Les Français vont-ils révolutionner leurs pratiques éducatives ? La loi doit-elle défendre aux parents de donner des gifles, des tapes ou des fessées à leurs enfants ? Jeudi, l’Assemblée nationale s’est penchée sur le délicat sujet de l’interdiction des « violences éducatives ordinaires» dans le Code civil. Le texte de la députée Maud Petit (MoDem), qui a reçu l’appui du gouvernement, du groupe LaREM et d’autres élus de gauche, propose de signifier aux parents que l’autorité parentale s’exerce « sans violences physiques ou psychologiques ». L’exposé des motifs du texte cite pêlemêle les « châtiments corporels », les « secousses », les « tirages de cheveux » mais aussi les « moqueries, propos humiliants, cris, injures, menaces… ».
Cette proposition ne prévoit cependant aucune sanction à l’encontre des parents. Sur le plan pénal, les violences à l’encontre des enfants peuvent déjà être punies si elles sont jugées graves.
Les défenseurs de l’interdiction de la fessée mettent donc en avant un texte symbolique et pédagogique pour lutter contre l’idée qu’« une petite claque n’a jamais fait de mal ». Cette proposition a aussi pour objectif d’en finir avec le « droit de correction », hérité du XIXe siècle, et aujourd’hui encore reconnu par les tribunaux s’il est « proportionné». Le deuxième article de cette proposition prévoit enfin un état des lieux des « violences éducatives », préalable à une politique de sensibilisation et d’accompagnement des parents.
Si les défenseurs des bienfaits éducatifs de la fessée sont moins nombreux aujourd’hui qu’il y a quelques années, la question de la liberté éducative des parents reste polémique alors que 85% des parents français ont recours à des violences dites éducatives, selon un chiffre de la Fondation de France. Plusieurs députés LR et d’autres élus proches de l’extrême droite ont déposé des amendements de suppression sur le texte. Celui des députés LR Xavier Breton et Marc Le Fur pointe notamment « une ingérence de l’État qui s’immisce dans le comportement des familles » et critique un texte qui « supprime des moyens d’action en matière d’éducation ». Au Sénat, le président du groupe LR, Bruno Retailleau, dénonçait la semaine dernière une « folie réglementaire ». Également critiques, les AFC (Associations familiales catholiques) défendent la ligne « pas de violences éducatives mais pas d’interdiction dans la loi ». « Ce texte insinue que chaque parent est potentiellement violent. N’est-ce pas leur envoyer un message très négatif et propre à saper leur autorité ? interpelle Pascale Morinière, vice-présidente des AFC. Le “tout-interdiction” n’aide pas à être meilleur parent. Ne serait-il pas plus utile de leur envoyer un message de confiance et de les aider en leur proposant des outils éducatifs et des lieux d’aide à la parentalité ? » Olivier, un agriculteur des Yvelines, père de six enfants âgés de 4 à 19 ans, s’inquiète par exemple d’une « intrusion dans la gestion familiale ». « La maltraitance est bien entendu inacceptable et on peut tout à fait élever ses enfants sans châtiments corporels. Mais cette loi donne l’idée que l’on inverse le système d’autorité. Il ne faudrait pas que cela dérive vers une éducation où l’enfant est roi. ».
À l’inverse, Marie, cadre parisienne et mère de deux jeunes enfants, juge que « ceux qui défendent la “petite claque” ne se rendent pas compte que cela peut être extrêmement violent pour l’enfant. En plus, comme cela n’a aucun effet sur son comportement, il peut y avoir un risque d’escalade dans la violence ». « L’immense majorité des parents sont bienveillants. Mais si on ne pose pas un interdit strict, certains passent le cap de la maltraitance », estime également le médecin Gilles Lazimi, coordinateur des campagnes contre les violences éducatives ordinaires de la Fondation pour l’enfance et de Stop VEO. Une théorie que ne partage pas le pédopsychiatre Pierre Lévy-Soussan. Ce dernier, redoute que cette loi vienne semer la confusion avec des situations de maltraitance infantile. « La violence n’est pas ordinaire. Il y a une contradiction dans les termes même de cette loi qui rend son propos totalement confus, s’agace-t-il. Nous n’avons déjà pas l’arsenal suffisant pour appliquer les lois sur la protection de l’enfance. Aujourd’hui, le tabou concerne la vraie violence. ».
Agnès Leclair
Source : Le Figaro