Qu’ont en commun la France et l’Algérie, à part des décennies de rapports politiques tumultueux, des héritages coloniaux et un goût prononcé pour les discours sur l’égalité ? Une chose, sans doute la plus cruciale : le pouvoir ne va ni aux méritants, ni aux bâtisseurs, mais aux rentiers du pouvoir.
Ces figures insidieuses qui prospèrent dans les coulisses, en manipulant les leviers de la cooptation, de la corruption et des rentes, tout en laissant les citoyens se battre pour des miettes.
La France, patrie des droits de l’Homme et du citoyen, ne fait plus illusion. On y parle de république, de méritocratie, mais dans la pratique, tout cela n’est qu’une façade bien entretenue. Derrière les discours de justice sociale et d’égalité des chances, ce sont les mêmes élites qui se transmettent le pouvoir à coup de réseaux d’influence, de promesses électorales et de mandats successifs. Il suffit de jeter un œil aux grandes institutions politiques ou économiques pour voir comment les mêmes noms tournent en boucle : ceux qui ont su préserver leur place dans un système figé, où l’effort individuel et l’innovation sont relégués aux oubliettes.
Prenons les exemples de ces grandes entreprises françaises, souvent entre les mains de quelques familles ou de « noms d’État » qui, d’année en année, maximisent leurs profits tout en bénéficiant d’une stabilité politique enviable. Le mérite ? Le travail acharné ? Rêvez. Le pouvoir, dans ce pays, se joue à la table des négociations où seuls les rentiers sont invités.
L’Algérie : le même scénario, mais avec un twist
De l’autre côté de la Méditerranée, l’Algérie semble avoir suivi le même modèle, et ce n’est pas la « révolution » de 2019 qui a changé quoi que ce soit, bien au contraire. Le système reste verrouillé entre les mains de quelques oligarques, héritiers des anciennes structures du pouvoir, et ceux qui savent jouer les bons rôles au sein d’une bureaucratie corrompue. Les jeux de pouvoir dans les coulisses sont devenus une routine presque religieuse : des anciens généraux aux hommes d’affaires proches du régime, en passant par les familles qui ont su prospérer dans l’ombre du pouvoir, l’élite algérienne se transmet le pouvoir comme une vieille tradition. Les « nouveaux riches » du pays ne viennent pas des usines ou des champs, mais des sièges du pouvoir.
Le mythe de la méritocratie algérienne, celui du « nouveau modèle » et du « futur radieux », a été mis à mal dès ses premières années d’indépendance. L’Algérie est conservée prisonnière de ses rentiers politiques, ceux qui connaissent les bonnes personnes, ceux qui ont les bons contacts à la tête de l’État ou dans les secteurs-clés. Pendant ce temps, les jeunes diplômés qui aspirent à un avenir meilleur se retrouvent piégés dans un système qui les garde à distance, là où le mérite ne mène à rien d’autre qu’à la frustration et à l’exil.
Les rentiers, maîtres du jeu
Les rentiers du pouvoir sont les vrais architectes du statu quo, tant en France qu’en Algérie. Que ce soit à l’Élysée ou à Alger, l’essentiel n’est pas de réformer, de repenser le modèle ou de donner une chance à ceux qui osent s’élever grâce à leurs talents. Non, le mais est de maintenir les dynamiques existantes. Dans ces deux pays, le pouvoir se reproduit par l’héritage, la cooptation et, parfois, la manipulation subtile des masses. Dans une Algérie où la bureaucratie est omniprésente, et dans une France où les grandes entreprises dictent leur loi à l’État, il est évident que les rentiers du pouvoir ont plus de poids que les simples citoyens.
Les élections, les réformes, les projets de société ne sont que des écrans de fumée. Derrière, tout est orchestré pour préserver un système qui fait la part belle à ceux qui n’ont pas besoin de démontrer leur valeur pour obtenir ce qu’ils veulent. Le « mérite » n’est qu’un mirage, une illusion confortée par des discours politiques qui respectent plus du théâtre que de la vérité.
La démission et la révolte
La question qui se pose alors est simple : jusqu’à quand ces deux nations accepteront-elles que leur destin soit entre les mains des rentiers du pouvoir ? En France, l’on parle de « clivages sociaux », d’une « fracture » entre élites et peuple. En Algérie, le terme « hogra » (mépris) est utilisé pour décrire ce sentiment de rejet et d’injustice face à un pouvoir qui exclut et ignore.
Mais voilà : tant que les rentiers resteront invisibles, tant qu’ils sauront manipuler les règles du jeu à leur avantage, les deux peuples continueront de se battre pour des causes secondaires, des changements cosmétiques, pendant que les vrais responsables du statu quo s’ enrichissent et confortent leur position. Ceux qui détiennent le pouvoir savent que la clé de la stabilité réside dans la dissociation entre les méritants et ceux qui savent garder la main sur les cordons de la bourse.
Un système qui se nourrit de l’illusion
En France comme en Algérie, la véritable question n’est pas qui mérite le pouvoir , mais qui sait comment l’obtenir et le conserver . Et, à ce jeu-là, ce ne sont pas les plus talentueux, mais ceux qui savent entretenir les bonnes relations, manipuler l’opinion et profiter des failles du système. Le pouvoir, finalement, se joue dans les coulisses, là où se rencontrent les rentiers du pouvoir, et là où ceux qui ne sont ni élus ni légitimes successeurs de tout gouverner.
Si l’on veut vraiment briser ce cercle vicieux, il va falloir plus qu’une simple réforme, plus que quelques promesses électorales. Il faudra déraciner ce système de rente, déloger ces rentiers du pouvoir et rétablir un véritable principe de justice sociale où le mérite serait enfin récompensé. Mais est-ce seulement possible quand l’ensemble du système repose sur la consolidation de leurs privilèges ? Les rentiers du pouvoir, eux, en sont convaincus : le statu quo n’a jamais été aussi rentable.
Cette chronique souligne les similitudes entre la France et l’Algérie dans leur gestion du pouvoir, en exposant l’hypocrisie d’un système qui favorise la rente plutôt que le mérite. Elle mêle cynisme et analyse sociale pour révéler les dynamiques cachées du pouvoir dans ces deux pays.
« Le pouvoir n’est pas un prix à gagner, mais un privilège à conserver, et ceux qui en bénéficient savent qu’il se nourrit de l’illusion du changement pour mieux étouffer l’espoir de ceux qui cherchent à le renverser. »
Cette citation met en lumière l’essence même des jeux de pouvoir, aussi bien en Algérie qu’en France : une élite qui manipule l’illusion du mérite et du progrès pour maintenir ses privilèges, tout en étouffant toute véritable alternative. Elle souligne les enjeux cachés derrière les réformes superficielles et les discours politiques, et la difficulté, voire l’impossibilité, de changer un système conçu pour favoriser ceux qui en détiennent les clés.
Dr A. Boumezrag