Dans une déclaration qui ne souffre aucune ambiguïté Ahmed Gaïd Salah s’en prend aux porteurs de drapeaux amazighs pendant les marches qui exigent le départ du système.
« Il m’appartient également en cette occasion d’attirer l’attention sur une question sensible, à savoir la tentative d’infiltrer les marches et porter d’autres emblèmes que notre emblème national par une infime minorité. L’Algérie ne possède qu’un seul drapeau, pour lequel des millions de Chouhada sont tombés en martyr », a déclaré aujourd’hui mardi 19 juin Ahmed Gaïd Salah.
Poursuivant martial : « Un emblème unique qui représente le symbole de souveraineté de l’Algérie, de son indépendance, de son intégrité territoriale et de son unité populaire. Il est inacceptable de manipuler les sentiments et émotions du peuple algérien ». Le vice-ministre de la Défense précise : « De ce fait, des ordres et des instructions stricts ont été donnés aux forces de l’ordre pour une application rigoureuse des lois en vigueur et faire face à quiconque tente encore une fois d’affecter les sentiments des Algériens à propos de ce sujet sensible et délicat ».
Pourquoi Ahmed Gaïd Salah parle-t-il d' »infiltration » ? Insinue-t-il que les porteurs de drapeaux amazighs ne sont pas des Algériens, voire un danger pour le mouvement de dissidence et partant de l’Algérie ? Cette déclaration est loin d’appeler à l’apaisement qui doit prévaloir en ce moment. Elle risque, bien au contraire, d’attiser la colère des millions d’Algériens qui se reconnaissent dans l’identité amazighe. Et cette dernière ne veut nullement dire renier le drapeau algérien, encore moins le sacrifice des dizaines de milliers de moudjahidine. Loin de là.
Pourtant ce drapeau qui manifestement est un danger n’est pas de 2019. Car faut-il rappeler au vice-ministre de la Défense, censé ne pas s’immiscer des affaires politiques, que des Algériens brandissent ce drapeau depuis des dizaines d’années et ceux-ci n’ont jamais été source de quelque violence que ce soit ? Le 14 juin dernier, ces drapeaux ont été justement brandis aux quatre coins de l’Algérie.
Si le vice-ministre de la Défense entend donc arrêter dès vendredi prochain tous les porteurs de ce drapeau, il faudra sans nul doute plus que des commissariats et des prisons pour contenir tous les « impertinents » !
Le vice-ministre de la Défense a dès les premiers vendredis de contestation, agité la même menace, comme au demeurant celle des risques que l’Algérie devienne la Syrie. En vain. Et, au plus fort des incertitudes qui planent sur la situation politique du pays, voilà que le chef d’état-major revient à la charge.
Pourquoi maintenant ? Pourquoi cristalliser les critiques sur le drapeau amazigh ? Derrière cette déclaration comminatoire, y a-t-il une volonté de créer un point de rupture, voire des divisions, entre manifestants pour affaiblir le mouvement de dissidence populaire ?
Cette sortie pourrait constituer une énième diversion ou au pire un changement de paradigme inquiétant. Car les Algériens ont, depuis le 16 février, manifesté, avec un immense sens du civisme et de la diversité, leur rejet du système. Et en l’espèce cette déclaration, enveloppée dans un ensemble de messages sybilins, tombe très mal. Elle signe une volonté de rediriger le curseur des luttes vers un terrain dangereux.