Il a voulu quitter ce train qui prenait le chemin inverse de toutes ses attentes, cet itinéraire balisé, tracé d’avance.
Il avait voulu quitter ce rafiot craquant, qui prenait l’eau de toutes parts et où la multitude, gavée de foi, de promesses et de dogmes se cantonnaient dans l’hébétude et l’abrutissement.
C’est comme un acte de résistance : il voulait changer de peuple et de Dieu. Il voulait tenter autre chose. Vivre sa foi différemment parce qu’Allah, tel qu’on le lui apprenait aujourd’hui, était tellement à l’opposé de sa lucidité et de ses convictions !
C’est peut-être à cause de tous ces nouveaux prophètes qui, persuadés d’être les mandataires d’Allah, le consommaient à grands risques et le traînaient comme une dangereuse addiction, un neurotoxique, une drogue hallucinogène, une ivresse mystique ou une arme de destruction massive qu’ils lançaient, comme des obus, contre le peuple ingénu.
C’est aussi à cause de tous ces simples d’esprit, ces capons qui avouaient à chaque difficulté, à chaque souci, à chaque mauvais pas qu’ils n’attendaient rien de personne, pas même d’eux-mêmes mais qu’ils s’accrochaient seulement à Allah.
Et il avait mal au cœur, mal à l’âme, pour Allah empoigné comme on arrête un criminel ou un instigateur, Allah traîné dans la boue et implicitement accusé de maltraitance.
C’est aussi à cause de ces autres qui eux s’accrochent aux privilèges et utilisent Allah pour terrifier les masses et les empêcher de réfléchir.
Lui, il pleurait de rage et d’indignité. De honte d’appartenir à cette masse ignare !
C’est aussi à cause de ces énergumènes à la pensée sclérosée, à la parole rapide. Celui-là promet qu’il ne mangera pas le poisson attrapé. Il le jure par sa vie et celle de ses enfants, qu’il le gardera, qu’il le conservera, qu’il le momifiera. Parce que dans les yeux de la raie était écrit » Allah « . Comme dans le ciel d’Alger en 2011.
Moi, je jurerais qu’il faudrait juste des séances de psy pour ce peuple écervelé. Ce peuple indolent, apathique face à l’ennui et aux longueurs des journées.
Mais lui était pressé. Il souhaitait un destin plus fiable, un peuple souverain.
Il cherchait donc un antidote. Une bouée de sauvetage. Une lueur au bout du tunnel. Il voudrait entrer en résistance, trouver un autre Dieu si possible (car il ne pouvait pas vivre sans Dieu), un être de lumière, un Seigneur juste à aimer et à remercier pour la vie qu’il avait mise en lui et les immenses capacités qu’il lui avait données : la capacité d’agir, de réagir, d’entreprendre, d’exécuter, de réfléchir et de réaliser. La capacité d’aimer, de procréer, de haïr, de s’attendrir ou de s’endurcir. Et d’en assumer la responsabilité ou la culpabilité.
Parce qu’il était contre toute forme d’assistance, toute forme de déni de responsabilité qui encourage l’inertie et l’anarchie et qui réduit l’individu au rôle de simple témoin de sa vie, de sa réalité.
J’appris bien tard que le tribunal a jugé que le chrétien arrêté était jugé et condamné seulement parce qu’il s’était converti au christianisme.
Oui, la vie est belle. Allah est grand. L’homme est abracadabrant.
Katia BOUAZIZ