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jeudi 21 novembre 2024
DébatsDr Saïd Khelil ancien secrétaire général du FFS : «Le système est complètement obsolète et dépassé»

Dr Saïd Khelil ancien secrétaire général du FFS : «Le système est complètement obsolète et dépassé»

Le Dr Saïd Khelil, ancien détenu d’Avril 1980, ancien secrétaire général du FFS, fondateur et président du Mouvement pour la démocratie et la citoyenneté (MDC lancé en 1995, mais non agréé), livre ses appréciations et son analyse de la situation qui prévaut actuellement dans le pays. Saluant la réaction civilisée de la société, notamment des jeunes, Saïd Khelil qualifie le système d’«obsolète». Selon lui, «cette protesta n’est pas le fait de pyromanes ou d’une quelconque main de l’étranger». «Elle émane des profondeurs d’une société mûre, fécondée par des soubresauts toujours violents qui n’ont pas cessés depuis le coup de force de l’été 1962», affirme-t-il. Sans se limiter au constat, l’homme esquisse des propositions de sortie de cette crise sans précédant et recommande d’«aller à la rupture progressivement en restaurant un climat de liberté et de démocratie pour définir un vivre-ensemble algérien dans sa pluralité».

La mobilisation populaire contre le 5e mandat du président Bouteflika et pour le départ du régime s’intensifie dans tout le pays. Assistons-nous à une réelle révolution ?

Effectivement ! L’Algérie post-indépendance n’a jamais connu une mobilisation populaire d’une telle ampleur, impliquant toutes les composantes de la société. Oui, c’est une révolution réelle. Encore faut-il le préciser, elle est pacifique et civique. Elle s’inscrit complètement dans la modernité politique. Elle me rappelle les soulèvements des peuples européens sous la domination soviétique et la chute du mur de Berlin. J’appelle de tous mes veux un dénouement aussi heureux.

Vous attendiez-vous à une telle réaction du peuple algérien, que certains ont qualifié, dans un passé récent, de «démissionnaire» ?

Les amis en sont témoins, j’y ai toujours cru. Une société est un ensemble vivant, travaillé par des opinions, des événements, des informations, d’autant plus que sa jeunesse (70% de moins de 30 ans) a assimilé les nouvelles technologies d’informations. Elle est à jour et très bien informée des faits et gestes des dirigeants grâce aux réseaux sociaux et aux télévisions indépendantes qui ont constitué des tribunes à une opposition complètement muselée à l’intérieur du pays. Cette accumulation de faits dans la conscience collective n’attendait qu’un déclic et le 5e mandat fut un choc qui va bouleverser le pays.

Peut-on dire aujourd’hui que c’est le début de la fin du système qui a pris en otage le pays depuis l’indépendance ?

Ce que je peux dire à ce moment de l’évolution de la situation : plus rien ne sera comme avant. Si le système a des racines profondes dans les institutions administratives, sécuritaires et économiques qu’il a modelées et instrumentalisées au bénéfice des castes dirigeantes, face aux bouleversements dans la société et dans le monde, il est complètement dépassé et obsolète. Avec son logiciel anachronique il ne peut appréhender le réel. Il donne ainsi l’image d’une gérontocratie coupée des réalités, profitant sans vergogne et sans limite d’une rente qu’ils s’acharnent à épuiser avant de livrer le pays aux futurs créanciers.

En maintenant la candidature du chef de l’Etat, les tenants du pouvoir ont fait des propositions de «sortie de crise», dont l’organisation d’une présidentielle anticipée. Quelle lecture faites-vous de cette démarche ?

Trop tard. Comment croire à de telles sornettes répétitives (le discours de 2012 «tab djenana») provenant d’un pouvoir qui a totalement perdu la confiance de sa population et complètement aveuglé par la sauvegarde de ses privilèges. En réalité, il n’a pas de solution, sinon, comment oser défier la loi biologique et divine qui impose une fin de vie à chaque être humain. Ces gens construisent un monument pharaonique à la gloire de Dieu et, en même temps, il le défie en imposant à tout un peuple un Président éteint depuis des années.

La rue maintient la pression, synonyme de rejet de cette offre du pouvoir. Quelles sont, selon vous, les mesures à prendre, à court et moyen termes, pour satisfaire la revendication populaire ?

On arrive à l’essentiel, que faire ? Cette protesta n’est pas le fait de pyromanes ou d’une quelconque main de l’étranger. Elle émane des profondeurs d’une société mûre, fécondée par des soubresauts toujours violents qui n’ont pas cessé depuis le coup de force de l’été 1962. Elle aspire à une émancipation citoyenne, à la liberté qui ne doivent pas être l’apanage du seul Occident. Il n’y a pas de fatalité historique ou génétique qui voudraient que nos peuples du Sud soient gouvernés éternellement par des potentats et autres oligarchies.

Partant de ce constat, en tirant les enseignements de notre histoire récente où le sang d’innocentes victimes a coulé à flots du fait du jusqu’auboutisme des uns des autres, il faut accompagner ce changement intelligemment en évitant tout extrémisme ou désir aveugle de règlement de comptes qui risque de nous coûter très cher.

Nous demeurons inflexibles sur nos positions de revendication d’un changement radical du système politique. Nous exigeons des mesures fortes et des garanties sérieuses des dirigeants en place, notamment de l’armée, mais nous devons empêcher l’effondrement des institutions administratives et économiques du pays, tout un chacun à son niveau de responsabilité doit veiller à ce que le pays continue à fonctionner et même améliorer son efficacité en attendant les vrais batailles à venir de redressement socioéconomique et de développement. Ce climat de sérénité doit persister pour protéger le pays. Pour le reste, les propositions des partis politiques et autres personnalités et intellectuels sont nombreuses.

De mon point de vue, toute précipitation vers une élection présidentielle risque de faire régénérer le système. Ses racines sont profondes, il a marqué durablement les mentalités et les habitudes. Il faut aller à la rupture progressivement en restaurant un climat de liberté et de démocratie pour définir un vivre-ensemble algérien dans sa pluralité.

Ce vivre-ensemble doit être garanti par l’instauration d’un modèle d’Etat qui intégrera toutes les réalités culturelles et linguistiques du pays. Il s’agit d’inventer une gouvernance à la hauteur de l’idéal démocratique et de modernité d’une jeunesse aspirant à exister dans le concert des nations avec tout son potentiel et son talent. Je me surprends à rêver du retour de toute notre élite exilée, de nos harraga pour prendre part tous ensemble à la reconstruction de notre pays.

Ce mouvement populaire n’est pas encadré par des leaders crédibles. N’y a-t-il pas des risques de dérapage ?

Non, il y a de la maturité, de la hauteur de vue dans ce mouvement qui a forcé l’admiration du monde. J’ai l’impression que le niveau politique est plus dans la rue que dans les appareils politiques complètement stérilisés durant ce long règne de Bouteflika. L’histoire, si elle connaît des longs moments de léthargie, elle a aussi produit des moments de brusque accélération qui enfantent des ruptures fondatrices, à l’image du 1er Novembre 1954 ainsi que sa continuité d’aspiration libératrice en l’occurrence Avril 1980, Octobre 1988 et Avril 2001. Il ne faut pas voler la révolution à ces jeunes. Je suis convaincu que nos futurs élus et dirigeants sont en train de manifester avec leur pancarte mêlant génie et humour. Il faut leur faire confiance.

Quels rôles pour les partis de l’opposition dans cette conjoncture ?

Je n’ai pas la prétention de leur donner des leçons. Entendons-nous bien, ils ont leur place entière dans ce processus de changement radical. C’est un outil indispensable dans tout système démocratique. Ils font actuellement des propositions de sortie de crise, ils sont dans leur rôle. Ceci dit, nous avons besoin de la cohérence politique des uns et des autres pour avancer. Je répète ce que j’ai dit lors de la réunion de l’opposition du 7 mars 2019 : «Vous ne pouvez pas être dans une assemblée factice du régime et prétendre être partie prenante de cette révolution politique pacifique.»

Je ne terminerai pas sans dire toute ma gratitude aux millions d’Algériennes et d’Algériens sortis dans les rues braver le système. Par leur courage et leur détermination, ils ont lavé notre honneur et nous ont rendu notre dignité.

 

Source Journal EL WATAN
Par MADJID MAKEDHI 

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