIR — un corps antiémeutes particulièrement violent — étaient déjà sur place. L’escalade semblait inévitable.
La tension montait d’heure en heure. Un moment, la foule décide d’envoyer une délégation pour tenter une médiation. Moi et Djamel sommes désignés pour en faire partie. Les jeunes reconnaissaient notre engagement et notre expérience. Nous étions cinq en tout, dont un collégien, visiblement très en colère.
À notre arrivée dans les locaux de la gendarmerie, l’atmosphère était lourde. Il ne nous a pas été laissé beaucoup de marge pour négocier. Nous avons proposé le retrait symbolique des renforts, ne serait-ce que pour apaiser les esprits. Mais nous savions que les gendarmes ne quitteraient pas les lieux, d’autant plus qu’ils y vivaient avec leurs familles. Le commandant de la compagnie nous a répondu sans détour : il est militaire, disait-il, et ne quitterait jamais son poste sans l’ordre de ses supérieurs. Mieux valait, selon lui, mourir avec ses hommes que d’abandonner la brigade. Les discussions ont alors pris fin. Nous nous sommes retirés.
À peine sortis, les affrontements éclatent.
Les jets de pierres et de cocktails Molotov fusent de toutes parts. La riposte est brutale : un fusil mitrailleur est installé sur le toit du bâtiment, et les tirs commencent à fuser en direction de la foule. Les cris, la panique, les courses désespérées s’emparent de la place. Les balles sifflent au-dessus de nos têtes.
Noureddine Ikken s’effondre, touché par une rafale à la jambe. Il fallait le secourir. Des jeunes, courageusement, se précipitent sous les balles pour le récupérer. Il est transporté à pied, dans une course folle depuis la brigade jusqu’à l’hôpital d’Akbou.
Son frère, Sofiane, y était déjà hospitalisé depuis deux jours. Lui aussi avait été blessé, touché par une balle en plein ventre. Noureddine, âgé de seulement 14 ans, collégien lui aussi, subira malheureusement une amputation de la jambe quelques jours plus tard. ( Noureddine sur la photo)
Nous avons tout tenté pour éviter cette issue. Il a même été transféré à Alger, auprès du professeur Chaouche. Mais ce dernier nous a expliqué que sans amputation, le risque de gangrène était trop grand, et qu’il entraînerait une mort certaine.
Le jour de son amputation a été l’un des plus douloureux. Il fallait le préparer psychologiquement. Nous avons fait appel à un autre jeune hospitalisé, Batouche Amar d’Ighzer Amokrane. Lui aussi avait été amputé d’un pied. Un jeune d’un courage admirable. C’est lui qui a veillé sur Noureddine toute la nuit, le soutenant, lui parlant, lui montrant par l’exemple que la vie continue malgré tout.
Aujourd’hui, Sofiane Ikken est avocat. Il a été celui de la Ligue des droits de l’homme, la voix des sans-voix à Béjaïa. Il s’est engagé dans tous les procès d’opinion et politiques, des chrétiens, des Ahmadite, des non jeûneurs, des journalistes, militants politiques…. Pendant le Hirak, il était présent dans les procès des porteurs du drapeau amazigh.
Je me souviens d’un moment fort : lors du procès d’un jeune arrêté à Sétif pour avoir brandi un drapeau amazigh, c’est lui, Sofiane, qui nous a discrètement demandé un drapeau. Avocat de l’accusé, il a sorti le drapeau amazigh en plein audience, face au procureur et au juge, et l’a brandi avec fierté. La salle est restée stupéfaite. Les policiers, tout fiers d’avoir arrêté un jeune pour ce drapeau, étaient scotchés.
Quant à Noureddine, lui aussi a poursuivi ses études universitaires. Ces deux jeunes que j’ai accompagnés dans la douleur et dans l’espoir sont aujourd’hui ma fierté, mon espoir.
À travers ce témoignage, je tiens à rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui ont survécu à la tragédie de 2001. À toutes les victimes, aux blessés, aux mutilés à vie. À ces jeunes arrachés à la vie, à leurs familles brisées, à celles et ceux qui portent encore aujourd’hui, dans leur chair et leur esprit, les stigmates de cette violence d’État.
Trop de mal a été commis par un système qui, encore aujourd’hui, refuse de regarder la vérité en face. Il persiste dans le déni, dans le mépris, dans l’oubli. Il refuse d’assumer, de tirer les leçons, de rendre justice.
À ce jour, justice n’a pas été rendue. La vérité n’a jamais été dite. Ni les commanditaires, ni les auteurs n’ont été poursuivis. L’assassin de Guermah, le gendarme Mestari, vit aujourd’hui librement, sans inquiétude. Il se pavane peut-être même, insouciant, et qui sait, il rira peut-être de ce témoignage… Mais l’Histoire, elle, ne l’oubliera pas. L’Histoire finit toujours par rendre justice.
Mais nous, nous n’oublions pas. Nous n’oublierons jamais.
Troisième audience du procès dit « de complot contre la sûreté de l’État » en Tunisie. De lourdes peines de prison de 13 à 66 ans prononcées.
4h55 du matin, une heure où les consciences sommeillent et où les regards sont ailleurs, l’agence officielle Tunis Afrique Presse (TAP) publie une dépêche sobre, presque banale, pour annoncer ce qui restera sans doute comme l’un des moments les plus sombres de l’histoire judiciaire tunisienne récente. Une série de condamnations lourdes, frappant une quarantaine d’opposants politiques dans le cadre de la désormais tristement célèbre « affaire du complot contre la sûreté de l’État ». Cette heure n’a rien d’innocent : elle signe le triomphe du secret, de l’ombre, de la dissimulation.
Ce verdict nocturne, tombé comme un couperet dans un silence assourdissant, parachève un simulacre de procès, où tout aura été fait pour effacer les dernières traces de l’État de droit. Tout y est : une instruction viciée menée par un juge désormais fugitif, des preuves absentes ou farfelues, des témoins anonymes au passé judiciaire douteux et surtout, une justice tordue sous la férule d’un pouvoir exécutif aux abois.
La tenue du procès à distance, imposée par une décision administrative illégale et en violation de l’article 141 bis du Code de procédure pénale, a empêché toute confrontation directe entre les prévenus et leurs juges. Leurs visages ont été effacés du prétoire, leurs voix étouffées, leurs avocats privés de la possibilité d’exercer efficacement leur mission. Une justice sans les accusés : voilà le vrai complot.
Ce verdict n’est pas le fruit d’un débat judiciaire loyal, mais d’un long processus de harcèlement institutionnalisé. Il intervient après deux années de détention préventive injustifiable, dans des conditions inhumaines dénoncées par toutes les instances internationales indépendantes. Il sanctionne des rencontres politiques, des échanges d’idées, des oppositions pacifiques – autant d’actes que Kaïs Saïed, président devenu justicier, s’est employé à transformer en crimes d’État.
Audience verrouillée, opposants bâillonnés, procédures improvisées : la mascarade continue
La troisième audience – décisive – tenue le 18 avril 2025, s’est transformé en un théâtre judiciaire d’une extrême gravité, mêlant violations procédurales, déni de justice et instrumentalisation politique à un point tel que certains observateurs y voient un tournant historique dans l’effondrement de l’État de droit en Tunisie.
Ce procès implique 40 personnalités politiques, avocats, activistes, anciens ministres et figures de la société civile tunisienne, accusées sans preuves concrètes de complot, d’atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de l’État, et d’appartenance à une organisation terroriste.
Le climat était particulièrement tendu dans un contexte de dérive autoritaire croissante du régime de Kaïs Saïed qui a détruit tous les contre-pouvoirs, instrumentalisé la justice et criminalisé l’opposition.
Un huis clos sécuritaire : la justice assiégée
Tôt le matin, le palais de justice a été verrouillé par un dispositif de sécurité exceptionnel. Des policiers armés filtraient tous les accès :
Les citoyens ont été empêchés d’entrer y compris les proches des détenus ;
Un seul membre par famille d’accusé a été autorisé à assister à l’audience dans une ambiance de suspicion généralisée ;
Plusieurs avocats ont été soumis à des contrôles d’identité sommés de présenter leur carte nationale et certains ont été empêchés d’entrer dans la salle sans justification valable.
Dans ce contexte, une seule journaliste (issue d’un quotidien local réputé proche du pouvoir) a été autorisée à couvrir l’audience. Tous les autres médias, nationaux comme étrangers ainsi que les observateurs ont été exclus. Ces entraves ont été dénoncées comme une atteinte grave à la transparence judiciaire et au principe de publicité du procès.
Harcèlement : le cas de Sana Ben Achour
La professeure de droit et militante féministe Sana Ben Achour, présente devant le tribunal en solidarité avec les familles, a été interpellée par les forces de sécurité qui lui ont arraché sa carte d’identité nationale — un acte d’intimidation ciblée envers une figure critique du régime.
Prises de parole fortes et dénonciations juridiques
Plus de deux cents avocats étaient présents en soutien. Plusieurs interventions ont dénoncé avec vigueur les atteintes aux droits fondamentaux, l’absence d’indépendance judiciaire et le recours systématique à des procédures exceptionnelles pour restreindre les droits des accusés.
Les avocats ont insisté sur l’illégitimité du tribunal à poursuivre l’examen de l’affaire alors qu’un pourvoi en cassation a été introduit contre les décisions de la chambre d’accusation, rendant la procédure juridiquement suspendue. Des requêtes de récusation ont été déposées à l’encontre du président de la chambre, dont la désignation est entachée de conflit d’intérêt.
Le recours à la visioconférence pour la comparution des prévenus a été dénoncé, non comme une mesure sécuritaire, mais comme un outil destiné à dissimuler la vérité. Le procès est qualifié d’inéquitable, marqué par l’exclusion des familles, les pressions sur la défense et le verrouillage de la salle d’audience. La défense a souligné que la procédure vise à masquer l’absence de preuves et à neutraliser toute défense publique.
Enfin, les interventions ont rappelé que juger un innocent, c’est souvent protéger le vrai coupable. Et que toute injustice, aussi localisée soit-elle, représente une menace pour la justice dans son ensemble.
Détention et comparution à distance : un simulacre de justice
Les détenus, incarcérés depuis plus de deux ans, ont une nouvelle fois été empêchés de comparaître physiquement. La visioconférence, imposée en violation de l’article 141 du code de procédure pénal malgré leur opposition, est devenue le symbole d’une justice déshumanisée.
La défense a dénoncé le recours à des lettres prétendument envoyées depuis la prison pour justifier l’absence volontaire des accusés. Certains courriers sont incohérents : la lettre attribuée à Jawhar Ben Mbarek est censée provenir de Mornaguia, alors qu’il est détenu à Belli.
Alors que les lettres envoyées par les détenus pour motiver leur refus de comparaître à distance ont été ignorées, malgré l’insistance de leurs avocats pour que ces courriers soient lus par le président du tribunal.
Paradoxalement, la chambre a également ignoré les demandes des inculpés résidant à l’étranger, qui avaient sollicité à être auditionnés par visioconférence, conformément à l’article 73 de la loi organique relative à la lutte contre le terrorisme.
Dehors, le silence et la peur – mais aussi la résistance
Malgré le verrouillage de l’accès, une manifestation silencieuse s’est tenue à l’extérieur. Des portraits des détenus, notamment du juge Bachir Akremi, le juge antiterroriste objet d’acharnement de l’appareil sécuritaire ont été affichés. Aucun incident n’a été signalé, mais la tension était palpable.
Réactions internationales : pression croissante
Amnesty International a dénoncé une justice « aux ordres », un procès « inéquitable » et un recours systématique à la comparution à distance en violation des normes internationales.
Human Rights Watch, dans son rapport du 16 avril 2025, cite cette affaire comme emblématique de la répression de l’opposition en Tunisie.
La séance suspendue puis arrêtée : entre illégalité et refus d’obtempérer
Face à l’accumulation des requêtes procédurales, le juge a été contraint de lever la séance pour « examiner les demandes » confirmant une impression d’arbitraire absolu et d’improvisation
Une procédure illégitime : la Cour de cassation ignorée
Dès la reprise de la séance, un fait stupéfiant a marqué cette audience. Contre toute attente logique, la chambre a décidé de radier les noms des inculpés ayant déposé un pourvoi en cassation, tout en continuant à statuer sur le fond. La chambre a ainsi créé de toutes pièces une nouvelle procédure qui entre en contradiction même avec la nature des inculpations.
En effet, trois prévenus M.K Jendoubi ; N Ben Ticha et R Chaïbi avaient déposé un recours en cassation contre la décision de la chambre d’accusation. En droit tunisien, ce recours suspend de plein droit l’examen de l’affaire par la juridiction de fond. (Le juge) La chambre n’en a pas tenu compte bafouant ainsi un principe fondamental de procédure celui de légalité des procédures. En agissant ainsi, le tribunal s’est arrogé une compétence qu’il ne détient pas, au mépris des principes les plus élémentaires de justice.
Les avocats ont dénoncé cette décision la qualifiant d’ «exécution juridique sommaire ». Ils ont alors quitté collectivement la salle d’audience, refusant d’être les complices d’une parodie de justice.
La défense a ainsi mis en cause la légitimité de l’ensemble du bureau du tribunal, composé des magistrats suivants : Lassâd Chamakhi (président), Moez El Gharbi, Ahmed Barhoumi, Fatma Boukattaya, Afef Betaïeb. La défense et des experts ont dénoncé publiquement cette composition, affirmant devant la cour que ses décisions seront sans valeur et que cette mascarade judiciaire sera inévitablement corrigée une fois la légalité restaurée.
Un micro-procès parodique
Le président de la chambre, en annonçant la reprise de la séance, a procédé à la lecture de l’ordonnance de clôture d’instruction, mais au bout de 30 secondes, il a déclaré que la poursuite du procès devenait impossible face aux contestations des avocats, qui demandaient l’ajournement de l’audience afin d’entamer les procédures de retrait de leur ministère.
Et ce, malgré le fait que les avocats de deux inculpés présents avaient réclamé que leurs clients soient auditionnés. Le président de la chambre a tout de même levé la séance pour délibération — dans une nouvelle violation monumentale du procès équitable et du Code de procédure pénale.
Le tribunal a ainsi décidé de délibérer au fond sans lecture complète de l’ordonnance de renvoi, sans audition des inculpés, sans réquisitoire du ministère public et surtout sans défense. C’est tout simplement inédit et irrationnel.
La chambre semblait avoir une obligation de résultat : le dispositif était prêt, il fallait désormais l’adopter.
De lourdes peines de prison
La dépêche publiée par la TAP relaie les déclarations du premier substitut du procureur de la République auprès du pôle judiciaire antiterroriste, qui confirme que des peines de prison allant de 13 à 66 ans ont été prononcées à l’encontre des inculpés dans l’affaire dite du « complot contre la sûreté de l’État »..
Conclusion : un procès illégal, un pouvoir sans contre-pouvoirs
La troisième audience du 18 avril a mis à nu :
Un pouvoir judiciaire soumis à l’exécutif ;
Un tribunal qui refuse de reconnaître l’autorité de la Cour de cassation ;
Un huis clos digne d’un régime autoritaire ;
Une intimidation assumée des avocats, familles et observateurs.
Des procédures hors du cadre légal
Ce procès ne vise pas à établir la vérité. Il vise à écraser l’opposition. Et plus encore, il pose une question cruciale : quelle justice est possible dans un État où le droit devient l’outil de la vengeance politique ?
Si les relations franco-algériennes étaient une série télé, elles porteraient probablement le titre « Les Ennemis intimes ». Et à chaque épisode, la question de la justice et de la diplomatie reviendrait, avec des rebondissements dignes des meilleurs feuilletons dramatiques.
Entre réconciliation et rancune, les deux pays semblent jouer à un jeu d’équilibriste entre l’Histoire et le présent, entre l’affaire de la justice et les intérêts diplomatiques. Car, entre une guerre qui ne finit jamais et des accords économiques pas toujours francs, les relations entre la France et l’Algérie, depuis 1962, n’ont jamais été une simple affaire de « bisous et pardons ».
Commençons par la justice. Ah, la justice ! En France, elle aime se draper dans son indépendance et se croire à l’abri de tout soupçon. Le Conseil supérieur de la magistrature veille sur elle comme un chien de garde. Mais, entre nous, elle sait bien que certaines affaires peuvent avoir un petit goût politique – après tout, qui n’aime pas qu’un dossier tombe au bon moment pour l’un ou l’autre camp politique ?
En Algérie, la justice, elle, n’est pas exactement la même star. L’indépendance judiciaire y est encore une promesse non tenue. Loin des jugements impartiaux, elle semble être parfois au service des puissants, comme si le pouvoir était une prolongation du tribunal. Et que dire des procès politiques ? Un simple petit détour par le tribunal suffit parfois à se retrouver derrière les barreaux. Alors, bien sûr, la justice se veut indépendante, mais les deux pays savent qu’il y a des dossiers qu’on préfère parfois ne pas rouvrir. La guerre d’Algérie ? Restons discrets, un peu de silence vaut mieux que de chercher à rouvrir les plaies, non ?
Côté diplomatie, c’est la même chanson. En 1962, la France a perdu une colonie, l’Algérie a gagné une guerre d’indépendance, mais aucun des deux pays ne semble avoir fait véritablement le deuil de cette époque.
Après tout, qui aime dire « pardon » quand le prix est aussi élevé ? La France, bien qu’ayant jeté quelques fleurs de réconciliation, préfère parfois jouer sur le registre de l’oubli sélectif. Si l’Algérie se souvient des exactions coloniales, la France se rappelle surtout des harkis. Et quand Emmanuel Macron va en Algérie, la poignée de main est aussi glacée qu’un verre de pastis sous un soleil d’Alger. D’un côté, on cherche à tourner la page, de l’autre, l’Histoire vous rattrape comme un mauvais souvenir. Peut-on vraiment parler de diplomatie sans penser à la mémoire collective ? Pas sûr.
Et puis, il y a les intérêts économiques. Ah, l’argent ! L’Algérie, riche en gaz et pétrole, est un partenaire précieux pour la France. Mais ne soyons pas naïfs : derrière les accords commerciaux, il y a toujours cette question subtile : jusqu’où peut-on échanger quand les mémoires s’affrontent ? Le gaz, l’énergie, les contrats d’infrastructure… c’est le commerce qui fait la paix, mais il y a toujours cette petite tension en arrière-plan, comme un fil invisible qu’on essaie de masquer sous des sourires diplomatiques.
Dans le Sahel, les deux pays collaborent, mais toujours avec des regards furtifs et des réserves. La France et l’Algérie, partenaires dans la lutte contre le terrorisme, mais rivaux dans la gestion de la stabilité régionale. Que ce soit pour défendre leur propre frontière ou leur influence, chacun sait qu’ils jouent une partie de poker où les jetons sont lourds, et les enjeux, immenses.
Au final, ce que la France et l’Algérie partagent, ce n’est ni l’amour ni la réconciliation pure, mais une série de compromis diplomatiques et de silences judicieux. Quand on a partagé un passé aussi tumultueux, il est peut-être plus facile de jouer à un jeu d’apparences plutôt que de confronter la vérité en face. Entre intérêts économiques, sécuritaires et mémoires contrastées, les relations franco-algériennes, depuis 1962, sont un véritable théâtre où chaque acteur joue son rôle : la justice cherche son indépendance, la diplomatie joue aux équilibristes, et les souvenirs demeurent un fardeau trop lourd à porter ensemble.
Mais après tout, n’est-ce pas là l’essence même de la politique internationale : jouer à cache-cache avec la vérité, l’histoire et la justice, tout en faisant semblant d’avancer ?
La chronique se termine sur un constat qui, bien que cynique, reflète la réalité des relations franco-algériennes. Entre justice et diplomatie, les deux pays naviguent sur des eaux troubles où le passé colonial et les souvenirs de la guerre d’Algérie sont omniprésents. Ces relations ne se construisent ni sur la réconciliation totale ni sur l’oubli, mais plutôt sur une série de compromis et de jeux d’apparence. Les intérêts économiques, notamment dans l’énergie et la sécurité régionale, pèsent lourd dans la balance, mais ces intérêts ne parviennent pas toujours à masquer les tensions historiques et les divergences profondes.
Ainsi, les relations entre la France et l’Algérie, de 1962 à 2025, ne sont pas un conte de réconciliation : elles sont une danse entre l’ombre du passé et les nécessités du présent. Dans ce jeu diplomatique où les enjeux sont multiples, le mot « paix » reste un peu illusoire, tandis que les sourires diplomatiques cachent bien des non-dits.
La France a quitté l’Algérie en 1962. Enfin, officiellement. Mais n’ayons pas la naïveté de croire qu’elle a laissé tout derrière elle, y compris la gestion de son empire. Si le drapeau tricolore a quitté Alger, une autre forme de pouvoir colonial a trouvé refuge bien plus près de nous : dans les bureaux feutrés du ministère de l’Intérieur.
Car la France n’a pas vraiment quitté l’Algérie. Elle a simplement transféré l’affaire au 14 rue de la Préfecture.
Si, en 1962, la décolonisation fut un acte politique, la récolonisation des esprits et des territoires a pris une autre forme : plus subtile, mais tout aussi violente. Le ministère de l’Intérieur, héritier de l’ordre colonial, a continué, sans interruption, d’asseoir sa souveraineté. Sauf que maintenant, cette souveraineté s’exerce non plus au sein de colonies lointaines, mais à l’intérieur même des frontières de la République.
Que reste-t-il du colonialisme ? À première vue, rien. La France a renoncé à ses possessions en Afrique du Nord, mais elle n’a jamais renoncé à sa manière de contrôler, de surveiller, de juger. Parce qu’une souveraineté n’est pas simplement territoriale, elle est culturelle et politique. Elle se maintient dans les mots, les gestes, les lois. L’Intérieur, autrefois bras armé du colonialisme, est devenu le rempart contre l’“autre”, contre la différence.
Prenons l’exemple de la guerre d’Algérie (1954-1962). Si la France a officiellement mis fin à la colonisation en 1962, elle n’a jamais mis fin à la manière dont elle percevait et contrôlait les populations d’origines algériennes sur son sol. Le ministère de l’Intérieur a, dès lors, joué un rôle central dans cette gestion postcoloniale, en maintenant une surveillance systématique des Algériens, qu’ils soient en métropole ou en Algérie. Les accords d’Évian, censés ouvrir la voie à une indépendance, n’ont pas effacé les cicatrices de la guerre. Au contraire, ils ont permis de maintenir un ordre sécuritaire, particulièrement visible lors des répressions violentes des manifestations en France, comme celle du 17 octobre 1961, où la police parisienne a tué des dizaines de manifestants algériens dans le silence des autorités. Un épisode sinistre qui ne fait que souligner cette contamination du ministère de l’Intérieur par les logiques de la guerre d’Algérie.
La politique de répression n’a pas cessé après 1962. En 1983, la Marche des Beurs, initiée par des jeunes d’origine maghrébine, réclamait une meilleure intégration et la fin de la discrimination. Mais cette marche a été largement ignorée par les autorités. Pourtant, la question de l’immigration, déjà lancinante, n’a cessé de nourrir les discours sur l’identité nationale. Depuis les années 1980, le ministère de l’Intérieur est le premier à dicter la politique de contrôle migratoire, avec une gestion autoritaire des frontières et des quotas. Mais plus encore, il a, à plusieurs reprises, utilisé la question des immigrés pour justifier une répression policière massive, notamment à travers les lois anti-immigration comme la loi Pasqua de 1993, qui a renforcé les contrôles et facilité l’expulsion des étrangers en situation irrégulière.
Les émeutes de 2005 en banlieue parisienne, déclenchées par la mort de deux adolescents, Zyed et Bouna, dans un quartier populaire de Clichy-sous-Bois, ont mis en lumière l’échec du modèle républicain. La réaction de l’État ? L’instauration de l’état d’urgence, une réponse sécuritaire et répressive, qui est venue rappeler que, dans certains quartiers, la France réprime avant même de tenter d’intégrer.
La même logique s’est retrouvée dans les réformes du contrôle de l’immigration sous la présidence de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. En 2007, il fait de la lutte contre l’immigration illégale un cheval de bataille, avec des expulsions massives et une politique de régularisation strictement encadrée. Sarkozy a été clair : “Il n’y a pas de place pour l’immigration illégale dans la République”. Mais il oubliait de mentionner que, souvent, les racines de cette immigration étaient les mêmes que celles de la colonisation, les liens historiques entre les anciennes colonies et la métropole.
La république sous surveillance
L’obsession du contrôle est également visible dans la gestion de l’Islam en France, avec des lois comme la loi sur le voile intégral de 2010 et la loi sur les séparatismes de 2021. Dans les deux cas, la menace de l’“autre” a justifié un renforcement de la surveillance et des restrictions sur les libertés individuelles. Il ne s’agissait plus de combattre des résistances coloniales ou des révoltes politiques, mais des « identités étrangères », perçues comme incompatibles avec la république laïque. Là encore, le ministère de l’Intérieur joue un rôle clé : l’assignation à résidence des populations par leur origine, par leur culture, par leur religion.
Aujourd’hui, la France parle de la décolonisation comme d’un événement passé, un épiphénomène. Mais l’Intérieur montre que l’impératif colonial n’a jamais été complètement évacué. Il a été, plutôt, réincarné dans la gestion de ses héritages, sous forme de politiques de contrôle et de surveillance, dans les lois et dans les pratiques policières.
La France a quitté l’Algérie, mais le ministère de l’Intérieur n’a jamais cessé de la garder sous clé. Il ne s’agit plus de coloniser des terres, mais d’assujettir des populations sous prétexte de maintenir l’ordre républicain. Le miroir est devenu plus complexe, plus intérieur, mais l’illusion de pouvoir est restée. Il y a encore une république à contrôler, et il y a encore des indigènes à gérer.
Et tant que cette logique persistera, la France continuera de jouer à « Je t’aime, moi non plus » avec son propre passé colonial. « La colonisation n’a jamais été un événement passé, elle est simplement entrée dans une autre phase, celle où les frontières sont invisibles mais tout aussi puissantes. » Frantz Fanon.
Depuis le 19 janvier 2023, Chérif Mellal est privé de liberté.
Sa condamnation à quatre ans de prison ferme, malgré sa contestation des faits qui lui sont reprochés, soulève des interrogations légitimes quant au respect des garanties fondamentales du droit à un procès équitable.
Dans l’épreuve, Chérif Mellal a fait usage de l’un des derniers moyens d’expression à sa disposition : la grève de la faim.
Un recours extrême, qu’il a entamé le 3 mars 2025, et qu’il n’a suspendu qu’en raison d’une intervention médicale urgente.
Par ce geste, il a voulu faire entendre sa voix, affirmer son innocence et alerter l’opinion sur sa situation.
Son combat, mené dans le silence des cellules, est devenu celui de tous ceux qui refusent l’injustice, l’oubli, et la résignation.
Au-delà de son cas personnel, une question centrale s’impose :
Quel espace reste-t-il pour la liberté d’expression, la contestation pacifique, et le respect des droits fondamentaux ?
La détention prolongée de Chérif Mellal interpelle.
Elle appelle à une vigilance citoyenne, à un attachement sincère au droit, et à une exigence de justice.
Ce lundi matin (15 avril 2025), comme chaque semaine, j’ai accompli mon obligation de signature hebdomadaire sur le registre de ma mise sous contrôle judiciaire à la caserne de Ben Aknoun. Rien d’inhabituel, jusqu’à ce qu’un communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères attire mon attention — un communiqué empreint d’une indignation à la fois bruyante et cynique.
Le ministère s’insurgeait contre l’arrestation, jugée « humiliante, spectaculaire et diffamatoire », d’un employé du consulat d’Algérie à Créteil, par la police française. Cet agent est soupçonné d’implication dans une tentative d’enlèvement visant un blogueur algérien établi en France.
Ce discours officiel aurait pu sembler légitime, s’il n’émanait pas d’un régime qui, depuis des décennies, pratique lui-même des arrestations arbitraires, des traitements inhumains et des violations systématiques des droits fondamentaux à l’encontre de ses propres citoyens.
Depuis le début du Hirak en 2019, les atteintes aux libertés n’ont cessé de s’intensifier : arrestations de militants, harcèlement judiciaire, musellement de la presse libre, et instrumentalisation de la justice à des fins politiques. Aujourd’hui encore, des centaines de prisonniers d’opinion croupissent derrière les barreaux, pendant que des milliers d’autres vivent sous la menace permanente de poursuites.
Ce régime indigné à l’étranger piétine au quotidien les principes mêmes qu’il invoque. L’humiliation, la véritable, celle qu’endure le peuple algérien, se manifeste à travers :
Une justice transformée en bras armé du pouvoir ;
Un pays aux ressources abondantes réduit à la misère ;
Une jeunesse condamnée à choisir entre l’exil ou la déchéance ;
Une fuite massive de cerveaux vers l’Europe et l’Amérique du Nord ;
Le mensonge généralisé dans les statistiques, les élections et la réalité sociale ;
La diffusion institutionnelle de discours de haine et de division ;
La défiguration de l’image d’une nation fière de sa révolution et de ses martyrs.
Comment un pouvoir aussi répressif peut-il condamner l’arrestation d’un suspect à Paris, alors qu’il piétine chaque jour la dignité de ses propres citoyens ?
J’en suis moi-même témoin et victime. Déclaré publiquement « terroriste » par un substitut du procureur sans la moindre base légale. Arrêté brutalement devant mes enfants à la veille des élections de 2022, détenu arbitrairement pendant plus de 30 heures, puis relâché sans qu’aucune charge ne soit retenue. Tout cela sans réparation, ni sanction contre les responsables.
D’autres, comme le militant Sami Dernouni, ont subi des traitements inhumains — tortures, violences, et humiliations — en toute impunité. Sans compter les licenciements arbitraires, les interdictions de sortie du territoire, les saisies illégales de téléphones, et le climat général de terreur.
Ce communiqué officiel n’est qu’un écran de fumée. Il illustre parfaitement le proverbe populaire : « Il prêche la vertu tout en pratiquant le vice. »
Je condamne toutes les violations des droits humains, qu’elles soient le fait des autorités françaises ou algériennes. Mais mon engagement demeure inébranlable : défendre mon pays et son peuple, quand le régime, lui, ne cherche qu’à préserver son pouvoir, quel qu’en soit le prix.