- L’impact de la pesanteur sociale et la banalisation du phénomène par les intercessions
La société civile a un rôle de premier plan dans le processus de bonne gouvernance car elle a le monopole du contrôle de l’action gouvernementale par ses représentants. Mais lorsque celle-ci s’engouffre dans la pratique de la corruption, cela ne fera qu’encourager les dirigeants à se pérenniser dans cette situation mafieuse parce que tout simplement ils n’auront de compte à rendre à personne si ce n’est qu’à leur conscience. L’implication de la plupart des membres de la société dans la corruption a métamorphosé cette dernière en un phénomène social à tel point que tout « citoyen lambda » aurait, une fois, violé la loi pour obtenir satisfaction, par empressement, négligence, orgueil ou paresse.
Les Algériens posent à longueur de journée des actes négatifs qu’ils n’ont pas le courage d’assumer. Quand un individu est appréhendé, il fait recours à des personnes âgées pour plaider sa cause. Cela est connu comme une coutume et cela affaiblit la puissance d’intervention de l’État. L’intercession qui peut être rendu par un nombre impressionnant d’autres concepts : intervention, arrangement, supplique, etc. C’est connu “sensibilité anthropologique” c’est la personne, ses côtés dits faibles”, c’est à travers cette “faiblesse anthropologique” que la mission “opère” : vieilles femmes, le conjoint ou la conjointe, l’ami auquel on ne refuse rien, le père ou la mère, l’oncle ou la tante, les beaux-parents, etc. Cette “agression” de la libre sensibilité opère généralement et toujours. Quel fils n’écouterait pas son géniteur qui vient le supplier en faveur d’une tierce personne ? Ainsi, il semblerait qu’en Afrique, qu’il n’y ait rien que ce “vagabondage intercesseur” n’arrive à régler. S’y adonnent à cœur joie !
Intercession, oui, mais justice et “punition” aussi pour que le coupable prenne conscience que si une société fonctionne, c’est qu’il y a des règles qui doivent être respectées. Ainsi, nous posons des actes des plus répréhensibles pour ensuite recourir à l’intercession afin d’échapper aux conséquences desdits actes, c’est le reflet d’une conscience obtuse qui refuse la “sanction” au profit de l’impunité !
À cette intercession, il faut ajouter l’influence de la parenté à plaisanterie (cousinage). Un concept qui remonte à des siècles, c’est une tradition qui a été inculquée par les anciens, pour l’harmonie de la vie en société.
- Le cousinage et l’impunité des actes délictuels
Dans les rapports complexes véhiculant la paix, l’entraide, la solidarité, le pardon, le pacte de sang, la parenté à plaisanterie a eu à jouer un rôle éminemment positif Mais aujourd’hui, cette pratique est devenue un moyen efficace d’échapper à la punition. Certes, le cousinage à plaisanterie est bien ancré dans les habitudes et bien vécu aujourd’hui par les acteurs concernés. Il est, cependant, à craindre demain, que l’inflation, et surtout l’instrumentalisation de celui-ci dans et par les medias, et dans la bouche de certains politiciens ne soient ses véritables fossoyeurs et produisant les effets contraires, du moins en semant le doute, la gêne et la confusion. La parenté à plaisanterie s’est désormais invitée dans les commissariats et les prétoires empêchant à la justice de fonctionner et aux sanctions, de tomber. Elle s’est invitée sur les routes, dans la circulation empêchant à d’honnêtes policiers et d’autres agents de la routière de faire correctement leur métier. Elle s’est invitée dans les administrations et les couloirs des services d’État allouant prébendes, postes et autres libéralités, tout cela, au nom de cette «sacrée parenté à plaisanterie ». Elle s’est invitée à l’école, à l’université, faussant les notes et les examens, bradant les diplômes comme des beignets au marché ! Surtout, elle s’est invitée dans la politique, au plus haut sommet de l’État faussant les débats politiques, excusant celui-ci, pardonnant à celui-là malgré la lourdeur de sa faute. Ainsi, ce cousinage, loin d’être un outil de partage avec autrui, est devenu un outil de promotion personnelle, à des fins très diverses : obtention de faveurs auprès d’une connaissance dans l’administration, pour l’obtention d’emplois, de diplômes, etc. Il s’agit de l’utilisation « démagogique» que nous pourrions d’ailleurs rapprocher de certaines formes de corruption en ce qui concerne le pouvoir. Ici, entrer en « cousinage » n’a pas pour but de plaisanter et de rire avec autrui, mais de s’en servir. Nous sommes loin des descriptions angéliques visant à faire de l’Afrique le continent de l’humanisme, de l’amour et du respect. D’où l’urgence à appliquer la loi en lieu et place du consensus, car la primauté de la loi sur la coutume exige l’application stricte des dispositions de celle-ci qui doivent sanctionner les pratiques qui vont à son encontre.
La pratique de la parenté à plaisanterie est devenue une réalité sociologique qui prend le dessus sur l’État, ce qui entraîne l’inaction de la puissance publique à l’égard de ceux qui se croient tout permis parce qu’ils ont leurs cousins dans les services de répressions qui les blanchiront: tradition oblige; ainsi, beaucoup de contraventions, délits, crimes restent impunis; cela débouche sur la récidive parce que le fautif ne sera jamais puni de ses actes délictuels.
II- Les solutions envisageables pour lutter efficacement contre la corruption.
Tout d’abord, pour mener à bien cette lutte, il est indispensable de mettre l’accent sur la séparation des différents pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire. Le système judiciaire est l’acteur « par excellence » de la lutte contre la corruption. Quand il ne joue pas son rôle ou lorsqu’il est atteint par la gangrène, tout le système devient corrompu. C’est dire qu’il faut un engagement ferme des politiques pour garantir l’indépendance totale du pouvoir judiciaire pour qu’il puisse faire son travail, et au besoin, instaurer une répression implacable de la corruption en son sein.
Par ailleurs, les populations doivent s’organiser et faire pression. Aussi, s’agissant de la population, il faut mettre l’accent sur l’éducation, pour apaiser l’inquiétude sur le caractère culturel de la corruption.
- La nécessaire implication de l’ensemble de la société :
La lutte contre la corruption n’aura de succès que lorsque toutes les couches de la société et les autorités politiques et judiciaires s’impliqueront à fond, à savoir l’État à travers les institutions de la République par une volonté politique sans réserve, ensuite les élus par les moyens d’information, d’éducation, de sensibilisation et de vulgarisation des méfaits de la corruption.
S’agissant du rôle de l’État, les autorités centrales doivent afficher une volonté politique soutenue en matière de lutte contre la corruption et la délinquance financière afin de bénéficier de la confiance du peuple et des partenaires au développement. Pour parvenir à un résultat probant, l’État doit élaborer et appliquer rigoureusement des normes de contrôle par le renforcement de l’effectivité et la régularité des activités de contrôle interne et externe. La coordination des activités des organes de contrôle, le développement et la systématisation de l’audit sont des pistes à explorer pour l’atteinte des objectifs. Pour ce faire, l’État se doit :
– d’appliquer rigoureusement les textes législatifs et réglementaires en vigueur, notamment les enquêtes de moralité ;
– tenir compte des critères de probité et d’intégrité dans le recrutement et la nomination des cadres ;
– transmettre les rapports à la justice par les voies appropriées pour une suite éventuelle.
Un autre aspect important à prendre en considération, il s’agit de l’impact de l’Etat sur les conditions de vie et de travail des agents. Une lutte efficiente contre la corruption passe nécessairement par l’amélioration des conditions de vie et de travail des agents du secteur public mais aussi leur formation et leur sensibilisation à l’éthique de transparence dans la gestion des affaires de la cité. Une politique de simplification et de célébrité des procédures administratives est aussi un gage de bonne gouvernance. Le renforcement des organes et systèmes de contrôle existants et la vulgarisation des textes législatifs et réglementaires en matière de lutte contre la corruption sont des mesures complémentaires pour son succès.
- Le rôle de l’institution législative : L’immunité parlementaire en question
De par sa qualité d’institution représentative clé dans la démocratie, l’organe législatif national doit s’impliquer dans toute démarche de lutte contre la corruption. En effet, l’institution législative constitue un « pilier» essentiel dans la lutte globale aussi contre la corruption majeure que la corruption mineure du fait notamment qu’elle est censée examiner et adopter des lois anti- corruption, d’une part, et contrôler les administrations gouvernementales, d’autre part. Le législateur peut susciter la prise de conscience au sein du public à propos du coût élevé de la corruption et des moyens adéquats pour la combattre. Afin de combattre la corruption de manière plus efficace, les parlementaires doivent commencer d’abord par mettre de l’ordre dans leur propre maison. À cette fin, ils doivent établir des normes de bonne conduite qui s’appliquent à eux-mêmes, car le comportement immoral de quelques membres peut jeter le discrédit sur l’ensemble de l’institution qui sera perçue comme étant la source du problème plutôt que la solution.
Dans la plupart des pays, les parlementaires jouissent d’une certaine forme d’immunité contre les poursuites civiles et/ou pénales. L’immunité parlementaire est une question controversée. Alors que l’immunité vise à permettre aux parlementaires d’exercer leurs fonctions loin de poursuite motivée par des considérations politiques, ce qui fait croire aux parlementaires qu’ils sont au-dessus de la loi.
Dans le cas de l’Algérie, des velléités de suspension d’immunité parlementaire ont été brandies à l’encontre de certains parlementaires sans que cela n’aboutisse à la levée de cette protection et l’exécutif n’est jamais allé au fond de sa logique de poursuite des parlementaires, entravant ainsi le pouvoir judiciaire d’appliquer aux représentants du peuple, les rigueurs des textes qu’ils votent.
- Les solutions
- a- à moyen terme :
- Mettre en synergie les structures de contrôle ;
- Déterminer la pertinence des différentes structures de contrôle ;
- Systématiser les contrôles internes et externes ;
- Multiplier les pôles économiques ;
- Faire une déclaration de leurs biens par tous les cadres nommés par un décret et par arrêtés, par les élus locaux, régionaux et nationaux. Déclaration à mettre périodiquement à jour et à publier dans le journal officiel ;
- Réduire les dépenses de fonctionnement hors salaires ;
- Séparer les pouvoirs, au niveau d’interférence, de l’exécutif dans le judiciaire ainsi que le législatif ;
- Améliorer la grille salariale de la fonction publique ;
- Accentuer les mesures de lutte contre la fraude dans tous les examens et concours dans les secteurs ;
- Conscientiser la population à la citoyenneté et à la lutte contre la corruption et la délinquance financière ;
- Auditer les comptes des partis politiques ayant bénéficié des subventions de l’Etat par les structures de contrôle ;
- Fixer les montants des frais des campagnes électorales à l’occasion des élections municipales, législatives et présidentielles ;
- Publier et vérifier les comptes des campagnes électorales aux fins de moralisation et de respect de l’éthique ;
- Introduire l’éducation civique et morale dans les programmes scolaires et universitaires
- b- à long terme :
- L’obtention de résultats probants dans la lutte contre la corruption nécessite :
- Une volonté politique ferme et durable des programmes de vérifications ;
- Assurer une application rigoureuse et durable de la lutte contre la corruption ;
- Assurer la transparence de la lutte contre la corruption, plus de transparence dans la passation des marchés publics ;
- Forte mobilisation de la société et des citoyens pour la lutte contre la corruption.
Samir