L’insurrection citoyenne du 22 a mis beaucoup d’entre vous dans une très délicate posture de ne pouvoir partager professionnellement ce cri de cœur d’un peuple, votre peuple meurtri par un système qui n’en finit pas de l’infantiliser.
Je devine le ressentiment de nombreux consœurs et confrères contraints d’avaler leur colère, d’étouffer le feu qui couve dans leur for intérieur. Dieu que c’est dur de devoir faire l’impasse sur des manifs aussi massives auxquelles on a assisté en live contre toute logique éthique et déontologique ! Je me mets à la place de ces journalistes qui ont le cœur serré de ne pas voir rapporté fidèlement, voire du tout ce qu’ils ont vu. Je mesure ce sentiment de « trahison » et « d’indignité » qu’ont dû ressentir beaucoup d’entre vous. Eh oui ! Être journaliste est un métier pas comme les autres. Vous avez la responsabilité morale de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Et la vérité, est que vendredi, le peuple algérien s’était levé comme un seul homme pour dire barakat à Bouteflika et ses sponsors intéressés, mais aussi au système qui a cru avoir eu raison de ce peuple vaillant à force d’avoir cassé tous ses ressorts. Je devine, l’atmosphère glaciale dans vos salles de rédaction où vous vous étiez sentis ce vendredi de gloire, brusquement étrangers. Chez vous, le mot d’ordre est invariablement : « Vive Bouteflika quoi qu’il arrive !». Pas facile de vivre de tels moments dans de tels lieux quand on prétend appartenir à l’algérie qui crie qui avance, à ce peuple sorti dans la rue braver un régime liberticide. Terrifiant aussi de ne pouvoir raconter les péripéties de cette épopée historique si prometteuse pour notre beau métier. Le combat de ce peuple, c’est le vôtre par excellence. Lui tourner le dos, vous le savez et l’avez sans doute ressenti est une trahison à votre mission sacerdotale qui consiste à témoigner et ne pas travestir la réalité.
Je n’aimerais pas me retrouver à votre place. Moi j’aurai évidemment choisi mon camp. Je comprends que le choix vous soit diablement difficile entre le souci de garder votre emploi en ces temps précarité avancée et celui de montrer votre soutien et votre rapport fusionnel avec vos compatriotes qui réécrivent l’histoire. Parce qu’un journaliste est un témoin de son temps.
Mon modeste propos ici, n’est pas de vous conseiller de démissionner. مايحس بالجمرة غير الي كواتو. Mais, je pense qu’il y a des moments cruciaux dans la vie d’un journaliste où il ne doit pas faillir à son devoir. Il ne doit pas céder à la peur de son responsable et son patron qui voudraient l’asservir au point de vendre son âme pour une poignée de dinars qui plus, est fortement dévalués. Faute de pouvoir vous s’appuyer sur un syndicat puissant et un Conseil d’éthique qui auraient pu défendre votre clause de conscience, il me semble que vous devriez vous indigner d’une manière ou d’une autre ne serait-ce que par un communiqué ou une pétition de prise de distance par rapport à des lignes éditoriales attentatoires au BA ba de votre métier. C’est vraiment la moindre des choses que vous devriez faire. أضعف الإيمان. La patronisassions des rédactions doit cesser. Vous devez avoir voix au chapitre. C’est vous qui faites les télévisions, les radios et les journaux, pas vos patrons mus par leurs porte-monnaie dont vous ne profitez guère d’ailleurs. Exigez que l’on vous respecte en tant que journalistes dignes de ce nom qui faites un magnifique métier qui a vocation à capter les pulsions de votre société. N’acceptez aucun oukaze qui vous oblige à tourner le dos à votre peuple et fermer les yeux sur une telle poussée populaire visant à donner du sens à notre cher pays devenu la risée du monde.
Indignez-vous comme le font tous ces syndicats et toutes ces catégories socioprofessionnelles dont vous racontez quotidiennement, les combats nobles pour des avenirs meilleurs. N’oubliez pas votre devoir moral de vous libérer du joug de vos responsables qui ne partagent pas vos préoccupations encore moins vos idéaux.
Je ne finirai pas ce poste sans saluer la bravoure de notre consœur Meryem Abdou de la chaîne III qui a soulagé courageusement sa conscience en démissionnant de son poste de rédactrice en chef. Par son geste héroïque, elle a montré la voie dans un média public.
Je salue aussi d’autres amis qui ont dit sur les réseaux sociaux, leurs insoutenables postures d’avoir assisté impuissants au piétinement du devoir sacré du journaliste, à savoir celui d’informer fidèlement ses lecteurs, ses auditeurs et ses téléspectateurs de ce qui se passe au pays.
L’histoire, mes chers confrères et consœurs, ne pardonne pas. Tout s’efface mais les écrits et les positions des uns et des autres restent. Alors, de grâce, soyons tous à la hauteur du courage de nos compatriotes dont certains ont même risqué leurs peaux. Au lieu de subir l’histoire, mieux vaut la faire quitte à ne pas plaire à un patron qui lui va rejoindre sa poubelle.
Maintenant, je me sens plus léger d’avoir écrit ce que j’ai sur le cœur. Un petit coup de gueule très amical et sans rancune pour ma famille en ce 24 février 2019 qui doit nous inciter à « renationaliser » notre liberté.
Hassan Mouali