L’EX-AMBASSADEUR DE FRANCE À ALGER RÉVÈLE DANS SON LIVRE
“La demi-douzaine d’hommes d’affaires que l’on présentait comme tels étaient plutôt des capitalistes d’État, voire des affairistes, liés aux services ou au pouvoir, qu’ils contribuaient à corrompre”, a indiqué cet ex-diplomate.
L’ex-ambassadeur de France en Algérie (2006-2008), Bernard Bajolet, qui avait révélé sur les colonnes du quotidien Le Figaro que le président Bouteflika “est maintenu en vie artificiellement”, vient de jeter un autre pavé dans la mare dans son dernier livre Le soleil ne se lève plus à l’Est : mémoires d’un ambassadeur peu diplomate (Éditions Plon), où il revient sur son passage à Alger en tant que chef de la mission diplomatique française. Abordant la situation économique du pays, M. Bajolet s’est dit impressionné par l’ampleur de la corruption en Algérie. “Je fus pris de vertige par les sommets que la corruption avait atteints, touchant jusqu’à la famille du chef de l’État”, a écrit l’auteur, qui explique comment le privé algérien a été écarté dans la prise de décision. Enfonçant le clou, M. Bajolet dira qu’“il n’y avait pas non plus en Algérie de grands capitalistes prêts à investir massivement dans le pays”. “La demi-douzaine d’hommes d’affaires que l’on présentait comme tels étaient plutôt des capitalistes d’État, voire des affairistes, liés aux services ou au pouvoir, qu’ils contribuaient à corrompre”, assène le diplomate. Selon lui, “il aurait fallu pousser le secteur privé, seul moteur de croissance”. “Mais, déplore-t-il, le pouvoir, de toute évidence, ne le voulait pas, comme s’il craignait l’émergence d’une classe d’entrepreneurs qui aurait pu un jour le contester et exiger un partage de la décision. Ainsi, je découvris un tissu, encore embryonnaire, de PME dynamiques. Mais le gouvernement ne l’aidait pas à se développer, et Bouteflika lui-même m’avoua un jour qu’il n’y croyait pas.” Pour M. Bajolet, “l’Algérie venait à peine de se libérer de dix ans de terrorisme. Elle avait perdu beaucoup de temps, et l’administration qui la dirigeait n’était pas de nature à le lui faire rattraper : les ministères s’étaient vidés d’une grande partie de leurs cadres de qualité et, au fond, l’État se résumait pratiquement à l’armée, véritable ossature du pays, et à Sonatrach. Le processus de décision paraissait grippé, le système de représentation en panne”. Raison pour laquelle, explique-t-il encore, “l’Algérie n’a pas réussi la diversification économique et la remise à niveau des équipements publics a eu un effet limité sur l’économie”. Selon Bajolet, le président Bouteflika n’appréciait pas que “le président Chirac ne se cachait pas d’entretenir des relations quasiment familiales avec le roi du Maroc (…) On nous a parlé de relations privilégiées avec l’Algérie, se plaignit Bouteflika. Mais en réalité, les privilèges ont été réservés au Maroc et à la Tunisie. L’Algérie, elle, n’a rien vu”. Autre sujet abordé, et pas des moindres, l’arrêt du processus électoral en 1992 en Algérie, après la victoire du FIS, et qui ne constituait, selon lui, qu’une hypothèse au sein du Comité interministériel du renseignement (CIR). Selon l’ex-patron de la DGSE, “si le FIS prenait le pouvoir en Algérie, il ne le rendrait pas. Sa victoire risquerait de provoquer une émigration massive vers la France (…) Si, au contraire, on le lui laissait, il devrait se montrer pragmatique et compter avec la France. Il évoluerait vers plus de modération”. Il révélera que François Mitterrand avait tranché afin que “les dirigeants algériens renouent le fil de la démocratisation”. Selon M. Bajolet, Mitterrand dit avoir regretté, a posteriori, le fait de n’avoir pas donné sa chance à Mohamed Boudiaf, figure emblématique de la Révolution algérienne et homme intègre, que la junte militaire avait rappelé de son exil.
FARID BELGACEM
Source : Liberté