La rhétorique du « terrain ». « Être sur le terrain ». L’expression est devenue une formule presque obligée, synonyme de crédibilité, de « courage » et d’efficacité.
Cette rhétorique est omniprésente dans le discours de nombreux élus (qui semblent souvent penser que le courrier qu’ils reçoivent et les propos accompagnant les mains qu’ils serrent sur les marchés ou dans des cafés, le week-end constituent une expression représentative des attentes de leurs concitoyens). Et celui de nombreux responsables politiques (qui multiplient les déplacements et les bains de foule sous l’œil des caméras de télévision) et dans celui de nombreux journalistes (qui semblent s’imaginer qu’il suffit de tendre un micro dans la rue pour recueillir « la parole des vraies gens »).
Or il est bien des façons d’« être sur le terrain », chacun y étant un peu à sa façon, la spécificité de cette façon d’y être conditionnant l’intérêt de ce que l’on peut en raconter. Dit autrement, tout le monde est « sur le terrain » à sa manière, avec ses lunettes et ses œillères, voyant ce qu’il peut et/ou ce qu’il veut voir.
En conséquence, aucun acteur ne détient de légitimité supérieure à celle des autres pour parler des questions de prévention et de sécurité (comme de toute autre question sociale du reste). Et si, contrairement à la Police nationale par exemple, l’on n’entend quasiment pas les travailleurs sociaux dans le débat public, c’est d’une part qu’ils ne savent guère s’y faire entendre collectivement, d’autre part que leurs métiers ne se prêtent pas à la réaction émotionnelle, et encore moins à la tentative de récupération politique face aux faits divers. Au contraire, ces métiers sont tout entiers tournés vers un travail de fond, accompli le plus souvent dans l’ombre, et qui mesure sa pertinence à la résolution des situations problématiques, donc à l’évitement des événements dramatiques .
Slimane ALEM