Dans l’arène géopolitique mondiale, l’Afrique du Sahel et du Maghreb est devenue un terrain de jeu où les grandes puissances, extérieures aux préoccupations locales, manœuvrent à leurs propres fins.
La souveraineté régionale y est souvent mise à mal, subordonnée à des intérêts bien plus vastes, souvent invisibles, mais d’une brutalité certaine. Au milieu de cette imbroglio stratégique, l’Algérie s’impose comme un acteur clé, mais paradoxalement souvent pris dans un jeu qu’elle n’a pas entièrement choisi.
Un jeu de pouvoirs et de contre-pouvoirs : l’Algérie entre gendarme et spectateur
L’Algérie, gendarme de la région, a longtemps cultivé une position ambivalente entre sa volonté de préserver sa souveraineté et son rôle de médiateur dans les crises régionales. Son histoire, marquée par les cicatrices de la guerre civile des années 1990, lui a donné une place centrale dans la gestion des menaces sécuritaires du Sahel, notamment celles liées au djihadisme. L’armée algérienne, formée et aguerrie par des décennies de lutte contre des groupes terroristes, est à la pointe de la guerre contre les insurgés du Sahara et du Sahel.
Mais cette position de force n’est pas sans paradoxe. Bien qu’elle s’oppose fermement à toute ingérence extérieure, comme l’illustre son opposition à l’intervention militaire de la France au Mali, elle se retrouve néanmoins prise dans les filets de puissances extérieures, souvent prêtes à contourner ses frontières.
Un Sahel sous-traité : de la souveraineté sacrifiée à l’ingérence à tout-va
Le Sahel, autrefois perçu comme un espace quasi inaccessible aux puissances mondiales, est aujourd’hui un laboratoire géopolitique. À la faveur de l’instabilité croissante, les grandes puissances, en quête d’influence et de ressources, ont imposé leur présence, transformant cette région en un champ de bataille de proxy où chaque acteur défend ses propres intérêts, souvent au détriment des populations locales.
Paris, longtemps considéré comme le protecteur historique du Sahel, se heurte aujourd’hui à une défiance croissante, non seulement de la part des gouvernements régionaux mais aussi de la population, en raison de son rôle ambigu dans la gestion des crises et de la prolongation de la présence militaire française à travers l’opération Barkhane.
Face à cette résistance, Moscou a profité de la vacuité laissée par les puissances occidentales pour renforcer son influence, principalement par le biais de son groupe de mercenaires Wagner, qui opère sans entraves dans des pays comme le Mali. Le Sahel est devenu un terrain de lutte idéologique et stratégique où la France, les États-Unis et la Russie s’affrontent pour la primauté géopolitique, tout en sous-traitant la guerre à des forces locales. Ces pays, du Mali au Niger, deviennent alors les pions de puissances étrangères, forcées de se plier aux jeux d’influence plutôt que de défendre des projets de souveraineté nationale.
L’Algérie : entre indépendance et diplomatie pragmatique
Dans ce contexte, l’Algérie joue un rôle délicat. Son histoire, son engagement dans la guerre contre le terrorisme et ses capacités militaires lui confèrent une légitimité régionale. Elle est perçue comme une alternative à l’interventionnisme occidental. Pourtant, son indépendance affichée est mise à mal par les tensions diplomatiques qui la lient au Maroc, principal rival géopolitique, notamment sur la question du Sahara Occidental. Cette question continue de diviser l’Algérie et le Maroc, d’autant plus que le Polisario, soutenu par l’Algérie, revendique l’indépendance de ce territoire, alors que le Maroc considère le Sahara Occidental comme faisant partie intégrante de son territoire.
Cette rivalité régionale a des répercussions sur l’ensemble du Sahel et de l’Afrique du Nord, car elle façonne les alliances et détermine, en grande partie, les relations avec les puissances extérieures. Par exemple, l’Algérie a soutenu le Mali face à l’intervention française en 2013, et a continué à exercer une pression sur la Libye dans le cadre de ses efforts pour éviter toute ingérence extérieure, malgré le rôle crucial de puissances comme la France, les États-Unis, et plus récemment la Turquie, qui y ont tous des intérêts stratégiques.
Ainsi, même si l’Algérie se positionne en défenseur de la souveraineté régionale, elle doit jongler avec des réalités géopolitiques contradictoires : l’exploitation des ressources naturelles par les puissances extérieures, les problèmes sécuritaires transnationaux (terrorisme, trafic d’armes), et ses relations conflictuelles avec son voisin marocain.
L’incident du drone malien : un signal de tensions sous-jacentes
Un incident récent a mis en lumière les tensions géopolitiques croissantes dans la région et la fragilité des frontières. L’armée algérienne a abattu un drone malien sur la frontière algéro-malienne. Ce drone, de fabrication turque, est un symbole des nouvelles alliances dans le Sahel. En effet, la Turquie s’est imposée comme un acteur influent en Afrique ces dernières années, fournissant des armements et des équipements militaires à des pays comme le Mali, tout en élargissant son réseau d’influence à travers la Libye et d’autres pays du Sahel.
Cet incident, bien que mineur dans l’absolu, est révélateur de l’intensification de la concurrence pour le contrôle stratégique du Sahel. Le fait que le drone soit turc et qu’il ait été abattu par l’armée algérienne montre que la région est désormais un terrain où les puissances extérieures se battent non seulement pour le contrôle des ressources naturelles, mais aussi pour l’influence politique.
Ce drone malien, malgré son statut d’incident technique, a aussi provoqué un bruit médiatique disproportionné, alimenté par des spéculations sur les raisons de l’intervention algérienne, les relations tendues avec le Mali et la présence grandissante des acteurs étrangers. Le bruit artificiel autour de cet incident ne fait qu’illustrer la fragilité géopolitique de la région et la façon dont les intérêts externes influencent les politiques locales.
Conclusion : un Sahel à l’intersection des intérêts mondiaux
Ainsi, à travers l’Algérie, le Sahel et l’Afrique du Nord, nous assistons à une multiplication des acteurs et à une reconfiguration géopolitique d’un territoire sous-traité à des puissances extérieures. Si l’Algérie, en tant que gendarme de la région, se veut un acteur de souveraineté, la réalité de la situation est que l’Afrique se retrouve prise dans un engrenage géopolitique mondial où les puissances extérieures imposent leurs intérêts à coups de contrats militaires, de diplomatie secrète et de mercenaires privés.
Le Sahel devient ainsi le théâtre d’une guerre silencieuse, où les grands acteurs de la géopolitique s’affrontent par intermédiaires, manipulant les frontières, les régimes et les populations comme des pions dans un jeu dont les véritables enjeux se jouent bien plus loin, souvent au-delà des yeux du monde.
« La souveraineté ne se demande pas, elle se défend, parfois dans le silence des armes. » Un vieux diplomate africain, entre deux coups d’État
Dr A. Boumezrag