- La première émigration officielle des Algériens (désignés dès l’époque du vocable de musulmans!) vers la métropole date de 1905. Ces travailleurs venaient essentiellement de Kabylie pour au moins deux raisons: étant données a configuration géographique montagneuse, il y avait très peu de fermes de colons dans cette région. Ces colons y avaient donc de faibles besoins de main-d’œuvre comparés à ceux des plaines d’Oran, d’Alger, d’Annaba, etc. La seconde raison est que la population de cette région est restée très hostile à la colonisation depuis les massacres, les déportations et les dépossessions de 1871suite à la révolte des ccix Aheddad et Muqrani. Un véritable crime contre l’humanité que les jeunes générations d’aujourd’hui ou de demain finiront par désensevelir. La stratégie de l’administration était de vider de ses forces vives une région toujours prête à reprendre la lutte.
- Café, restaurant ou tajmaɛt dans l’exil
- D’abord embauchés dans les raffineries et huileries de Marseille puis dans les ports en Normandie et dans les mines du Nord et de l’Est de la France, les Kabyles ont fini, à force d’efforts et de privations, par pouvoir investir dans les métiers de bouche et de l’hôtellerie. Ils ont peu à peu pris la place. Aujourd’hui des milliers de brasseries, de tables et d’hôtels étoilés appartiennent aux Kabyles. Ils ont créé des centaines de milliers d’emplois directs et indirects dans le tourisme ou le secteur tertiaire en général. Malgré leur poids économique, ils sont très peu reconnus par les pouvoirs publics français et encore moins par le pouvoir algérien. Jusque-là, rien n’est venu fédérer cette communauté invisible, cette force mais, dit le proverbe, quand les brebis enragent, elles sont pires que les loups.
- Ceci dit, mon propos n’est pas là aujourd’hui, j’ai juste contourné le sujet parce que l’histoire ancienne et récente ne nous a pas fait de cadeaux. Revenons donc à mon idée initiale.
- Le restaurant kabyle ou l’incontournable tajmaɛt:
- Mes pensées vont à tous ces restaurateurs et cafetiers kabyles durement touchés par la crise pandémique qui sévit en France notamment dans la Région Parisienne mais pas seulement. Les portes de leurs établissements sont closes et ces lieux magiques nous manquent terriblement. Avec eux l’exil est devenu supportable et la vie a un certain goût mielleux. Ils nous accueillent avec chaleur et nous offrent avec générosité et enthousiasme des moments de grande convivialité. Avec un couscous traditionnel, des tajines ou avec des plats français, ils ont l’art de nous réunir, d’aiguiser nos gourmandises, d’animer nos
- conversations. Hiver comme été, nous nous retrouvons dans leurs établissements comme dans tajamaɛt où l’on se serraient les coudes pour écouter nos aînés et les amusnaws (personnages férus de philosophie ancestrale) loin du triste spectacle de la société inégalitaire et consumériste qui, parfois, nous donne le vague à l’âme. Il arrive que des musiciens viennent y égayer nos soirées. D’autres fois on y rencontre des militants en réunion, inquiets des événements qui terrassent le pays d’origine. Ces regroupements d’ardeur joyeuse ou combative font de ces établissements un kanun. Un Kanun est cette cavité creusée à même le sol pour y faire le feu, un foyer de chaleur ancestral placé dans la pièce principale de « axxam » (la maison) auprès duquel se regroupait la famille d’antan autour des grands-parents. Un foyer immortalisé par Ben Mohamed et Idir dans «vava inu va», chanson qui, jusqu’au bout du monde et dans une quinzaine de langues, a poussé ses tisons. Le restaurant, le bar, tajmaɛt sont les pivots essentiels de notre mode de vie et c’est dans cet âtre que foisonne et se perpétue notre culture orale qui nous fait défaut dans ces moments de confinements menaçants. Nos petits patrons, leurs employés, par milliers, sans doute des centaines de milliers ploient sous leurs difficultés, leurs échéances et leurs charges. Au bord du gouffre, le spectre des dépôts de bilan met en péril nos contribules restaurateurs et cafetiers et assombrit l’économie de la Kabylie qui dépend très largement des transferts de devises. L’aide reçue des pouvoirs publics est largement en-dessous des besoins. Du coup, les perspectives ne sont pas réjouissantes et laissent planer un doute sur une levée de rideaux de nos lieux favoris, du moins de beaucoup d’entre eux. Cela dit, la capacité de résilience des Kabyles si elle est légendaire, n’en est pas moins vraie. Alors, dès le confinement mobilisons-nous, allons arroser ça pourchasser au plus loin le mauvais sort!.
- Auteur: Hacène HIRECHE (militant associatif)