Tebboune

Le pouvoir a changé. Ou peut-être pas. Il fut un temps où le pouvoir en Algérie avait un visage. Un dey à Alger, un bey à Constantine, un émir dans les montagnes. Il était militaire, autoritaire, tribal ou ottomanisé, mais il était tangible, identifiable. On savait à qui obéir, qui renverser, qui maudire.

Puis, un jour de juillet 1830, un coup de canon français à mis fin à trois siècles de domination ottomane. Mais la question du pouvoir, elle, n’a jamais été réglée. À qui devait appartenir l’Algérie ? Aux envahisseurs français qui l’ont réduit à une colonie ? Aux tribus qui refusaient la soumission ? À l’Émir Abdelkader, figure héroïque mais trahie par la géopolitique ?

Pendant 132 ans, le pouvoir fut simple à définir : il parlait français, portait l’uniforme, et gouvernait à coups de décret. L’Algérie n’existait plus que comme un appendice de la République, une terre où le gouverneur général décidait, et où les indigènes devaient se taire. Un pouvoir froid, bureaucratique, implacable. Déjà une machine, mais une machine coloniale.

Puis millésime 1962.

Quand l’Algérie arracha son indépendance, le pouvoir fut repris par les hommes du feu, ceux qui avaient combattu la France. Le FLN, « libérateur du peuple », s’installa sur le trône avec une promesse : gouverner au nom du peuple, et non d’un empire étranger.

Sauf que très vite, le rêve se fissure. Ben Bella, le révolutionnaire idéaliste, fut renversé par Boumediene, le stratège militaire. Le pouvoir incarné, mais cette fois sous uniforme vert olive. On nationalisa, on centralisa, on impose une ligne unique. L’État est devenu un père omnipotent, bienveillant en façade, autoritaire en coulisses.

Mais déjà, un virus s’installait dans le système : la bureaucratie. Une administration tentaculaire, un appareil d’État plus puissant que ses dirigeants eux-mêmes. Un pouvoir où l’individu comptait moins que le parti, où la machine politique se mit à tourner toute seule, lentement, silencieusement.

Les années de plomb : quand la machine écrase tout. Puis, les années 80 et 90 arrivèrent. Le logiciel du pouvoir bugua.

L’ouverture politique de Chadli Bendjedid réveilla un monstre : un peuple frustré, une jeunesse en colère, un islamisme radicalisé. La démocratie fut testée… puis vite supprimée.

Les années 90 furent celles du sang et des balles. Un État en guerre contre une rébellion islamiste, un peuple pris en otage. Le pouvoir ne parlait plus, il frappait. Qui gouvernait vraiment ? Les générales ? Les politiques ? Ou simplement la peur ?

Quand les armes se turent enfin, un nouveau type de pouvoir prend le relais. Bouteflika, figure de façade, permet à la machine de fonctionner sans heurts. L’État n’était plus un chef, mais une mécanique bien huilée : pétrole, clientélisme, paix sociale.

Le pouvoir s’était transformé en une gestion. Il n’avait plus d’idéologie, plus d’objectif, plus d’ennemis à vaincre, juste une mission : durer.

Aujourd’hui : un État sous pilotage automatique. Et nous voici en 2024. Qui gouverne vraiment l’Algérie aujourd’hui ?

Théoriquement, un président élu. Mais le sait-on vraiment ? Depuis 2019 et le départ forcé de Bouteflika, un constat s’est imposé : le système fonctionne tout seul.

Une crise ? On attend qu’elle passe.

Une contestation populaire ? On la laisse s’essouffler.

Une élection ? On ajuste les chiffres.

Une réforme ? On en parle, mais on ne la fait pas.

Le pouvoir s’est automatisé. Il ne repose plus sur des figures charismatiques, ni sur une vision politique forte, mais sur un appareil administratif qui s’autorégule. Un mélange de technocratie, de clientélisme et d’inertie.

On ne gouverne plus, on gère. Comme un programme informatique conçu pour éviter les bugs majeurs, mais incapable de créer de la nouveauté.

Peut-on encore débrancher la machine ?

Et maintenant ? L’Algérie est-elle condamnée à être gouvernée par un algorithme, où chaque crise est gérée selon un protocole établi, sans jamais de véritable changement ?

Peut-être. Mais l’Histoire a prouvé que rien n’est immuable.

En 1830, personne ne croyait à la fin de la Régence d’Alger.

En 1954, personne ne pensait que quelques combattants pourraient défier la France.

En 2019, personne ne croyait qu’un président immobile pouvait être renversé par un peuple en mouvement.

La machine peut être arrêtée. Mais encore faut-il que quelqu’un ose appuyer sur le bouton.

Et ce jour-là, il faudra enfin se poser la vraie question : que voulons-nous à la place ?

Gouverner ou administrer ?

L’Algérie a traversé toutes les formes de pouvoir : monarchique, colonial, révolutionnaire, autoritaire, bureaucratique. Aujourd’hui, elle est sous pilotage automatique , sans cap clair, sans vrai capitaine à la barre.

Faut-il se résigner ? Accepter que l’ère des grands dirigeants est révolue et que le pays est condamné à être administré plutôt que gouverné ?

Ou faut-il imaginer autre chose ? Un leadership qui inspire plutôt que contrôle, qui construit plutôt que perpétue ?

Peut-être qu’un jour, un grain de sable viendra saisir l’engrenage, une étincelle rallume l’Histoire. Peut-être qu’un jour, le peuple décidea que gérer ne suffit plus, qu’il faut enfin gouverner.

En attendant, le programme tourne toujours. En boucle. Jusqu’au prochain bug.

Le problème d’un système automatisé, c’est qu’il finit toujours par rencontrer une erreur de programme. Et l’Algérie, comme tout logiciel vieillissant, montre déjà ses premiers bugs.

Bug n°1 : La jeunesse face à un écran figé

60 % des Algériens ont moins de 30 ans. Une génération née après la décennie noire, après Boumediene, après la guerre d’indépendance. Une génération qui n’a pas de mythologie du passé, mais une frustration du présent.

Et pourtant, cette jeunesse est coincée dans une simulation politique où tout est verrouillé :

Pas d’avenir économique clair : Entre chômage de masse et fuite des cerveaux, le pays perd ses forces vives au profit de l’étranger.

Pas d’espace démocratique réel : Le Hirak a montré une volonté de changement, mais la machine s’est remise en marche, reprenant le contrôle.

Pas d’illusion sur le système : Contrairement aux générations précédentes, celle d’aujourd’hui ne croit plus aux promesses . Elle ne s’accroche pas à des figures, elle sait que les visages changent mais que la mécanique reste la même.

Alors, que fait-elle ? Elle y assistera. Ou elle part . La vraie opposition au système ne se trouve plus dans les urnes, mais dans les aéroports et sur les bateaux de fortune.

Bug n°2 : Une économie sous respiration artificielle

Pendant longtemps, le pétrole a été le patch de mise à jour du régime . Une crise ? En cours de distribution. Une contestation ? On achète la paix sociale.

Mais que se passe-t-il quand le marché de l’énergie devient instable ?

Dépendance aux hydrocarbures : 95 % des exportations reposent sur le pétrole et le gaz.

Peu d’investissements productifs : La machine sait gérer, pas innover.

Un secteur privé sous contrôle : L’entrepreneuriat peine à émerger dans un environnement où la bureaucratie est plus puissante que l’économie elle-même.

Un système basé sur la rente finie toujours par s’épuiser. Et là encore, qui a une vision claire pour l’après ?

Bug n°3 : Une politique de mise à jour… sans mise à jour

Les remaniements ministériels se succèdent, les discours changent légèrement de ton, mais l’algorithme reste le même .

Prenons un exemple simple : les élections.

Un président est élu.

Une promesse de réformes est faite.

Des réformes sont annoncées.

Elles sont appliquées à moitié.

Le statu quo reprend le dessus.

Une nouvelle élection arrive.

Et on recommence.

Un éternel cycle de mise à jour qui ne change rien à l’architecture du système.

La solution : redémarrer ou réécrire le code ?

Alors, que faire ?

Appuyer sur le bouton reset ?

Une rupture brutale, une révolution, un basculement total ? L’Histoire algérienne a prouvé qu’elle pouvait surprendre, mais le risque du chaos est réel .

Changer de logiciel progressivement ?

Transformer l’État en profondeur, ouvrir l’espace démocratique, redéfinir le rôle du pouvoir, mais qui aurait le courage de lancer cette refonte ?

Laisser tourner la machine jusqu’à ce qu’elle implose d’elle-même ?

Une lente dégradation, un effondrement programmé, une situation où l’Algérie se contenterait d’un fonctionnement minimal jusqu’à l’inévitable crash ?

L’Histoire montre que rien n’est figé éternellement. Les empires tombent, les régimes se renversent, les machines finissent par griller.

Mais une chose est sûre : un jour ou l’autre, quelqu’un devra bien coder une alternative.

Qui osera débrancher la machine ?

L’Algérie a traversé trois siècles de transformations du pouvoir , passant des Ottomans aux colons français, des révolutionnaires aux bureaucrates, des hommes forts aux systèmes sans visage. À chaque époque, un cycle se répète : un pouvoir s’installe, s’enracine, se rigidifie, puis finit par s’effondrer sous son propre poids.

Aujourd’hui, nous sommes dans la phase de l’immobilisme. Un État qui ne gouverne plus, mais qui gère , qui ne dirige plus, mais qui régule , qui ne propose plus, mais qui maintient . Une machine qui tourne en boucle , sans véritable capitaine, sans vision, sans ambition autre que sa propre survie.

Mais l’histoire ne tolère pas l’éternel statu quo. À force de repousser le changement, il finit toujours par s’imposer par la force des choses, par la pression du peuple, par la dégradation du système lui-même.

Alors, la question n’est plus de savoir si la machine va se pincer, mais quand.

Moralité ; « Les systèmes qui refusent d’évoluer finissent toujours par s’effondrer sous leur propre inertie. » –

 Dr A Boumezrag

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