« D inebgi kan mačči d imezgi.
a Lbacir, ɣas tekna tgecrirt
Ma d allaɣ yugi mayna
Ur nettuɣal d timendeffirt
Ɣas ad neḥrured di lqaɛa. »
 
Poème de Awatneri awlawal

La réédition de Histoire de ma vie de Fadhma Ath Mansour Amrouche, traduite en kabyle par Ahmed Aït Bachir sous le titre Tudert-iw, s’impose comme un jalon incontournable dans la réaffirmation de l’identité kabyle et l’émergence d’une voix littéraire féminine. Dans un contexte algérien et kabyle marqué par des troubles sociaux et politiques, cette œuvre transcende son époque pour devenir un symbole de résistance, d’affirmation culturelle et de lutte pour la reconnaissance. Elle résonne non seulement comme un hommage à la langue et à la culture kabyle, mais aussi comme une affirmation puissante de l’expression féminine dans une société longtemps dominée par le patriarcat.

Fadhma Ath Mansour Amrouche est la première écrivaine algérienne, célèbre pour son autobiographie émotive, Histoire de ma vie, qui narre ses souffrances en tant qu’enfant illégitime dans une société patriarcale. Ce récit culte brise des tabous culturels en abordant des vérités souvent tues. Mère des intellectuels Taos et Jean El Mouhouv Amrouche, elle a forgé une grande personnalité à travers ses épreuves, obtenant son Certificat d’études en 1892. Bien qu’elle ait vécu entre l’Algérie, la Tunisie et la France, elle est restée attachée à sa Kabylie natale. En plus de son roman, Fadhma a enrichi la culture kabyle avec des chants et poèmes traditionnels, coécrivant Le grain magique avec sa fille Taos. Décédée en 1967 en exil en France, elle a laissé une empreinte durable dans la littérature algérienne, célébrée par des auteurs tels qu’Assia Djebar.

Une Voix Féminine Émergeante

Dans Tudert-iw, la traduction d’Ahmed Aït Bachir donne une nouvelle vie à l’autobiographie de Fadhma Ath Mansour, une femme qui, par sa naissance hors mariage, a été condamnée à la marginalisation dans une société patriarcale colonisée. À travers cette œuvre, Fadhma ne raconte pas seulement son propre parcours ; elle devient la voix de toutes les femmes réduites au silence par les structures sociales dominantes. En la traduisant en kabyle, Aït Bachir fait de Fadhma une figure centrale de l’expression littéraire féminine émergente, tout en inscrivant son témoignage dans la mémoire collective kabyle.

Fadhma Ath Mansour n’est plus simplement une victime d’un système, mais une métaphore de la vie, de la maternité et de la création. À travers ses récits, elle enfante non seulement des enfants, mais aussi des idées, des œuvres d’art, et des éclats de lumière dans les ténèbres. Fadhma devient ainsi la matrice d’une littérature féminine kabyle naissante, une expression de la complexité et de la dualité de l’existence, qui porte en elle l’héritage du rejet et de l’amour, de la douleur et de l’espoir.

Un Phare de la Résistance Féminine

L’émergence de cette voix féminine est un acte de résistance contre les structures sociales patriarcales et coloniales. Tudert-iw devient non seulement un récit personnel, mais aussi une revendication collective. Fadhma, par sa parole, éclaire le chemin pour d’autres femmes qui cherchent à s’émanciper des normes sociales oppressantes. Cette œuvre est un phare, une lanterne qui éclaire ceux qui continuent à naviguer dans les eaux troubles de l’exil, de l’indifférence et de l’injustice.

Cette résistance féminine, telle qu’incarnée par Fadhma, s’inscrit dans une tradition littéraire émergente où les femmes prennent la parole pour raconter leur propre histoire, leur propre lutte. Le fait qu’Aït Bachir ait choisi de traduire ce récit en kabyle renforce cette dynamique : il fait de la langue kabyle un outil d’émancipation féminine, un moyen pour les femmes de se réapproprier leur histoire et de la transmettre aux générations futures.

Kabilité et Universalité : Le Dialogue entre les Cultures

Le travail d’Ahmed Aït Bachir va bien au-delà de la simple traduction d’un texte autobiographique. En traduisant Histoire de ma vie en kabyle, il met en lumière une dualité : celle d’une culture kabyle longtemps cantonnée à l’oralité et celle d’une universalité qui transcende les frontières linguistiques. Comme le disait Léon l’Africain, « de ma bouche, tu entendras l’arabe, le turc, le castillan, le berbère, l’hébreu, le latin et l’italien vulgaire, car toutes les langues, toutes les prières m’appartiennent. Mais je n’appartiens à aucune. » Cette citation résonne comme un écho à la démarche d’Aït Bachir, qui fait de la traduction un pont entre les cultures, entre la kabylité et l’universalité.

En rendant accessible ce récit dans la langue kabyle, Aït Bachir permet à la culture kabyle de s’inscrire dans le concert des langues et des cultures du monde. Cette œuvre dépasse le cadre régional pour rejoindre une réflexion plus vaste sur la résistance des femmes, sur l’affirmation de soi, et sur la transmission de la mémoire collective.

La Traduction Comme Acte de Résistance

Le travail d’Ahmed Aït Bachir se distingue également par son engagement à revitaliser la langue kabyle. Dans un monde où les langues minoritaires sont souvent menacées, sa traduction de Tudert-iw est un acte de résistance. Il ne s’agit pas simplement de transposer des mots, mais de conserver l’essence de l’œuvre tout en respectant les subtilités de la langue kabyle. En redonnant une voix à Fadhma Ath Mansour, il réinscrit la kabylité dans une modernité littéraire et culturelle.

Cette traduction souligne également l’importance de permettre aux femmes de s’exprimer dans leur propre langue. La langue kabyle, ici, devient un espace de résistance, un lieu où les femmes peuvent revendiquer leur droit à raconter leurs histoires, à faire entendre leur voix, et à participer à la construction de leur société.

L’Émergence d’une Littérature Féminine en Kabyle

Tudert-iw marque un tournant dans l’émergence d’une littérature féminine en kabyle. En donnant une nouvelle vie à ce récit, Aït Bachir participe à la création d’un espace où les récits féminins peuvent s’épanouir et s’affirmer. Cette œuvre devient un modèle pour d’autres femmes qui, comme Fadhma, cherchent à s’émanciper des contraintes sociales et à revendiquer leur place dans la société kabyle.

Le fait que cette traduction soit réalisée par un homme renforce également l’idée d’une solidarité universelle dans la lutte pour l’égalité et la reconnaissance des femmes. Aït Bachir, par son travail, montre que la lutte féminine n’est pas une affaire de genre, mais une affaire d’humanité.

Une Œuvre Universelle Portée par une Identité Kabyle

Tudert-iw parvient à conjuguer à la fois la kabylité et l’universalité. L’histoire de Fadhma Ath Mansour, bien que profondément enracinée dans la culture kabyle, porte en elle des questions universelles : la lutte pour l’émancipation féminine, la résistance contre l’oppression, et la quête d’identité dans un monde en perpétuel changement. Cette œuvre, traduite en kabyle, devient le miroir d’une humanité en lutte pour sa dignité.

En ce sens, Tudert-iw incarne parfaitement l’idée que la littérature, et plus particulièrement la traduction, est un vecteur de résistance contre le repli identitaire. Elle permet à une culture de se renouveler, de s’ouvrir à d’autres horizons, tout en restant fidèle à elle-même.

L’Expression Littéraire Féminine Comme Force de Transformation

En somme, Tudert-iw d’Ahmed Aït Bachir incarne l’émergence d’une expression littéraire féminine qui résonne à travers la kabylité, tout en touchant à l’universalité. La traduction devient ici un acte de résistance contre l’oubli, un moyen de préserver une langue et une culture tout en lui insufflant une nouvelle vie. Grâce à ce travail, Fadhma Ath Mansour continue de briller comme un symbole de la résistance féminine, un éclat de lumière dans les ténèbres de l’histoire.

À travers cette œuvre, Ahmed Aït Bachir nous rappelle que la voix des femmes, souvent étouffée, est essentielle non seulement à la construction d’une identité collective, mais aussi à la création d’un avenir plus juste et équitable. Tudert-iw est bien plus qu’une traduction ; c’est une réinvention.

Bouzid Amirouche

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