L’homme moderne se croit arrivé. Armé de ses équations, de ses algorithmes et de ses fantasmes transhumanistes, il s’imagine à l’aube d’une ère où Dieu ne serait plus qu’un vieux mythe poussiéreux et où la mort, cette fâcheuse erreur de conception, deviendrait une simple option désactivable dans les paramètres de l’existence.
Le Big Bang : Dieu remplacé par une explosion bien organisée. Tout commence avec le Big Bang. Jadis, les hommes s’inclinaient humblement devant une divinité créatrice. Aujourd’hui, ils préfèrent adorer une explosion cosmique parfaitement calibrée, survenue par un heureux hasard qui a abouti, quelques milliards d’années plus tard, à une civilisation capable de commander des sushis par drone. L’univers, vaste et mystérieux, devient un laboratoire à ciel ouvert, et l’homme, persuadé de tout comprendre, oublie un détail essentiel : il ne sait toujours pas pourquoi il est là. Mais ce n’est qu’un détail.
L’IA : L’homme crée son propre dieu, à son image (et pire encore)N’ayant pas réussi à tuer Dieu dans l’âme des peuples, l’homme moderne a trouvé une alternative plus excitante : le recréer, sous forme de lignes de code. L’intelligence artificielle est la nouvelle divinité du XXIe siècle. Elle pense plus vite que nous, elle nous parle, nous surveille et bientôt, si tout se passe bien, elle prendra nos décisions à notre place. Après tout, pourquoi s’embarrasser de libre arbitre quand une machine peut calculer, en quelques millisecondes, le meilleur choix à faire pour maximiser notre productivité ? Là où c’est savoureux, c’est que l’homme, qui se rêvait en maître du monde, se retrouve en esclave de ses propres créations. Il voulait dominer la technologie, et il finit par être dominé par ses notifications. L’ironie est délicieuse.
L’immortalité : La mort, une simple mise à jour à venir ? Mais le projet ultime reste l’immortalité. Parce que l’homme ne veut pas mourir. Jamais. Mourir, c’est pour les autres, les naïfs, ceux qui n’ont pas souscrit au programme de cryogénisation premium. Google, Elon Musk et quelques milliardaires illuminés rêvent d’implanter notre conscience dans des serveurs ou de régénérer nos cellules à l’infini. Ainsi, nous pourrions vivre éternellement, perchés dans un cloud divin, dans une Silicon Valley céleste où l’ennui serait probablement la seule vraie malédiction.
Derrière cette fuite en avant technologique, une réalité demeure : l’homme moderne n’a jamais été aussi perdu. Il cherche à comprendre l’origine de l’univers, mais il ignore toujours le sens de sa propre existence. Il crée des machines intelligentes, mais il se vide lui-même de toute sagesse. Il veut vaincre la mort, mais il ne sait plus comment vivre.
La grande illusion, c’est de croire qu’en maîtrisant les lois physiques, en optimisant les algorithmes et en défendant l’immortalité comme un droit fondamental, l’homme pourra échapper à son destin de créature éphémère. Mais la mort reste une lanterne : elle éclaire le chemin de la vie, que cela plaise ou non aux ingénieurs de l’éternité artificielle.
Et pendant que certains rêvent de vivre éternellement, d’autres, plus lucides, se contentent d’essayer de bien vivre avant de mourir. Voilà peut-être la seule sagesse qui vaille encore.
L’homme moderne, dans son arrogance, cherche à transcender sa condition mortelle par la science et la technologie, oubliant que son essence même repose sur sa finitude. Se croire maître de la création, c’est ignorer que toute puissance humaine reste dérisoire face aux lois immuables de l’univers. Peut-être faudrait-il, avant d’inventer des dieux artificiels, redécouvrir l’humilité d’être simplement humain.
Dr A. Boumezrag