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jeudi 21 novembre 2024
A la uneL’engagement des avocats : une nécessité (Contribution)

L’engagement des avocats : une nécessité (Contribution)

« Les avocats étaient mobilisés dans la population en tant que citoyens, et à ses côtés en tant que défenseurs depuis le 28 février 2019, date de la première marche nationale des avocats. »

C’est le témoignage d’Aïssa Rahmoune, avocat et militant algérien des droits humains, sur l’engagement déterminant des robes noires durant le soulèvement populaire du Hirak en 2019, malgré les pressions du régime. Un plaidoyer pour que cette mobilisation citoyenne et ce rôle de défenseurs des libertés perdurent.

Au-delà des intimidations de toutes sortes auxquelles nous faisons face quand nous militons à titre individuel ou collectif en Algérie et plus généralement dans le monde, il me semble que la restriction des libertés d’expression, d’opinion et de mouvements de la société civile, est inhérente aux régimes autoritaires et/ou dictatoriaux qui continuent à sévir dans le monde en général et en Afrique du Nord, en particulier.

A ce titre, il serait intéressant de se pencher sur le nombre impressionnant d’ONG qui délocalisent leurs activités en Europe et en Amérique à la suite du rétrécissement des espaces de liberté dans leurs pays d’origine. A titre d’exemple : l’Arabie saoudite, la Tunisie, le Qatar, le Vietnam, le Laos, l’Égypte, la Libye, le Tibet, l’Afghanistan, la Turquie, l’Iran, la Biélorussie, … En cela l’Algérie n’est ni singulière ni différente de tous ces pays où la démocratie reste un concept sans prolongement effectif sur le terrain. Ces délocalisations sont symptomatiques d’un net durcissement des régimes de ces pays.

Les lois régissant le monde associatif et l’épanouissement de la société civile sont un indice du degré de démocratie et de l’État de droit dans les pays.

En la matière, force est de constater qu’en Algérie nous sommes loin du standard démocratique. La loi 06/12 fait que bon nombre d’associations sont dissoutes et des centaines d’activistes et de militants étaient/sont poursuivis et/ou incarcérés à la suite de décisions judiciaires qui sont symptomatiques de la remise en cause de tous les acquis démocratiques de ces trente dernières années.

La révolution dite Hirak, résulte d’une situation de cumul de plusieurs frustrations politico-sociales à propos de laquelle la LADDH et ses partenaires, ne cessent d’alerter. Au fil des années, la défense des droits humains est devenue pour la LADDH une action quotidienne, un effort continu face aux dérapages et aux bégaiements de l’histoire. Il s’agit pour moi et pour mes confrères et consœurs à la LADDH, d’être dans une constante adaptation, qui doit être de surcroît réfléchie, évolutive et assumée au regard de nos convictions et notre attachement au concept philosophique et juridique de l’humain et de ses droits.

Le traitement de la LADDH n’est pas différent de celui de la société civile autonome en Algérie. La LADDH a subi au même titre que d’autres ONG, le diktat de l’administration, du régime politique mais surtout les agissements de la police politique qui constituent une vraie entorse à l’évolution et au progrès de la société algérienne.

C’est un État dans l’État, je m’arrête ici pour vous faire part d’une réponse apportée par l’ancien directeur du renseignement et de la sécurité, le général Mohamed Mediene dit « Toufik » à l’occasion du procès intenté contre lui par un autre général Ahmed Gaïd Salah. Il déclarait clairement que ses services «étaient en contact permanent avec la classe politique et la société civile et qu’il fallait revenir vers eux lors de prises décisions ». Cette réponse en dit long sur les pratiques érigées en normes d’exercice du pouvoir et en pratiques institutionnelles.

Pour la LADDH, comme pour un nombre de plus en plus restreint d’associations et de l’opposition politique, il faut mener un double combat. Il s’agit de préserver son autonomie de réflexion et d’action, mais aussi protéger et promouvoir les droits humains.

La force de la Ligue réside dans son collectif d’avocats qui a su et pu alerter, défendre, dénoncer et accompagner des activistes, des jeunes et des militants lors de leurs procès. A l’international, la Ligue a fait du plaidoyer et du lobbying international en faveur de la protection des droits humains, la priorité de son mandat.

Concernant la protection des libertés, la LADDH ne peut pas toujours protéger les libertés, notamment quand les mécanismes juridico-politiques et la volonté des vrais décideurs, font défaut. Ces derniers considèrent d’ailleurs la société et la gestion du pays et de ses biens comme un acquis personnel qu’il leur faudrait préserver.

Il est clair qu’il nous reste beaucoup de chemin à faire, mais la société civile autonome d’avant le Hirak a justement émergé pour cela. Le fait d’introduire dans le débat politique, les notions de démocratie, lutte, État de droit, libertés collectives et individuelles, respect et promotion des droits humains, est une victoire en soi.

Des avocats dans le Hirak

Il y a lieu de faire un distinguo entre corporation et mandat. Les avocats étaient mobilisés dans la population en tant que citoyens, et à ses côtés en tant que défenseurs depuis le 28 février 2019, date de la première marche nationale des avocats.

Les robes noires ont ainsi battu le pavé à Tizi-Ouzou (100 km à l’est d’Alger). Cette marche était une réponse à un appel émanant de quatre avocats : Maîtres Nabila Smaïl, Amar Zaidi, Madjid Hachour et moi- même. C’est à partir de cette initiative que le collectif des avocats pour le changement et la dignité, a vu le jour.

Il faut dire que beaucoup d’incompréhension et de différends étaient nés au lendemain de cette marche. Les représentants de la corporation dans les appareils de la profession, n’ont pas accueilli favorablement cette démarche pour trois raisons. La première est que les normes et les pratiques qui prévalent dans la plupart des barreaux, considèrent ces derniers comme un syndicat de masse à l’image de l’UGTA. La deuxième raison consiste dans le fait que les élus des conseils de l’ordre perçoivent l’émergence d’une nouvelle génération d’avocats comme un réel danger pouvant les concurrencer dans la prise de pouvoir en interne.

La troisième raison est relative à l’existence de cette catégorie de juristes qui caporalisent la profession pour qu’ils ne soient que les seuls interlocuteurs du pouvoir, tantôt lui obéissant, tantôt s’opposant à lui. C’est ainsi que l’on a vu les plus dociles et bénéficiaires du système Bouteflika, scander dans les marches d’avocats « à bas Bouteflika. »

En tant que corporation, il me semble que nous ne sommes pas encore arrivés à comprendre et à admettre qu’un barreau fait partie du mouvement de la société civile. En revanche, il n’est ni un syndicat ni une mutuelle, et encore moins un satellite du régime.

Cependant le mandat de l’avocat, celui de défenseur est plus important à observer pendant le Hirak et post- Hirak, dans le sens où le mouvement lui-même et la répression qui s’est abattue, ont contribué à une prise de conscience plus grande de nos jeunes consœurs et confrères.

Il est vrai que cela a été d’une grande aide pour nous autres anciens avocats qui étions fortement impliqués avant la révolution. Nous ne pouvons que nous réjouir d’une si belle adhésion à nos idéaux.

A mon sens, l’implication extraordinaire des avocats auprès de nos concitoyens malmenés par la justice, est à capitaliser. Il serait même opportun de lui attribuer un sens plus étendu, celui d’un engagement qui soit tout à la fois, politique, social, professionnel et humain.

Aïssa Rahmoune

Avocat et militant des droits humains

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