Une fois de plus, la France et l’Algérie s’offrent un duel diplomatique digne d’une tragédie en plusieurs actes. Cette fois-ci, c’est Boualem Sansal, écrivain subversif, intellectuel encombrant, qui cristallise les tensions.

En France, on brandit son nom comme un étendard de la liberté d’expression, en oubliant qu’on n’a jamais vraiment su quoi faire de lui. Trop acerbe pour être consensuel, trop libre pour servir de simple caution intellectuelle, il devient soudain un symbole national au nom du grand principe de la défense des opprimés. La raison d’État s’en empare, les tribunes indignées fleurissent, et on proclame haut et fort qu’il est impensable qu’un écrivain soit persécuté pour ses idées… du moins, quand il est persécuté ailleurs.

En Algérie, l’affaire Sansal révèle une déraison d’État devenue presque routinière. Un intellectuel qui dérange, c’est une anomalie à réprimer. Trop critique, trop insaisissable, trop peu aligné sur la grande narration nationale, il est plus simple de le faire taire que de le contredire. On ne censure pas officiellement, on marginalise, on diabolise, on emprisonne sous des prétextes qui feraient rire s’ils n’étaient pas tragiques. Le pouvoir algérien prétend refuser toute ingérence, mais agit avec la prévisibilité d’un métronome désaccordé.

Entre ces deux postures, une même hypocrisie règne. En France, la défense de Sansal s’inscrit dans une logique de confrontation avec Alger, mais qu’en est-il des autres voix muselées, ici comme ailleurs ? L’indignation est à géométrie variable, fonction des opportunités diplomatiques et des intérêts du moment.

En Algérie, on prétend rejeter toute influence étrangère, tout en se conformant à l’antique règle des régimes autoritaires : la parole libre est un danger à éliminer. Que Sansal ait toujours été plus célébré à l’étranger que chez lui ne change rien à l’affaire : il est devenu un problème, donc il faut s’en débarrasser.

Finalement, Sansal, que personne ne voulait vraiment hier, devient aujourd’hui l’homme que chacun instrumentalise à sa façon. Entre raison d’État et déraison d’État, il reste ce qu’il a toujours été : un écrivain qui refuse de se taire.

Ainsi va le destin des écrivains dans les guerres diplomatiques : ni héros, ni martyrs, juste des otages symboliques que les États brandissent ou enterrent selon leurs intérêts. En France, Boualem Sansal devient l’écrivain à défendre, tant qu’il sert une posture politique. En Algérie, il reste l’homme à abattre, car penser librement est un crime d’État.

Et pendant que les chancelleries s’indignent et que les médias s’embrasent, lui, sans doute, continue à écrire. Car si l’Histoire nous a bien appris une chose, c’est que les dictatures passent, mais les mots restent.

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » – Albert Camus. Et dans cette affaire, les mots semblent plus redoutés que les actes. Dans l’affaire Sansal, les mots sont plus redoutés que les actes en France comme en Algérie, car ils touchent à des vérités dérangeantes que chacun préférerait taire ou manipuler à son avantage.

Le régime algérien craint les intellectuels comme Sansal non pas pour ce qu’ils font, mais pour ce qu’ils disent . Il ne s’agit pas d’un opposant armé, ni d’un militant appelant au soulèvement, mais d’un écrivain qui déconstruit le récit officiel , qui questionne le pouvoir, qui refuse la langue de bois.

Dans une dictature ou une démocratie autoritaire, les mots sont une arme plus dangereuse que les actes , car ils sèment le doute, réveillent les consciences et fragilisent l’ordre établi. Le pouvoir peut réprimer une manifestation, censurer un journal, mais il lui est bien plus difficile de faire taire une idée une fois qu’elle a été énoncée .

Censurer un livre, c’est avouer qu’il dit vrai. Voilà pourquoi l’Algérie préfère diaboliser Sansal, plutôt que de débattre avec lui.

En France, l’affaire Sansal n’est pas une question d’actes concrets , mais de discours et de symboles. La classe politique et les médias l’instrumentalisent pour affirmer une posture morale : la défense de la liberté d’expression. Mais ces derrière grands discours, la réalité est plus ambiguë.

La France célèbre Sansal parce qu’il est persécuté ailleurs, mais at-elle vraiment soutenu ses écrivains dissidents lorsqu’ils dérangeaient sur son propre sol ?

L’indignation est-elle sincère ou simplement une façon de tacler le régime algérien dans un jeu de tensions diplomatiques récurrentes ?

Le paradoxe français, c’est que la liberté d’expression est défendue avec de grandes phrases, mais qu’elle est souvent bafouée lorsqu’elle gêne les intérêts nationaux . On s’indigne bruyamment pour Sansal, mais qu’en est-il des autres écrivains, journalistes et penseurs marginalisés pour avoir exprimé certains tabous français ?

Un écrivain n’a pas besoin d’armes pour s’inquiéter d’un pouvoir. Il lui suffit d’un stylo et d’un silence gêné en face.

Dans cette affaire, ce n’est pas ce que Sansal a fait qui dérange, mais ce qu’il représente . Un écrivain libre est un miroir tendu aux hypocrisies des régimes qui l’instrumentalisent ou le combattent. En Algérie, il est un danger à éliminer. En France, il est un symbole à brandir, tant que cela sert une cause.

Finalement, Sansal prouve malgré lui une vérité simple : les l régimes autoritaires craignent la pensée libre, et les démocraties jouent avecles mots quand ç les arrange.

Dans l’affaire Sansal, la France et l’Algérie instrumentalisent chacune à leur manière l’écrivain et son œuvre, selon ce qui les arrange politiquement et diplomatiquement.

La France s’empare de l’affaire pour réaffirmer son attachement à la liberté d’expression , un principe qu’elle brandit dès que cela lui permet de se poser en défenseur des opprimés.

Un écrivain persécuté ? Parfait pour dénoncer la répression en Algérie, tout en entraînera un débat sur ses propres contradictions en matière de liberté d’expression.

Une critique intellectuelle envers son pays d’origine ? Cela alimente un narratif où la France se pose en terre d’accueil pour les voix dissidentes.

Un nouvel élément dans le feuilleton des tensions franco-algériennes ? Chaque prétexte est bon pour relancer le bras de fer diplomatique.

Mais cette indignation est-elle vraiment sincère ? Quand des intellectuels français critiquent les angles morts de la République (colonisation, immigration, racisme institutionnel), sont-ils autant défendus que Sansal aujourd’hui ? Sansal est un « écrivain à défendre » tant qu’il critique le bon ennemi.

En Algérie : Un prétexte pour réaffirmer l’autorité du régime. Du côté algérien, la machine répressive tourne à plein régime. L’affaire Sansal sert à réaffirmer le contrôle du pouvoir sur la parole publique et à désigner un ennemi commode.

Un écrivain trop libre, trop critique ? Il devient un traître, un agent de l’étranger.

Un soutien français à son égard ? Parfait pour nourrir le discours anti-ingérence et ravir la vieille rhétorique du complot colonial.

Un danger pour le régime ? Non pas par ses actes, mais parce que ses mots fissurent la version officielle de l’histoire. Sansal est « l’ennemi à abattre » tant qu’il refuse de se taire.

Au final, les États n’aiment les écrivains que lorsqu’ils leur sont utiles . En France, on le célèbre pour pointer du doigt l’Algérie, mais dans un silence sélectif sur d’autres voix dérangeantes. En Algérie, on l’écrase parce qu’il refuse de jouer au jeu du nationalisme officiel.

« Un écrivain libre est un problème pour tous les pouvoirs : il ne combat pas, il dévoile. »

Dr A Boumezrag

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