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mercredi 4 décembre 2024
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Nous avons choisi de rejoindre le peuple du Hirak (Contribution)

Dans ce chapitre extrait de l’ouvrage “Dissidences populaires, regards croisés”, feu Rachid Malaoui relate l’expérience du syndicat Snapap/Cgata face à la répression du Hirak. L’auteur évoque les terribles répercussions pour les familles touchées par cette situation tragique.

Le 22 février 2019 restera longtemps comme un grand moment de rupture pour les Algériens. Le peuple y a signifié son refus de continuer à avaliser les errements du système politico-militaire. Le peuple est allé ce jour-là au-devant de l’histoire.

Des millions d’Algériennes et des Algériennes sont sortis en février 2019 dans les rues pour réclamer un changement profond du système politique. Rapidement des ONG, des syndicats et des partis politiques qui militent pour un État de droit et la démocratie ont appelé au soutien de ce formidable mouvement de dissidence pacifique.

Nous avons choisi en tant que syndicalistes de nous y engager. De ne pas rester en marge du mouvement né des entrailles de notre société.

Ces immenses manifestations populaires et pacifiques inédites dans le pays avaient pour but, au début, de signifier le refus du cinquième mandat que voulait imposer une partie de l’institution militaire en faveur d’Abdelaziz Bouteflika. Atteint d’un AVC depuis le printemps 2013, malade et incapable de prononcer le moindre discours, Bouteflika était devenu un spectre. Le pays était dirigé par son frère, actuellement en prison et un groupe d’hommes d’affaires et d’officiers supérieurs acquis au clan au pouvoir.

Fraudes répétées

Toutes les élections précédentes, que cela soit les présidentielles, les législatives ou les communales, étaient le lieu de fraudes et de trafics des voix des électeurs. C’est ainsi depuis l’indépendance. La population boycottait systématiquement ces fraudes présentées comme des élections transparentes par les autorités et leurs relais traditionnels : partis (FLN, RND) et syndicats comme l’UGTA.

En février 2019, voyant le peuple algérien manifester contre ce énième mandat en faveur d’un président malade et âgé, une partie de l’institution militaire s’est retournée contre l’ex-président.

La population avait montré la voie du refus aux officiers supérieurs. Le but de l’institution militaire, du moins en apparence, étant de soutenir la revendication d’arrêt du cinquième mandat mais en vrai, il était assez vite apparu qu’elle avait pour seul objectif d’empêcher la population de prendre l’initiative pour l’instauration d’une démocratie réelle. Pendant que le peuple manifestait, l’institution militaire se réorganisait, se réadaptait pour reprendre le contrôle de la société.

Il n’était pas question pour elle, comme pour le personnel politique habitué aux privilèges, de renoncer aux leviers de la décision et à leurs passe-droits. Les enjeux étaient trop importants pour l’institution militaire et ses relais. Chaque jour, le chef d’état-major de l’armée, le défunt Gaïd Salah, s’exprimait à partir des casernes à la télévision algérienne pour diriger l’évolution politique du pays. Il était devenu à lui seule le pouvoir. Nous ne voyions pas d’un bon œil ces interventions télévisées. Elles n’auguraient rien de bon.

Après une période de flottement, l’institution militaire a continué dans ce qu’elle savait faire le mieux : utiliser la répression, la manipulation de l’opinion pour faire « élire » d’autorité un nouveau président de la république. Ce qu’elle fera, après deux échecs, le 12 décembre 2019.

Avec l’intronisation de l’inattendu Abdelmadjid Tebboune, l’institution militaire s’offrait une énième façade civile. L’énorme abstention qui avait prévalu lors de la présidentielle avait marqué les esprits. Plus rien n’était plus comme avant. Mais il en fallait plus pour déstabiliser le régime. Pour mater le peuple, l’institution militaire et ses soutiens civils ressortent l’arme de la répression. Tous les départements de sécurité sont mobilisés, la justice devenu une machine à condamner est également activer pour tuer le Hirak et l’espoir qu’il avait suscité.

Malgré une féroce répression les manifestations avaient continué. Le peuple du Hirak était rendez-vous tous les vendredis. Et les étudiants manifestaient tous les mardis dans les villes universitaires. Entretemps l’épidémie du Covid-19 avait ébranlé le monde et dévoilé la faillite du système de santé en Algérie. La population avait décidé, de manière unilatérale, de suspendre les manifestations pour ne pas porter atteinte à l’intégrité physique de millions de personnes. Cette décision renseignait sur la hauteur de vue de la rue algérienne. Cette suspension avait duré une année presque. Un espace-temps qui avait donné au régime militaire la possibilité de prendre toutes les dispositions nécessaires pour mettre une fin aux manifestations.

Chasse aux manifestants pacifiques

Au mois de février 2021, les manifestations pacifiques reprenaient partout en Algérie. Le régime mit en place sa stratégie de répression pour arrêter les manifestations. Il avait d’abord ciblé les villes où le nombre de personnes n’était pas très important avant de passer aux villes rebelles du pays.

Aux quatre coins du pays, les commissariats et les tribunaux se remplissaient de manifestants toutes les semaines. La torture, les mauvais traitements, les attouchements sexuels et les tentatives de viol sur les hommes ou les femmes avaient pris une proportion alarmante dans les commissariats. Certaines affaires furent portées au niveau des instances internationales pour obliger le régime militaire à renoncer à ces pratiques. Plusieurs amendements avaient touché le code pénal afin d’y ajouter de nouvelles accusations et d’augmenter les durées d’emprisonnement des citoyens et citoyennes. L’élection d’un nouveau parlement, toujours dans une abstention record, était, encore une fois, une occasion de coopter la clientèle du régime qui obéissait aux ordres afin de permettre de faire passer toutes les lois liberticides. Là encore, le boycott massif et la fraude étaient au rendez-vous. Rien n’avait changé.

Les arrestations arbitraires se multipliaient avec ou sans perquisitions de domiciles et la rétention des appareils téléphoniques était systématique.

Exprimer sur les réseaux sociaux un point de vue politique était un acte qui relevait désormais du pénal. Pour accentuer la répression et semer la peur dans la société, des accusations de terrorisme furent portées contre une centaine de militants et militantes alors même que le Hirak était un mouvement pacifique pro- démocratie et qualifié de « béni » par le régime.

Les rapporteurs spéciaux de l’ONU avaient mis en évidence le caractère arbitraire de cette répression. Le haut-commissariat pour les droits de l’homme de l’ONU avait vertement condamné plusieurs fois la répression en Algérie et interpelé les autorités pour libérer les détenus d’opinion. Rien n’y fit. L’institution militaire et ses relais civils demeuraient droits dans leurs bottes.

Évidemment, ces énormes manifestations avaient contribué à accélérer la politisation des citoyens et citoyennes en Algérie en particulier chez les jeunes. Elles avaient permis aux femmes de manifester au côté des hommes sans aucun souci alors que nous vivons dans une société patriarcale. C’est là aussi l’une des retombées du Hirak.

La répression avait visé (et vise toujours) tous les pans de la société. Que cela soit les délégués syndicaux, les adhérents de syndicats, d’association mais aussi la population en général alors que les seules revendications étaient : l’instauration d’un État de droit, la souveraineté du peuple et l’indépendance de la justice. L’une des mesures qui nous avait visés était la fermeture du siège national de notre syndicat Snapap/Cgata par décision administrative bien avant les élections du 12 décembre 2019.

Pour mémoire, nous publions la liste, certes peu exhaustive, des adhérents et délégués syndicaux réprimés et condamnés.

Kadour Chouicha, coordinateur de syndicat Sess (des enseignants universitaires) et vice-président de la Cgata, fut emprisonné pendant un mois. Il est poursuivi pour terrorisme avec sa femme journaliste, Djamila Loukil.

Hassam Fouad, membre du Snapap/Cgata, chargé de département de migration emprisonné pendant 3 mois. Melle Bensaid Hassina, présidente de la section syndicale APC Tazmalt, convoquée par la justice le 26 février 2020. M. Brahami Toufik, président de la section syndicale de la daïra d’Aokas, poursuivi en justice. M. Zidane Noureddine, président de la section syndicale et membre de la coordination de wilaya de Béjaïa, suspendu le 4 février 2020 puis poursuivi en justice.

Une deuxième vague des présidents de sections de la wilaya de Béjaïa a été convoquée au commissariat central à savoir : Zadir Abdellah président section syndicale APC Béjaïa, poursuivi en justice ; Yahia Bouzelmat, président de section de Chemini ; Boukhenak Zoubir dit Karim, président de section de Timezrit; Kassa Nacer, coordinateur de wilaya de Béjaïa; Djedjeli Karim, membre de la section syndicale d’Aokas et Afroukhe Abdellah, vice- président de la section syndicale de la résidence universitaire Targa-Ouzemour, Béjaïa, convoqué au commissariat puis présenté devant le procureur.

Le même traitement fut réservé aux présidents des sections syndicales, président section syndicale APC Beni Maouche, aux présidents de section syndicale des APC de Kherrata, Timezrit, Melbou, Taskerouite, d’El Kseur et trois membres de la section syndicale de l’APC Béjaia. La présidente de la section syndicale de la direction du logement, avait subi des harcèlements et affectations avec deux autres membres.

Mme Djaddour Elalia, dite Nadia, membre du Bureau national Snapap et membre de l’exécutif de la CGATA de Chlef avait été condamnée à 2 ans de prison. Elle avait fait appel de sa condamnation. M. Fallah Hamoudi de Tlemcen, membre de bureau national Snapap/Cgata fut condamné à un mois de prison ferme et 18 mois de prison avec sursis. M. Maza Belkacem, greffier, fut suspendu abusivement de son poste avec poursuites judiciaires. M. Mourad Ghedia, président de la fédération de la justice au Snapap, avait fait 3 mois de prison. Il a été licencié pendant trois ans puis réintégré avec mutation puis licencié une deuxième fois. M. Maza Belkacem, greffier et membre de la fédération de la justice du Snapap, est poursuivi dans plusieurs procès. Il est aussi suspendu de son travail.

De très nombreux cadres syndicaux affiliés au Snapap et aux collectivités locales sont traînés devant les tribunaux. Nombre d’entre eux sont passés par la case prison pour avoir apporté au Hirak cette vision généreuse et progressiste qui existe au sein de notre syndicat qui défend le droit humain et lutte pour une Algérie démocratique.

Rachid Malaoui

Syndicat : Snapap Cgata

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