Ah, le « retour à la normale ». Cette expression rassurante que les diplomates affectionnent quand ils ne savent plus très bien quoi dire. Après une conversation « cordiale » entre Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune, Paris et Alger se sont promis de « poursuivre le dialogue », de « renforcer la coopération » et de « travailler dans un esprit de respect mutuel ». Traduction : on met un mouchoir sur les tensions du moment, et on espère que le courant d’air les emportera.
Mais que signifie réellement ce « retour à la normale » dans la relation franco-algérienne ? Une question simple, aux réponses… embarrassantes.
Une « normalité » faite de malentendus
La normalité, entre Paris et Alger, c’est un éternel malentendu diplomatique. C’est la France qui parle de mémoire partagée et l’Algérie qui parle de dette historique. C’est un ballet de convocations d’ambassadeurs au moindre mot de travers, de coups de fil tardifs pour éteindre les incendies, et de sourires crispés devant les caméras.
C’est aussi l’art de ne rien régler tout en annonçant qu’un nouveau départ est imminent. En réalité, cette normalité-là, c’est une forme très élaborée de désaccord stable.
Une normalité sélective… et asymétrique
Pour la France, le « retour à la normale » consiste à reprendre le contrôle des flux migratoires, à faire signer des laissez-passer consulaires à un pays qui n’a aucune envie de rapatrier ses ressortissants en situation irrégulière, tout en soignant l’image d’un partenariat « exigeant mais constructif ».
Pour l’Algérie, cela signifie rappeler que la souveraineté nationale n’est pas négociable, tout en négociant discrètement les contrats de gaz, les visas étudiants, et la coopération sécuritaire. La normalité algérienne, c’est aussi garder un œil critique sur les prises de position françaises au Sahara occidental, tout en poursuivant les échanges commerciaux — car l’économie, elle, n’a que faire des susceptibilités historiques.
Une mémoire toujours vive, une liberté toujours sous tension
Dans cette normalité postcoloniale, il y a aussi des anomalies bien normalisées : comme l’affaire Boualem Sansal, écrivain respecté à l’international, emprisonné dans son propre pays pour ses idées — pendant que Paris, d’ordinaire si prompte à brandir les grands principes, choisit de rester discrète, au nom d’un dialogue qui ne doit pas être « pollué » par des considérations « sensibles ».
La liberté d’expression ? Variable diplomatique d’ajustement. Les droits de l’homme ? Un supplément d’âme, mais jamais une ligne rouge. On ne fâche pas un partenaire stratégique pour un intellectuel trop libre. Même Sartre, aujourd’hui, aurait du mal à passer.
Et pendant ce temps…
… les jeunes Algériens continuent de rêver de la France. Les jeunes Français d’origine algérienne continuent de se demander quelle place leur est réellement offerte. Les autorités des deux rives continuent de parler à demi-mot, avec la crainte permanente d’un mot de trop. Et l’histoire continue de peser, comme un sac de pierres que chacun essaie de déposer chez l’autre.
La normalité, c’est l’anormal qui dure
Au fond, le « retour à la normale », dans les relations franco-algériennes, c’est une formule diplomatique pour dire : on ne va pas mieux, mais on a arrêté de se disputer en public.
Alors oui, le climat semble plus calme, les communiqués sont apaisés, et les ambassadeurs sont rentrés à leurs postes. Mais sous la surface, rien n’a vraiment changé. Car dans cette relation singulière, marquée par un passé qui ne passe pas et un présent qui trébuche, la normalité, c’est l’équilibre dans l’inconfort.
« Entre la France et l’Algérie, la normalité n’est jamais qu’un cessez-le-non-dit. » Une formule qui résonne comme un écho moderne aux accords d’Évian de 1962, censés refermer une guerre mais pas une histoire, censés accoucher d’une indépendance mais non d’une réconciliation.
Car depuis plus de 60 ans, la relation franco-algérienne oscille entre mémoire piégée, intérêts croisés et irritations diplomatiques chroniques. Ce « retour à la normale » n’est donc que la répétition d’un vieux scénario : celui d’un dialogue à huis clos entre deux pays qui n’ont jamais vraiment su s’entendre à voix haute.
Dr A. Boumezrag