Le 19 mars. Une date qui, entre Paris et Alger, fait l’objet d’une commémoration sélective et d’une amnésie volontaire. D’un côté de la Méditerranée, elle marque la fin officielle d’une guerre qui n’a jamais cessé de hanter les esprits.
De l’autre, elle symbolise le début d’une indépendance, toujours à conquérir. Et en 2025, que reste-t-il de ces souvenirs ? Des discours, des postures, des poignées de main sous les dorures, pendant que l’histoire, elle, continue d’être soldée au prix du marché.
Alors qu’on célèbre — ou qu’on évite soigneusement de célébrer — le 63e anniversaire du cessez-le-feu des Accords d’Évian, les relations franco-algériennes ressemblent à une vieille boutique d’antiquités où chacun prétend détenir la vérité historique tout en marchandant l’oubli. On exhume les héros à la demande, on instrumentalise les archives en fonction des intérêts du moment, et on négocie la souveraineté comme une franchise en cours de renouvellement.
L’Algérie, qui a bâti sa légitimité sur la décolonisation, continue de jongler entre le mythe fondateur de l’indépendance et la réalité d’une souveraineté sous perfusion économique. La France, de son côté, oscille entre la repentance calculée et les impératifs stratégiques, coincée entre la nécessité d’un partenariat et la peur d’un passé qui colle à ses basques comme un vieux sparadrap.
Le pétrole, le gaz, les visas, la diaspora, les marchés publics… Voilà le véritable champ de bataille d’aujourd’hui. Pendant que les commémorations se succèdent, les négociations se font en coulisses. L’Algérie joue la carte de l’intransigeance mémorielle mais laisse entrer les multinationales françaises à condition qu’elles ne posent pas trop de questions. Paris, lui, parle de coopération et d’amitié tout en durcissant sa politique migratoire. Souveraineté ? Oui, mais sous conditions.
Et les soldats dans tout ça ? Les derniers survivants de la guerre d’Algérie s’éteignent un à un, emportant avec eux des souvenirs que personne ne veut vraiment entendre. Les harkis sont toujours en quête d’une reconnaissance qui vient au compte-gouttes. Les anciens appelés, eux, se demandent encore pourquoi ils étaient là. Les jeunes générations, des deux côtés, peinent à comprendre pourquoi cette guerre continue de dicter les relations diplomatiques comme un spectre insaisissable.
Le 19 mars 2025, comme les précédents, sera donc une journée de postures et d’hypocrisie. Un théâtre où l’on joue la souveraineté sans jamais la pratiquer, où l’on parle d’histoire tout en la vendant par morceaux. La France et l’Algérie, deux nations qui se regardent dans le rétroviseur sans jamais vraiment oser freiner ni accélérer.
Au final, la relation franco-algérienne oscille entre dépendance et défiance, entre mémoire et oubli sélectif. Tant que l’histoire servira de monnaie d’échange plutôt que de pont vers l’avenir, les plaies resteront ouvertes, et les véritables réconciliations demeureront un mirage diplomatique. On célèbre, on commémore, on discourt, mais le passé n’est jamais qu’un instrument dans un jeu où l’histoire se plie aux intérêts du présent.
Comme le disait Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Peut-être qu’un jour, les mots justes permettront d’écrire une autre page, mais pour l’instant, la souveraineté reste en solde et les soldats en souvenirs.
Dr A. Boumezrag