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jeudi 21 novembre 2024
Mémoire11 décembre 1960 : témoignage d'un enfant de la Casbah

11 décembre 1960 : témoignage d’un enfant de la Casbah

Manifestations du 11 décembre 1960 : un tournant décisif dans l’histoire de la révolution algérienne.

Les manifestations du 11 décembre 1960 ont été déterminantes pour la suite des événements jusqu’à l’aboutissement des accords d’Évian. Le 11 décembre 1960 n’a pas été l’œuvre d’un laboratoire, mais l’expression de la volonté de tout un peuple qui s’est levé comme un seul homme pour dire NON à la soumission, NON à l’injustice, NON à la dilapidation de ses richesses qui ont duré 132 ans.

C’était un dimanche par un temps glacial. Nous vivions à la casbah d’Alger. Cette citadelle ancestrale qui a vu naître et grandir tant d’artistes, tant de sportifs et tant de révolutionnaires. La sœur Djamila Bouhired doit dans ces douloureux moments se rappeler de son enfance à la Casbah. Ce dimanche-là du 11 décembre 1960, il y avait une atmosphère lourde. Nous connaissions les relations tendues entre nous et les pieds noirs de l’époque coloniale. Le fossé s’étant creusé par ce qui se passait dans les maquis et dans les grandes villes d’Algérie. Alger avait un statut particulier. La bataille d’Alger a laissé une fracture profonde dans nos cœurs. La grève des huit (8) jours et les déportations dans les camps de concentration (1956-1957-1958) ont été horribles dans le cours de l’histoire de la révolution algérienne. Le 11 décembre 1960 est venu montrer au monde entier cette volonté inébranlable du peuple algérien à se libérer du joug colonial.

Tout a commencé à Belcourt (Belouizdad) Rue Julienne, où vers 10 heures, des heurts d’une extrême violence opposent des manifestants musulmans et européens (Pieds Noirs). Des coups de feu sont tirés contre les porteurs de drapeaux algériens. Des slogans sont lancés « VIVE le GPRA », « ABBAS au pouvoir », « LAGAILLARDE au poteau ».

Vers 10 h30, d’autres manifestants algériens portant le drapeau « Vert et Rouge et Blanc frappé du croissant rouge » confectionné à la hâte descendent de « Diar El Mahçoul » (Clos Salembier) vers le Ruisseau (Anassers) et le Hamma, et causent de graves dégâts aux commerces situés sur leur chemin. Une station d’essence est incendiée. Chemin faisant, d’autres foules de manifestants se constituent dans les quartiers voisins, à Diar Es-Saada, Madania et Ravin de la Femme sauvage où un Européen est tué. Des barricades sont dressées. La Radio-Alger diffuse les événements.

C’est alors que la Casbah se réveille ! Les habitants de la Citadelle prennent conscience de la situation. Des groupes surtout de jeunes se rassemblent. La colère est visible sur tous les visages. Rues et ruelles sont submergées. Les « youyou » et les slogans fusent. Une effervescence indescriptible. Des quartiers Cinéma Nedjma, Djamaa Lihoud, Soustara, Bab edjedid, Rampe Vallée, le quartier Deuxième (Marengo), on y voit des barricades dressées à l’aide de tables et de chaises, empruntées au propriétaire du café, le défunt Omar Djerboue, dont le père est porté disparu. Des patrouilles de Zouaves et de supplétifs interviennent et prennent position. Des coups de feu d’intimidation sont tirés sans faire de victimes. On apprendra plus tard, qu’à Bab Djedid, il y a eu une fusillade qui a fait plusieurs victimes. Pendant toute la matinée du 11 décembre 1960, les manifestants n’ont cessé de provoquer les soldats français. 15 h 20, c’est la panique générale ! L’armée dépassée par les événements tire sur la population à la Place du Gouvernement (Place des Martyrs) causant plusieurs morts et des dizaines de blessés. Pendant toute la nuit du 11 au 12 décembre, des « youyous » fusent et des slogans sont scandés à travers toutes les terrasses de la Casbah.

Le lendemain, le 12 décembre, lors de l’enterrement des victimes de la veille, la colère était à son paroxysme ! Une seule question ? Leur sacrifice aura-t-il été vain ? La réponse proviendra peut-être de ceux qui gouvernent aujourd’hui !!!

En fin de journée du 12 décembre, Jean MORIN, Délégué général en Algérie, lance un appel au calme. Alger et Oran, dira-t-il à la Radio-Alger, ont connu, aujourd’hui, d’affreux malheurs. Il donne le bilan de la journée. Alger : 61 morts (dont 55 musulmans, 05 Européens pieds-noirs, et 01 officier de la police tué). Oran :04 morts musulmans.

Le bilan sera revu à la hausse à Alger :120 morts, dont 112 musulmans.

Bône (Annaba) prendra le relais, où des légionnaires abattent froidement 06 manifestants musulmans.

Par devoir de vérité, je n’omettrai pas toutes les manifestations qui ont eu lieu à travers tout le territoire national. Avec les mêmes slogans « L’Algérie algérienne et VIVE l’indépendance ».

Retour du Général De Gaulle à Paris, obligé d’écourter d’une journée sa visite qu’il effectuait à Tizi Ouzou, Bougie et Teleghma (Sétif), en raison des graves dangers qui pouvaient survenir à tout moment, étant donné les affrontements fréquents entre les combattants de l’ALN et les troupes françaises.

Le président du GPRA, Ferhat ABBAS a adressé un message de Secours Urgent à Messieurs : Dag Hammarskjold Secrétaire général de l’ONU, Chou en lai Premier ministre chinois, Eisenhower préside des USA, Khrouchtchev président de l’URSS, Mac Milan Premier ministre du Royaume Unie, Nehru Premier ministre de l’Inde et Tito président de la Yougoslavie. Voici, la teneur du message :

« À Alger en particulier 200.000 Algériens sont encerclés dans les quartiers de la Casbah par les troupes françaises qui se livrent à une tuerie générale sur eux. Des événements de la même nature dans d’autres quartiers tels Climat de France et dans les principales villes d’Algérie. Nous vous adressons cet appel pressant, pour vous prier de tout entreprendre pour que cesse immédiatement ce GÉNOCIDE caractérisé du peuple algérien. »

Le Président du GPRA, lance aussi un appel au peuple algérien pour marquer d’abord l’expression de son admiration et demander ensuite : « la bataille que vous venez d’engager a pris une grande ampleur ; le monde entier l’a enregistré comme une éclatante victoire de notre lutte de Libération nationale. Cette bataille doit maintenant prendre fin. Elle n’est pas la dernière, d’autres épreuves nous attendent. Le gouvernement français, malgré la démonstration que vous venez de leur infliger, persiste dans sa politique d’aveuglement. Il se propose d’organiser un prétendu Référendum le 8 janvier prochain, et de vous imposer un statut. Vous serez appelés à faire échec à cette sinistre mascarade. »

Le 30 décembre 1960, le Général De Gaulle, souhaite dans ses vœux de fin d’année, que l’année 1961, soit une année de paix pour l’Algérie, afin que les populations puissent décider librement de leur destin, et qu’ainsi, naisse « l’Algérie Algérienne ». Il demande aussi un « OUI » massif au Référendum pour élargir la porte de la paix et de la raison. Visionnaire averti, le Général DE GAULLE savait que l’indépendance de l’Algérie est inéluctable, car les causes justes finissent toujours par vaincre.

Ayons, à l’occasion de cette commémoration du 11 décembre une pensée à leurs familles qui portent en eux les douleurs de leurs enfants qui ont payé de leur vie le sacrifice suprême. Le sang de nos Martyrs n’a pas été vain. Gloire à nos Martyrs et VIVE L’ALGÉRIE.

 

Par Abdelkader KRIBI, un enfant de la Casbah et témoin actif.

 

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