1. Une répression accrue lors des élections présidentielles anticipées
La répression des autorités algériennes envers toutes voix dissidentes se pérennise et a eu tendance à s’accroître, notamment en août et début septembre, où elle atteint son paroxysme, lors de l’organisation des élections présidentielles anticipées, à l’issue de laquelle le président sortant est réélu avec un score de plus de 94%. Mais selon le Matin d’Algérie, repris par Courrier international : « Les Algériens savent bien que la présidentielle est de la poudre aux yeux »6. Le 30 août 2024, Le Monde titrait : « En Algérie, les arrestations pour délit d’opinion se multiplient à l’approche de la présidentielle : alors que la campagne électorale se déroule depuis le 15 août dans une certaine indifférence, des dizaines de personnes, internautes, militants ou cadres politiques, ont été interpellées récemment »7
- Courrier International, « Les Algériens savent bien que je la présidentielle est « de la poudre aux yeux », le 26 août 2024, selon Samia Naït Iqbal pour Le Matin d’Algérie
- Le MondeAfrique, Salim Attar, « En Algérie, les arrestations pour délit d’opinion se multiplient à l’approche de la présidentielle », publié le 30
Le président sortant n’a assuré qu’un seul meeting de campagne, à Constantine, qui a beaucoup fait réagir. Les débats politiques contradictoires ont été absents des médias, et seuls les réseaux sociaux ont permis de faire entendre certaines voix, malgré leur surveillance accrue durant cette campagne.
De plus, alors que seize candidats avaient été annoncées pour la présidentielle, seuls trois ont été retenus (Abdelaali Hassani Cherif, président du Mouvement de la société pour la paix (MSP), Youcef Aouchiche, secrétaire général du Front des forces socialistes et le président sortant Abdelmadjid Tebboune). Selon la fameuse Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), seuls ces trois hommes remplissaient
« les conditions fixées par la loi organique relative au régime électoral ». Une configuration partisane classique pour le paysage politique algérien selon Malik Ben Salem8. Karim ik (coordinateur de l’Union démocratique et social, non agréée) et Fethi Ghares (coordinateur du Mouvement
août 2024, modifié le 03 septembre 2024
- Courrier international, « Présidentielle algérienne : seulement deux candidats face à Abdelmadjid Tebboune », le 29/07/24
démocratique et social, le MDS, suspendu) se sont vu harcelés après avoir annoncé leur opposition aux élections présidentielles anticipées. Le régime, sous couvert d’organiser des élections libres, a verrouillé le processus en disqualifiant systématiquement les candidats de l’opposition. Les leaders de l’opposition sont interdits de candidature, forçant la population à choisir entre des candidats pro-régime.
Les résultats affichés, avec un taux de participation suspect, bien au-delà de ce que les observateurs indépendants estiment réel, suscitent des interrogations et amplifient le scepticisme de la population algérienne. Le processus de désignation des candidats témoigne d’une instrumentalisation des mécanismes démocratiques pour garantir une continuité autocratique, érodant la confiance du peuple dans la légitimité du régime.
Dimanche 8 septembre, Mohamed Charfi annonce une victoire du candidat sortant avec 94,65% des voix exprimées. C’est donc sans grande surprise qu’Abdelmadjid Tebboune a été réélu malgré le désintérêt persistant des Algériennes et
Algériens pour ces élections, dont le taux d’abstention reste le grand gagnant : sur un corps électoral de 24 millions de personnes seuls 5.6 millions d’Algériens ont voté. Ces élections consacrent la non-adhésion des Algériens au gouvernement Tebboune, malgré sa volonté de réinstaurer sa légitimité et popularité après l’élection présidentielle de 2019, qui avait, elle aussi, été boycottée par une grande majorité de la population.
Ces nouvelles élections font état de plusieurs irrégularités : quatre jours après leur organisation, aucune autorité n’était capable de donner les chiffres officiels définitifs. Même lorsque le président de l’Autorité Nationale Indépendante des Élections (ANIE) s’est risqué à rendre un communiqué présentant les chiffres officiels, celui-ci a été contesté par les trois candidats. En effet, le taux de participation annoncé par le président de l’ANIE a fait l’objet d’une contestation commune adressée au travers d’un communiqué des trois candidats retenus, même du président élu, en parallèle des messages de félicitations qui lui étaient adressés. L’opération séduction du président s’est soldée par un échec durant
l’élection présidentielle, malgré sa « réélection », mais cette opération séduction ne s’arrête pas là. En effet, à la veille du 1er novembre, à l’occasion du 70ème anniversaire du déclenchement de la guerre d’indépendance, le président fraîchement « réélu », a signé deux décrets présidentiels sur des mesures de grâce pour plus de 4000 détenus, suscitant l’espoir des proches de détenus d’opinion. Ces libérations (parmi lesquelles le journaliste Ihsane El Kadi, Mohad Gasmi ou encore Mohamed Tadjadit) censées apaiser la société algérienne après le fiasco des élections présidentielles, n’ont concerné qu’une douzaine de détenus d’opinion sur plus de
200. Les autorités algériennes refusent toujours les termes de
« détenus d’opinion » ou « détenus politiques » affirmant que ceux-ci sont poursuivis pour des infractions de droit commun.
À quelques jours de l’élection présidentielle prévue le 7 septembre, au cours de laquelle le président Abdelmadjid Tebboune cherche à obtenir un second mandat, l’arrestation de Fethi Ghares, figure emblématique de l’opposition algérienne, vient intensifier le climat politique déjà tendu.
Cette arrestation survient également dans un contexte de répression accrue, marqué par le renforcement des mesures de contrôle imposées à d’autres figures du soulèvement populaire de 2019, comme Karim Tabbou.
Le Comité national pour la libération des détenus (CNLD) a confirmé que Fethi Ghares, leader du Mouvement démocratique et social (MDS), interdit en février 2023, a été arrêté à son domicile par trois agents en civil et conduit au commissariat central d’Alger. Son épouse, qui a témoigné de l’interpellation sur Facebook, a précisé que les agents n’avaient présenté aucune convocation et que, bien qu’il ait été initialement annoncé qu’il serait emmené au commissariat voisin, elle n’a pu obtenir aucune information sur son lieu de détention une fois sur place. Aucun communiqué officiel n’a été publié sur cette arrestation ni sur ses motifs.
Fethi Ghares, militant de gauche et fervent défenseur d’un État laïque, s’était déjà illustré par son engagement au sein du mouvement soulèvement populaire de 2019, qui demandait une réforme profonde du système politique en place depuis
l’indépendance de l’Algérie. En juillet 2021, il avait été placé sous mandat de dépôt à la prison d’El Harrach et poursuivi pour des charges incluant « atteinte à la personne du président de la République », « outrage à corps constitué », ainsi que pour « diffusion d’informations pouvant porter atteinte à l’unité nationale » et à « l’ordre public ». Condamné en janvier 2022 à deux ans de prison ferme, sa peine avait été réduite en appel à un an, dont six mois fermes.
Karim Tabbou, quant à lui, ancien dirigeant du FFS et fondateur de l’UDS, figure de l’opposition algérienne, subit depuis 2020 d’intenses pressions judiciaires. Une fois de plus, il devait comparaître devant la justice, le 11 septembre dernier, dans le cadre de nouvelles restrictions qui visent à le réduire au silence. Ces mesures, renforcées fin août, lui interdisent toute activité politique ou médiatique, ainsi que toute publication sur les réseaux sociaux, et restreignent sévèrement ses déplacements.
Karim Tabbou est notamment poursuivi pour des critiques exprimées lors d’une émission en mai 2023 sur la chaîne Al- Magharibia. Lors de ce débat, aux côtés de l’ancien président tunisien Moncef Marzouki, il avait critiqué ouvertement le régime algérien, le tenant responsable de la crise qui secoue le pays. Depuis, il est contraint de pointer tous les lundis au tribunal et est interdit de quitter le territoire national.
Ses avocats dénoncent une stratégie de harcèlement administratif et des violations de ses droits fondamentaux, soulignant des pratiques judiciaires abusives.
De nombreux militants des droits humains, dont la plupart sont des anciens détenus d’opinion, ou font l’objet de poursuites judiciaires liées à l’exercice de leur liberté d’expression, ont été convoqués, placés en détention ou soumis à un contrôle judiciaire avant et durant la campagne présidentielle. Mohcine Belabbas, ancien président du RCD, déclarait au sujet de cette élection : « Jamais une campagne électorale présidentielle n’a été empreinte d’une répression
aussi implacable »9. Ces mesures ont été prises soit à titre préventif, soit en raison de leur boycott de l’élection présidentielle, comme ce fut le cas pour le RCD dont des dizaines de cadres se sont vu brièvement arrêtés le 20 août, afin d’empêcher la commémoration du congrès de la Soummam, à Ifri, dans la wilaya de Béjaïa. Ce type d’arrestation est devenu monnaie courante pour les autorités, qui cherchent à étouffer toute forme de dissidence avant le scrutin.
- L’ancien détenu d’opinion Okba Hicham, remis en liberté conditionnelle début juillet, a été placé sous mandat de dépôt pour avoir brandi une pancarte dans laquelle il annonce qu’il boycottera la prochaine présidentielle. Il est accusé d’offense au président de la République et incitation à attroupement non armé. Le tribunal correctionnel de Khenchela l’a condamné, le 18 août, à 18 mois de prison ferme.
D’autres activistes comme Mohamed Athmane (Msila), Ahmed Sadi (Biskra), et Sofiane Rabiai
- Le MondeAfrique, Salim Attar, « En Algérie, les arrestations pour délit d’opinion se multiplient à l’approche de la présidentielle », publié le 30 août 2024, modifié le 03 septembre 2024
(Alger), trois anciens détenus d’opinion, ont été arrêtés et placés sous mandat de dépôt après plusieurs jours en garde à vue, durant la même période.
- Le tribunal de Médéa a condamné l’activiste Rabah Kadri a un an de prison avec sursis pour avoir exprimé son opinion au sujet des élections présidentielles. Il est accusé d’« outrage à corps constitué », « publication de fausses nouvelles dans le but de porter atteinte à la sécurité et à l’ordre public ».
- L’universitaire Larbi Ferhati a été convoqué par la police de cybercriminalité de Batna et a été interrogé à propos de ses publications sur Facebook au sujet des élections présidentielles, qui approchaient.
- Le 25 juin 2024, l’enseignante universitaire Mira Moknache, ainsi que d’autres militants pour la plupart d’anciens détenus d’opinions, ont été retenus à un barrage après s’être recueillis devant la tombe du chanteur engagé Matoub Lounès, sur laquelle ils souhaitaient déposer une gerbe de fleur à l’occasion du 26ème anniversaire de son assassinat. Ils ont été relâchés quelques heures plus tard.
Ces cas ne sont que des exemples d’arrestations qui ont eu lieu entre fin juillet et début août. Des dizaines d’activistes ont évidemment fait l’objet de mandat de dépôt durant cette dernière année pour avoir exprimé leurs opinions sur les réseaux sociaux.
Les autorités algériennes, face à la résurgence du mouvement citoyen du soulèvement populaire, emploient des tactiques de surveillance et de criminalisation de l’opinion pour dissuader toute activité en faveur des droits humains.
A la lumière de ces éléments qui constituent une atteinte à l’État de droit, Riposte Internationale appelle la communauté internationale à prendre acte de cette situation et à exercer une pression diplomatique sur le gouvernement algérien pour le respect des normes internationales en matière de droits humains. Nous rappelons aussi la nécessité de protéger les droits et libertés fondamentales des Algérien.ne.s et de continuer à condamner fermement toute répression ou tentative de musellement de la société civile. Au-delà des arrestations durant la période électorale et du fort taux
d’abstention de celles-ci, la société algérienne est continuellement impactée par ce climat de terreur et de répression, consciente que, malgré les discours d’espoir d’un nouveau dialogue social du Président, la situation ne changera pas.

