Chapitre 2 Partie 1 et 2 du rapport sur la situation des Droits humains en Algérie 2024
II. Les modifications du Code pénal et de la loi sur l’information : la consolidation d’un virage autoritaire
1. La loi sur l’information et les modifications du 27 août 2023
La loi sur l’information régit les principes et règles de l’activité de l’information et son libre exercice, elle contient 56 articles et ses modifications ont fortement été défendues par l’ancien ministre de la Communication Mohamed Bouslimani. Les modifications apportées par la loi n°23-14 publiée le 27 août 2023 au Journal Officiel, précise en son article 2 que « par activités d’information, il est entendu, toute publication d’informations, d’images ou d’avis ou toute diffusion de faits d’actualité, de messages, d’opinions, d’idées, de connaissances, par tout support écrit, électronique ou audiovisuel à destination du public ou d’une catégorie de public ». Selon l’article 3 de cette même loi, l’activité d’information est « une activité librement exercée
dans le cadre des dispositions de la Constitution, de la présente loi et de la législation et de la réglementation en vigueur », elle dispose de même que cette activité doit se faire « dans le respect de la religion musulmane et de la référence religieuse nationale, des autres religions, de l’identité nationale, des constantes et des valeurs morales et culturelles de la Nation, de la souveraineté nationale, de l’unité nationale et de l’unité territoriale, des exigences de l’ordre public, de la sécurité et de la défense nationale, des attributs et des symboles de l’État, de la dignité de la personne humaine et des libertés individuelles et collectives, des intérêts économiques du pays » et des symboles de l’État, de la dignité de la personne humaine et des libertés individuelles». Pourtant, malgré la volonté d’une « activité qui s’exercent librement », de nombreux journalistes et associations de journalistes, telles que Reporters sans frontières (RSF) ainsi que la Fédération internationale des journalistes (FIJ), se sont offusqués de ces modifications. En effet, au mois d’avril 2023, RSF appelait le Sénat algérien à
rejeter les dispositions liberticides de la nouvelle loi sur l’information2.
Cette modification de la loi prévoit notamment une sanction pénale et une amende pour tous médias algériens qui bénéficieraient d’un « financement ou d’une aide matérielle directe ou indirecte de toute partie étrangère » (article 12). Elle renforce le contrôle du gouvernement sur les médias et journalistes en subordonnant l’octroi de licences aux médias et l’accréditation des journalistes au contrôle du ministère de l’Information, qui selon les normes internationales en matière d’information devraient être gérés par des organes de régulation indépendants3. Cette loi prévoit la création d’un haut conseil d’éthique professionnelle avec la nomination de la moitié de ses membres directement par le président algérien, ne permettant pas de garantir le principe d’indépendance de la presse. Cette même loi prévoit
- Reporters sans frontières (RSF), « RSF appelle le Sénat algérien à rejeter les dispositions liberticides de la nouvelle loi sur l’information », le 13/04/2023
- Fédération internationale des journalistes (FIJ), « Algérie : une nouvelle loi liberticide sur l’information », le 25/04/23
désormais qu’à la demande des autorités, les journalistes seront forcés de révéler leurs sources.
La Fédération internationale des journalistes (FIJ) et son secrétaire général, Anthony Bellanger, se sont dit inquiets quant à ce texte, qui, « menace directement la liberté de la presse et l’indépendance des journalistes, tout en renforçant une ingérence de l’État déjà omniprésent, dans les médias et la presse »4. La FIJ déplorait de même l’absence d’un syndicat national de journalistes encore actif en Algérie permettant la défense des intérêts des journalistes algériennes et algériens, beaucoup de représentants de la fonction ont pourtant fait part de leurs vives inquiétudes face à ce texte sur lequel ils n’ont nullement été consultés.
En 2024, l’espace médiatique algérien est presque entièrement dominé par le discours officiel, tandis que les médias indépendants subissent sans cesse des pressions. En plus des arrestations de journalistes, les autorités recourent à des méthodes de censure numérique (blocage de sites) et de
- Fédération internationale des journalistes (FIJ), « Algérie : une nouvelle loi liberticide sur l’information », le 25/04/23
restrictions administratives pour contrôler la diffusion de l’information. La récente loi sur la cybersécurité5 a intensifié cette répression, permettant de poursuivre les citoyen.ne. s pour leurs publications en ligne en limitant, ainsi l’accès des Algériennes à une information diversifiée. Le contrôle étroit des réseaux sociaux, qui avaient permis au soulèvement populaire de 2019 de s’organiser, s’accompagne de la surveillance et du blocage de sites d’information, privant les citoyen.ne. d’un espace crucial de débat et de mobilisation. Les journalistes et citoyen.ne. s qui partagent des opinions critiques sont ainsi exposés à des arrestations et poursuites judiciaires pour « cybercriminalité ».
- Le Matin d’Algérie, « La répression en Algérie : surveillance et contrôle totale des libertés », le Lundi 4 novembre 2024
2. La modification du code pénal algérien : nouvelle extension pour l’article 87-bis du code pénal
En avril 2024, les autorités algériennes ont promulgué une nouvelle version du code pénal : ce texte, qui selon le ministre de la Justice vise à « adhérer aux efforts de la communauté internationale pour lutter contre toutes les formes de criminalité, notamment le crime organisé, le terrorisme, le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent » comporte pourtant des dispositions contraires aux standards internationaux en matière de liberté d’expression, d’association, de rassemblement pacifique. En effet, cette révision ne permet pas de rejoindre les standards internationaux en matière de législation antiterroriste, argument pourtant avancé par le gouvernement algérien pour justifier cette modification. Cette nouvelle loi a permis d’étendre – encore – la liste des actes considérés comme terroristes au sein de l’article 87 bis. Désormais est aussi considéré comme un acte terroriste « les attentats avec
utilisation d’explosifs ou de matières biologiques, chimiques, nucléaires, radioactives ou tout autre arme de destruction massive », ce qui apparaît justifiable. L’amendement de l’article 87 bis, qui étend la définition du terrorisme, prévoit deux nouveaux grands paramètres, qui apparaissent problématiques : « accéder au pouvoir ou changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels » est désormais considéré comme terroriste, tout comme « porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou inciter à le faire, par quelque moyen que ce soit ». Désormais l’utilisation de ces moyens dits « non constitutionnels pour changer le système », – soit plus larges que le terme
« anticonstitutionnel » prévu auparavant dans l’article 87 bis,
– suffisent à qualifier un acte de terroriste. Autrement dit, tout moyen qui ne serait pas prévu par la Constitution.
Avant même ces extensions, l’État algérien, utilisait déjà l’article 87 bis de manière détournée afin de réduire les libertés fondamentales d’expression ou de rassemblement pacifique des citoyens algériens (défenseurs des droits humains, militantes, activistes, avocats, journalistes…).
Plusieurs experts des Nations unies se sont dits préoccupés par cet article avant même sa révision. Ils alertaient sur la définition de terrorisme comprise dans cet article 87 bis
« trop large et peu précise, permettant la poursuite de comportements qui peuvent relever de la pratique de l’exercice de la liberté d’expression et de rassemblement pacifique ». La modification de cet article ne correspond donc toujours pas aux standards internationaux en matière de législation antiterroriste et cristallise la volonté des autorités algériennes de protéger le système afin d’éviter tout changement.
Aussi, cette année encore, l’article 87 bis a été utilisé de manière intensive par les juges cette année encore contre les activistes pacifiques.

