Dans la bande sahélienne, on cultive la résilience, on exporte la misère, et on importe des coups d’État comme des denrées de première nécessité.

Depuis 2020, le Sahel est devenu le théâtre d’une série de “transitions” qui n’en finissent plus de commencer. Du Mali au Burkina Faso, en passant par le Niger, les régimes tombent et les militaires montent, dans un ballet où les promesses de refondation démocratique s’effacent devant la réalité d’un pouvoir enraciné sans mandat, mais avec méthode.

L’art de la transition permanente

Au Mali, Assimi Goïta chasse Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020, puis Bah N’Daw quelques mois plus tard, dans ce qui restera comme le coup d’État dans le coup d’État. Au Burkina Faso, Paul-Henri Damiba renverse Roch Kaboré en janvier 2022, avant d’être lui-même chassé en octobre par le capitaine Ibrahim Traoré, qui s’installe avec promesse de rupture… et de report. Enfin, en juillet 2023, c’est au tour du général Abdourahamane Tiani de faire tomber Mohamed Bazoum au Niger, à coups de communiqué sécuritaire.

Partout, la formule est la même : le putsch comme purge, le militaire comme messie, et la “transition” comme terrain d’ancrage du pouvoir.

Le calendrier flexible, spécialité sahélienne

“Nous organiserons des élections dès que les conditions seront réunies.” Cette phrase, entendue de Bamako à Ouagadougou, est devenue l’hymne non-officiel des nouvelles autorités.

Le Mali a reporté les scrutins promis à 2022 pour les fixer… à 2026.

Le Burkina Faso visait juillet 2024, mais rien ne garantit qu’un bulletin sera glissé cette année.

Au Niger, le mot “élection” est devenu tabou, tant les nouvelles autorités entendent “restaurer l’ordre avant la démocratie”.

Ainsi, la sécurité est invoquée pour suspendre le droit, la “souveraineté” devient un mot de passe pour verrouiller l’espace public, et la lutte contre le terrorisme se transforme en prétexte pour l’autoritarisme.

Souveraineté mise en scène, dépendance en coulisses

Rompre avec la Françafrique ? Bien sûr. Mais pas au point de rompre avec les rapports de domination : on chasse un allié pour en épouser un autre.

Les régimes sahéliens fustigent l’ingérence occidentale tout en s’ouvrant à d’autres puissances – Russie, Turquie, Chine, Émirats – avec des accords militaires aussi opaques qu’opportuns. On bannit RFI et France 24, mais on relaye RT Afrique en boucle. On quitte la CEDEAO, mais on forme une Alliance des États du Sahel (AES), nouveau syndicat des transitions prolongées.

C’est la géopolitique du miroir inversé : ce que l’on reprochait aux anciens maîtres est reproduit, mais sous une bannière nationale.

Le prix du pouvoir sans contre-pouvoir

Pendant que les discours se musclent, la situation humanitaire s’effondre.

Plus de 6 millions de déplacés internes dans la zone sahélienne (UNHCR, 2024).

7 000 écoles fermées pour cause d’insécurité au Burkina Faso.

Une explosion de pénuries alimentaires, de zones hors contrôle étatique, et de sanctions économiques qui asphyxient les peuples bien plus que les dirigeants.

Et pourtant, la priorité semble être ailleurs : parades militaires, cérémonies de prestation de serment, censures médiatiques et verrouillage politique.

On prétend gouverner au nom du peuple, mais on gouverne souvent à ses dépens.

L’impasse comme stratégie ?

La transition était censée être un pont vers un avenir meilleur. Elle est devenue un piège bien décoré, une parenthèse sans fin, un entre-deux transformé en destination. Une zone où l’on piétine les règles du jeu, puis où l’on redessine le terrain à sa guise.

Mais attention : les peuples sahéliens n’ont pas la mémoire courte. Ils savent que les promesses ne suffisent plus. Que l’uniforme ne garantit pas l’intégrité. Et que l’argument de la souveraineté ne peut justifier indéfiniment la confiscation du pouvoir.

 Spécial Sahel : là où les transitions prennent racines… et où les peuples commencent à creuser pour les déraciner.

« On peut tromper le peuple un moment, l’endormir longtemps, mais on ne peut pas éternellement le priver de lumière », avait dit Thomas Sankara

Dr A. Boumezrag

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