Dans la grande loterie du pouvoir, les peuples oscillent entre deux extrêmes : d’un côté, la dictature du verbe, où la démagogie et la tromperie tiennent lieu de gouvernance ; de l’autre, le verbe de la démocratie, qui promet mais peine à tenir. Entre ces deux régimes, l’un bavard mais manipulateur, l’autre libre mais souvent impuissant, difficile de dire lequel est le plus désespérant.
La dictature du verbe : tromper pour mieux régner
L’histoire regorge d’exemples où le langage politique a servi à masquer la réalité. En France, comme ailleurs, les gouvernants maîtrisent l’art du discours, faisant croire à des réformes là où il n’y a que de la poudre aux yeux.
En 1981, François Mitterrand promettait une rupture avec le capitalisme, avant d’opérer un virage libéral en 1983. Plus récemment, Emmanuel Macron, chantre du « en même temps », jongle entre promesses de concertation et décisions unilatérales, comme l’a illustré la réforme des retraites de 2023, imposée malgré un rejet populaire massif.
Cette dictature du verbe ne se limite pas aux promesses non tenues. Elle se niche aussi dans la gestion des crises : après chaque émeute, attentat ou scandale, les gouvernants enchaînent les éléments de langage, les consultations et les commissions… avant que tout ne retombe dans l’oubli. La parole publique devient un écran de fumée où l’essentiel est d’occuper l’espace médiatique plutôt que d’agir.
Le verbe de la démocratie : liberté d’expression ou impuissance politique ?
Si en France la parole est omniprésente, elle est loin d’être toujours efficace. Le verbe de la démocratie, censé incarner la liberté et le débat, se heurte souvent à des logiques de blocage institutionnel. Le Parlement débat, la société civile s’exprime, les intellectuels argumentent… mais au final, ce sont souvent les lobbys, la technocratie et les contraintes économiques qui tranchent.
Prenons l’exemple du mouvement des Gilets jaunes en 2018-2019. Jamais un mouvement social n’a autant fait parler, jamais les médias n’ont autant relayé de débats sur la démocratie directe, la fiscalité ou la fracture territoriale… et pourtant, les revendications de fond (pouvoir d’achat, justice sociale) ont été noyées dans un flot de réponses dilatoires.
Dans d’autres démocraties, le verbe peine aussi à traduire la volonté populaire en action. Aux États-Unis, où l’on vante le débat public, le Congrès est régulièrement paralysé par les oppositions partisanes, rendant toute réforme structurelle quasi impossible. En Europe, l’Union européenne est souvent critiquée pour sa bureaucratie excessive et son incapacité à trancher rapidement sur des crises majeures, comme celle des migrants ou du climat.
Deux faces d’une même illusion ?Finalement, entre la dictature du verbe et le verbe de la démocratie, que choisir ? D’un côté, un régime où la parole est libre mais pervertie par la manipulation et l’inaction ; de l’autre, un régime où la parole est interdite et où toute tentative de contestation est matée sans scrupules. L’un anesthésie par l’excès de discours, l’autre par la répression brutale.
L’histoire a montré que les deux systèmes, dans leurs excès, peuvent conduire à des impasses. Trop de discours sans action nourrit la défiance et l’abstentionnisme, trop d’autoritarisme suscite les révoltes. Que ce soit par le langage ou par la censure, le pouvoir a toujours cherché à modeler la réalité à son avantage.
Comme le disait George Orwell : « Le langage politique est conçu pour donner aux mensonges des airs de vérité, au meurtre un aspect respectable, et au vent une apparence de solidité. » Que ce vent soit celui du verbe trompeur ou du silence imposé, il finit toujours par emporter ceux qui y croyaient encore.
Dr A. Boumezrag