Le chef de file des réformateurs a cultivé l’image d’un homme politique intègre, lucide et consciencieux s’élevant au-dessus de la mêlée. C’est l’homme auquel peut rêver une opposition dispersée et sans leadership, mais aussi les faiseurs de roi en quête d’un personnage charismatique capable de cristalliser les affects des foules. Un pareil candidat aurait pu tirer d’affaires des décideurs réduits à sponsoriser un homme mourant et inaudible et dont les apparitions sporadiques n’ont de cesse de provoquer la compassion des Algériens.
Au reste, le nom de Hamrouche est régulièrement évoqué dans la presse. Certains titres qui se sont spécialisés dans les comptes rendus de réunions secrètes qui auraient réunies telles éminences grises du pouvoir algérien (qu’eux seuls savent où elles se déroulent), glissent souvent le nom de l’ancien chef de gouvernement parmi les hommes qui disposerait au sein du sérail de l’appui nécessaire pour se faire introniser à la tête de l’État. Des écrits qui ont l’air de suppliques insistent sur le caractère « consensuel » du personnage, tout en soulignant l’intérêt qu’une telle candidature peut apporter à l’Algérie.
Enfin, selon le quotidien El Watan du 9 janvier dernier une pétition « initiée par un groupe de citoyens pour une Algérie lucide» a été lancée « en faveur de la candidature de Mouloud Hamrouche » à la présidentielle de 2019. La tribune que l’ancien chef de gouvernement vient de publier dans le même journal, semble donc être une mise au point au regard de la gravité de la situation et des événements politiques récents impliquant la violation des lois et de la constitution du pays. Loin d’être une offre de service, comme d’aucuns l’ont laissé entendre, la contribution de Hamrouche dissèque avec doigté la genèse et le développement du système politique algérien en mettant à nu ses faux-semblants et ses mirages.
Ceux qui attendaient qu’il annonce sa candidature ou qu’il propose une offre de service, sont déçus de cette réponse donnée sous forme d’un exercice intellectuel et réflexif sur le parcours politique de l’Algérie. Mouloud Hamrouche a souhaité ainsi montrer qu’il n’était pas homme à se laisser prendre à des arrangements occultes et inavouables. Sa contribution est une gifle pour les tenants du pouvoir qui espéraient recruter un nouveau président potiche. Hamrouche n’y pose pas ses conditions mais constate l’impossibilité d’évolution dans un jeu fermé. Au demeurant, ce n’est pas dans les mœurs des hommes politiques algériens de rédiger des contributions pour se faire élire à la tête de l’État. La meilleure manière d’y parvenir a été toujours d’observer le silence. Hormis Mohamed Boudiaf qui avait écrit le livre Où va l’Algérie ? à l’époque où il était opposant ; aucune personnalité qui a eu à diriger l’Algérie, ne s’était évertuée (encore qu’il faille qu’elle en soit intellectuellement apte) à livrer sous forme d’un écrit réfléchi, sa vision de la politique et de la conduite des affaires de l’État.
Mouloud Hamrouche, chef de l’État ?
Sous la sobriété des phrases court une ironie toute discrète. C’est l’existence même de l’Etat algérien que l’ex-chef de gouvernement sous Chadli interroge. Il affirme d’emblée que « Beaucoup n’avaient jamais noté et d’autres, […] avaient simplement oublié que la Proclamation de Novembre 1954 avait posé comme objectif la restauration de l’Etat national souverain comme finalité du combat libérateur et comme garantie de l’indépendance nationale ». La suite de la contribution est la confirmation de ce diagnostic de départ. En tous les cas, le discours qu’y tient Hamrouche est à même de donner le tournis à tout potentiel candidat à la magistrature suprême. Après le rappel de l’oubli des principes pour lesquels le peuple algérien avait milité pour son indépendance, le contributeur n’hésite pas à dresser le parallèle entre l’Etat actuel et la Régence ottomane d’Alger qui s’était faite connaître par la corruption et les activités de piraterie en Méditerranée. Le contributeur estime que l’Etat algérien moderne a hérité des « fragilités de la gouvernance » de l’Etat des Pacha et des Dey. Un Etat qu’il qualifie de « national » quand bien même il fut « dirigé par des étrangers à cause d’une pauvreté dans le leadership national et d’un manque d’évolutions positives et subtiles».
En outre, Hamrouche fera beaucoup référence au modèle de l’Etat-nation européen qu’il appelle « westphalien » en référence à la région allemande de Westphalie où furent conclus les traités qui, en 1648 avaient mis fin sur le Vieux continent à diverses guerres de religion. Ces traités qui devaient remodeler la carte de l’Europe en la morcelant en plusieurs dizaines de petits Etats, établissaient le principe de l’égalité et de l’inviolabilité de la souveraineté nationale, ainsi que celui de non-ingérence dans les affaires d’autrui. Aux yeux de Hamrouche, les Algériens qui avaient lancé le FLN, ambitionnaient de construire un Etat de ce type, lequel est fondé sur le « triptyque : population, territoire et volonté nationale souveraine ». C’est sur cette articulation entre les trois éléments que le contributeur semble vouloir attirer l’attention. Selon lui l’Etat westphalien a pour vocation de « mettre un terme aux conflits et aux violences communautaires cycliques en interne, rompre avec la continuelle composition et recomposition des populations, des territoires et des modifications des frontières ». Une allusion au spectre du séparatisme, aux déplacements des populations durant la guerre civile et au fait que le territoire algérien comporte aujourd’hui des zones non sécurisées signalées du reste par nombre de chancelleries dans le monde.
Quid de l’armée ?
Que peut nous dire un ancien chef de gouvernement dont le mandat a été écourté par l’intervention de l’armée lors de la grève du FIS de juin 1991 ?
Pour Hamrouche, l’armée est « une sphère de l’Etat dont elle est la colonne vertébrale ». Le mot « armée » qui apparaît dans le texte 19 fois et l’acronyme ANP, 2 fois, témoignent de l’importance qu’accorde l’auteur de la contribution à cette institution de la République. Mais en évoquant la crise de l’été 1962, l’ancien chef de gouvernement lui reproche son implication dans le « système de pouvoir ». « Des expériences et des études, écrit Hamrouche, y compris dans de vieux pays structurés socialement et démocratiquement, où l’armée avait servi de base un temps pour gouverner, ont démontré que cela nuit à sa mission et à sa finalité ». Il faut donc lire que le présent s’explique par le passé. Hamrouche n’évoque pas la maladie de Bouteflika, mais fera allusion aux conséquences qui en découlent. A l’ombre de l’Etat national, écrit-il « aucun pouvoir et/ou aucune fonction d’autorité d’Etat ne s’exerce dans l’anonymat, sans habilitation, sans autorisation, sans vérification et sans contrôle a priori et a posteriori ».
La citoyenneté
En somme, le procédé littéraire utilisé souvent par le contributeur consiste en l’énumération de vérités générales dont il faut comprendre qu’elles ont été bafouées sous la latitude algérienne. Ainsi on notera que « Le pouvoir et son exercice relèvent d’un gouvernement soumis à contrôle » et aussi que « le droit de vote et l’acte de voter […] bénéficient de ces mêmes garanties de sécurité et de protection de l’Etat ». Hamrouche conclura sa contribution ainsi : « Que nos failles, nos erreurs, douleurs et malheurs d’hier, que nos errances post-libération et que nos violences et crises du pouvoir nous aident à tirer le maximum d’enseignements pour le parachèvement de la mise en place de l’Etat national. L’instauration d’une gouvernance fondée sur un exercice institutionnalisé des pouvoirs séparés, la garantie de l’existence des contre-pouvoirs, des contrôles et des voies de recours ». Le pouvoir est donc renvoyé à sa vacuité profonde et à la momie qu’il a érigée en symbole.
Par: Larbi Graïne