Ah, la relation franco-algérienne… Un feuilleton à rebondissements où se mêlent nostalgie coloniale, amours contrariées et disputes interminables sur la garde des souvenirs. Un couple séparé depuis plus de soixante ans, mais qui n’arrive pas à couper le cordon. Et au milieu de cette guerre froide sentimentale, il y a eux : les Franco-Algériens.
Trop Algériens pour la France, trop Français pour l’Algérie. Un pied sur chaque rive, mais jamais totalement à la dérive.
Depuis des décennies, on leur sert les mêmes rengaines. En France, certains les somment de « choisir leur camp », comme si avoir une double culture relevait d’un crime de haute trahison. En Algérie, ils sont souvent perçus comme des cousins encombrants, bons à rapatrier leurs économies pour investir dans du ciment et des olives, mais dont l’avis sur la politique du pays serait dispensable.
La mémoire, sujet hautement inflammable, n’arrange rien. Entre Paris et Alger, on se renvoie les archives comme une patate chaude. Faut-il reconnaître, condamner, demander pardon, ou simplement faire semblant d’oublier ? Chaque président y va de son petit geste symbolique, avant que le dossier ne retourne au placard en attendant la prochaine crise diplomatique.
En 2017, Emmanuel Macron qualifiait la colonisation de « crime contre l’humanité », provoquant un tollé en France mais un écho favorable en Algérie. En 2022, il engageait un travail de mémoire sans « repentance » avec l’historien Benjamin Stora. Pendant ce temps, Alger continue d’exiger des excuses officielles et des réparations, tandis qu’en France, certains politiques jugent qu’il faut « tourner la page ».
Mais tourner la page sans la lire, est-ce vraiment possible ? La guerre d’Algérie reste un traumatisme collectif. La loi française de 2005 sur « le rôle positif de la colonisation » avait déjà montré combien ce passé était encore douloureux. De son côté, l’Algérie maintient un récit national où la France occupe le rôle du grand méchant, quitte à occulter ses propres blessures post-indépendance,
Et pourtant, les Franco-Algériens ne se contentent pas de regarder passer l’histoire. Ils entreprennent, créent, innovent. Ils sont écrivains, artistes, entrepreneurs, footballeurs, naviguant entre deux cultures sans sombrer dans les eaux troubles du ressentiment. Ils sont la preuve vivante qu’on peut avoir une identité plurielle sans être schizophrène.
Dans l’économie, des figures comme Issad Rebrab, fondateur de Cevital et grand investisseur en France, montrent que les liens économiques restent forts. Le numérique, la tech et l’entrepreneuriat social voient émerger de nombreuses initiatives franco-algériennes, prouvant que l’avenir ne se résume pas aux querelles du passé.
Dans le sport, des joueurs comme Zinedine Zidane, Karim Benzema ou Riyad Mahrez incarnent cette double appartenance, adulés des deux côtés de la Méditerranée, bien que régulièrement instrumentalisés par les débats identitaires en France.
Dans la culture, des écrivains comme Kaouther Adimi et Kamel Daoud racontent des histoires qui réconcilient les imaginaires. La musique, du raï modernisé par DJ Snake aux collaborations entre rappeurs des deux pays, est un autre pont invisible mais puissant.
Si la diplomatie est à la dérive, la réalité finit toujours par rattrapper ces expatriés. Pendant ce temps, les gouvernements, eux, continuent leur tango diplomatique, un pas en avant, deux pas en arrière. La France menace de revoir l’accord de 1968 sur les visas ? L’Algérie réplique en suspendant un contrat commercial. L’Hexagone demande plus de coopération en matière de lutte contre l’immigration clandestine ? Alger répond par une leçon de souveraineté. Et ainsi va le bal.
En 2021, une crise éclate lorsque Macron remet en cause l’existence même de la nation algérienne avant la colonisation. Alger rappelle son ambassadeur. En 2024, nouvelle crise sur les visas et la coopération sécuritaire. Rien de nouveau sous le soleil méditerranéen.
Mais si l’histoire officielle patine, l’histoire vécue, elle, avance. Parce qu’au-delà des discours enflammés et des surenchères nationalistes, il y a une réalité incontournable : la France et l’Algérie ne peuvent pas faire semblant de s’ignorer. Les liens humains, économiques, culturels sont trop profonds pour qu’un coup de menton politique suffise à les briser.
Alors oui, les Franco-Algériens restent entre deux rives, souvent tiraillés, parfois instrumentalisés. Mais ils avancent, eux. Ils ne sont pas à la dérive. Ils sont peut-être même l’avenir d’une relation franco-algérienne enfin adulte, loin des postures figées et des querelles d’ego.
En attendant, le vieux couple franco-algérien continue de se chamailler… mais, au fond, qui pourrait croire qu’ils cesseront un jour de s’aimer ? Comme le disait Frantz Fanon :
« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. »
Dr A. Boumezrag