En août 1965, le régime algérien naissant commet un acte fondateur dans la mise sous tutelle de l’héritage révolutionnaire : la censure du journal “Révolution Africaine” qui s’apprêtait à commémorer un texte essentiel de la lutte de libération.
Dans son ouvrage éclairant, l’historien Christian Phéline revient sur cet épisode méconnu. À l’approche du 10e anniversaire du soulèvement du 20 août 1955, le directeur du journal Amar Ouzegane rédige en Une un article révélant la découverte récente de la plateforme de la Soummam, texte de 77 pages adopté en 1956 qui scelle les principes fondateurs de l’insurrection algérienne.
Problème : ce document prône clairement la primauté du politique sur le militaire dans l’Algerie indépendante. Une conception aux antipodes de la junte qui vient de renverser le président Ben Bella lors du coup d’État du 19 juin 1965. Aussi, en quelques heures, la Sécurité militaire fait saisir et détruire l’intégralité du tirage, 20.000 exemplaires.
Selon l’historien Mohammed Harbi, cet acte inaugure la mainmise des militaires sur l’appareil d’État et leur volonté d’étouffer toute voix dissonante, fusse-t-elle issue du sérail révolutionnaire. Cette stratégie d’épuration systématique des institutions et de la société algérienne n’a depuis cessé de s’accentuer.
Un demi-siècle plus tard, le mot d’ordre « État civil et non militaire » repris par le Hirak renoue avec l’héritage de la plateforme de la Soummam et sa conception d’une armée sous contrôle démocratique. Au grand dam d’un pouvoir algérien dont la doctrine autoritaire plonge ses racines dans la censure de 1965.
Kamel AIDOUNE