Dans ce témoignage, le blogueur et activiste Merzoug Touati lève le voile sur les réalités du journalisme en Algérie. De sa cellule de prison au cœur du mouvement Hirak, il nous livre un récit saisissant des défis auxquels font face les reporters dans un pays où la liberté d’expression est constamment menacée. Un regard intime et percutant sur le combat quotidien pour l’information libre en Algérie.
J’étais encore incarcéré à la prison de Skikda quand j’ai entendu parler pour la première fois des « marches » de protestation. J’étais en isolement et en grève de la faim en attendant mon procès en appel. Un gardien de prison avec lequel je discutais m’a confié sa peur que ces marches se transforment en violences comme lors des « printemps arabes » en 2011. Je ne l’ai pas trop cru évidemment.
Après avoir arrêté ma grève de la faim, j’ai eu accès aux journaux. Je me souviens très bien de cet article dans Le Quotidien d’Oran où je découvris pour la première fois par moi-même en quoi consistaient les marches du vendredi mais aussi les slogans scandés par la foule : «makanche el khamssa ya Wled França … » (il n’y aura pas de cinquième mandat, enfants de la France… ). C’était fort, je me suis dit que c’est bien que ce peuple se réveille enfin…
J’ai été libéré le 4 mars 2019 après avoir passé 26 mois derrière les barreaux. J’avais perdu mes repères pendant ma détention, il y avait beaucoup de choses que je ne comprenais pas. A ce propos, j’ai une anecdote plutôt drôle : j’entendais beaucoup le terme kachiriste (72) que je ne comprenais pas alors.
Le mardi 5 mars 2019, je rentre enfin chez moi à Bejaia, retrouver ma famille, mes amis, ma vie, ma liberté. Ce même jour, il y avait la marche hebdomadaire des étudiants à Bejaia à laquelle je n’ai pu prendre part puisque je n’étais pas au courant de son organisation. Les militants du collectif de ma libération ont décidé de me cacher cette information pour m’éviter peut-être quelque désagrément.
Le vendredi 8 mars 2019 fut mon baptême des marches du vendredi, je n’ai pas pu m’y rendre tôt parce que j’avais reçu de la visite chez moi. Je me rappelle être arrivé au milieu de la marche, à un moment à côté de la prison de Bejaia où je retrouve le fameux camion en tête des marches à Bejaia. Je reconnais quelques visages que j’ai rencontrés à ma sortie de prison. Je monte sur le camion, au moment d’aborder une côte, je regarde derrière moi et je vois cette marée humaine, et c’est à ce moment-là que je me rends vraiment compte de l’ampleur de ces marches, de ce mouvement, qu’on appellera par la suite le Hirak !
Profession : reporter activiste
Dans les véritables démocraties, le journalisme, la presse et les médias audiovisuels sont le quatrième pouvoir, mais en Algérie c’est une toute autre histoire….
Pour mieux comprendre cette relation entre le pouvoir et le journalisme, il faut plonger dans son histoire. Depuis la prétendue transition démocratique de 1989, le champ médiatique s’est ouvert aux médias privés. On se retrouve donc en théorie avec des médias publics qui sont censés couvrir tout ce qui se passe dans le pays et des médias privés qui doivent en principe avoir des lignes éditoriales autrement plus libres.
Seulement en Algérie, la presse ne fonctionne pas tout à fait ainsi. Les médias publics sont les médias de ceux qui dirigent le pays. Leur ligne éditoriale est celle que lui trace le pouvoir. Aucune autre information n’est tolérée. Et si le pouvoir monte une cabale contre une personne, une entité politique, les médias publics sont là pour la mener. L’exemple du défunt commandant Lakhdar Bouregaâ accusé par l’ENTV d’avoir falsifié son parcours de moudjahid en est l’un des plus sombres exemples. C’est dire ce que ces médias sont capables de faire.
En revanche, le pouvoir contrôle les médias privés par diverses manières. Il se sert d’une première carte qui est l’ANEP (l’Agence nationale d’édition et de publicité). Si vous êtes un média, vous avez besoin de financements et le premier moyen d’en obtenir, c’est la publicité qui elle, est du ressort de l’ANEP (un organisme public). Autrement dit, si vous rentrez dans le jeu du pouvoir et que vous avez une ligne éditoriale qui lui est favorable, vous aurez votre part en pages publicitaires. Dans le cas contraire, vous en serez privés. Ce qui fragilise votre média.
La deuxième carte dont se sert le pouvoir est celle de l’intimidation, la persécution des médias et des journalistes, et de manière indirecte les attaques dirigées contre les sponsors et leurs entreprises.
En d’autres termes, une entreprise privée qui vous remet sa publicité et donc vous finance fait l’objet d’intimidations diverses (contrôles fiscaux répétés, enquêtes …) telles qu’elle finit par renoncer à son partenariat. Le cas du journal Liberté en est le parfait exemple.
Il y a également les intimidations directes subies par les journalistes, des procès qui peuvent conduire à la prison si un journaliste s’entête à continuer à rapporter l’information et à la diffuser, ce qui est la définition même du journalisme. En clair, on dénie le statut de journaliste ou alors on vous accusera d’ « atteinte à l’unité nationale ».
Pour autant, il y a des médias qui essayent de tenir le coup. De continuer à informer sans renoncer aux fondamentaux du journalisme. Beaucoup d’autres, en revanche, sont devenus des alliés du pouvoir car n’ayant pu résister à cet acharnement. Le pouvoir sait à quel point la presse et les médias sont importants pour leur maintien en place. Par conséquent, il fait tout pour les maintenir sous sa coupe.
Il y a toujours des journalistes – peu nombreux certes – qui arrivent à reste debout, malgré toutes les difficultés. Ce sont de véritables militants de l’information. Cependant quand j’observe tous les moyens de coercition et d’intimidation déployés par le pouvoir je me demande jusqu’à quand ils pourront tenir. Quel autre prix devront-ils payer pour leur professionnalisme ?
J’ai placardé une pancarte sur un mur de notre chambre ma femme et moi sur laquelle on peut lire « Merzoug Touati, une mort programmée ». Cette pancarte remonte à mon dernier emprisonnement à cause de mes écrits. Son contenu résume à lui seul tous les risques qu’encoure tout reporter activiste dans l’Algérie actuelle.
Dès la fin de l’année 2019, ce sont des centaines d’Algériens qui ont pris part au Hirak, qui se retrouvent poursuivis en justice pour des accusations qui vont de « trouble à l’ordre public jusqu’au terrorisme ». Les journalistes reporters n’ont pas échappé à cette vendetta du pouvoir surtout après l’arrêt des marches du Hirak. Plusieurs journalistes en fonction au moment des faits ont été emprisonnés à l’instar de Khaled Drareni, Rabah Karèche, Mohamed Mouloudj… Moi-même j’ai été incarcéré à deux reprises, en 2020 et en 2022. Et à ce jour, je croule sous des affaires en justice qui n’en finissent pas.
De nos jours, le métier de journaliste, reporter activiste devient en Algérie, un métier à haut risque. Pour un simple écrit, tu te retrouves d’abord convoqué par les services de sécurité, ensuite poursuivi en justice non pas en ta qualité de journaliste, mais au pénal comme simple citoyen.
A vrai dire, intimider les journalistes ne date pas du Hirak. Plusieurs journalistes opposants ont déjà été persécutés. Durant les années Bouteflika : l’écrivain et directeur du quotidien Le Matin Mohamed Benchicou a fait deux ans de prison pour ses écrits sur Bouteflika. Pire encore, le journaliste Mohamed Tamalt est décédé en prison en 2016.
Le journaliste Mohamed Bourras a été emprisonné avant et après le Hirak, et des journalistes comme Saïd Boudour et Djamila Loukil sont sous le coup de poursuites judiciaires avec de lourdes accusations pour soutien au terrorisme. Le pouvoir a activé contre eux le fameux article 87 bis.
D’autres journalistes ont été contraints à l’exil du fait d’insupportables persécutions et du climat de traque permanente instauré par le régime. Certains de ces exilés sont déjà condamnés par contumace à de lourdes peines comme Abdou Semmar et le caricaturiste Ghilas Aïnouche.
Au moment où j’écris ces lignes une image triste me revient en mémoire. Dans les années 1990, nombre de journalistes ont été sauvagement assassinés par les terroristes. Aujourd’hui, dans « l’Algérie nouvelle », ils se retrouvent accusés d’être eux-mêmes des terroristes…Telle est la réalité aujourd’hui en Algérie, si l’on persiste à vouloir encore faire ce métier de journaliste, reporter et d’activiste.
Merzouk Touati
Blogueur et activiste