Perchés sur l’impériale de l’énorme bus rouge qui frôle les façades historiques, les touristes découvrent le vieux Tanger, tandis qu’une foule de vacanciers se presse sur la nouvelle corniche : les grands chantiers de reconversion de la zone portuaire ont redessiné la ville blanche.
« C’est superbe… », s’extasie Michal Linsi Tang, un étudiant chinois de 19 ans, à bord du bus touristique qui sillonne depuis fin juillet la ville aimée de tant de peintres et d’écrivains, à la pointe de l’Afrique.
Le vieux port historique a été entièrement déblayé et réaménagé depuis l’ouverture en 2010 du nouveau pôle maritime de Tanger-Med, à une cinquantaine de kilomètres, où transitent désormais trois millions de conteneurs par an et presque autant de passagers.
Les poids lourds ont disparu du centre-ville, les artères ont été retracées, les fortifications militaires héritées de la colonisation portugaise rénovées, la forteresse nettoyée.
Un nouveau port de plaisance, « Tanja Marina Bay », avec dans un premier temps 600 anneaux et un espace de promenade, a été inauguré en juillet à proximité du port de pêche modernisé, au bout de la grande corniche piétonne qui encercle la baie et ouvre l’horizon sur l’Espagne, de l’autre côté de la Méditerranée.
« Tout a changé, on ne reconnaît plus rien », regrette Rachid, un sexagénaire natif de Tanger qui vit depuis 30 ans en France et revient chaque été.
Le méga-programme « Tanger-Métropole », lancé par le roi Mohammed VI en 2013 pour 7,6 milliards de dirhams d’investissements (environ 630 millions d’euros), dont près du quart alloué aux aménagements maritimes, a bouleversé la cité du Détroit, longtemps délaissée dans un Maroc en développement.
« Ville émotionnelle »
Désormais, le nombre de touristes ne cesse d’augmenter – même s’il reste bien moindre qu’à Marrakech ou Agadir – et les hôtels se multiplient.
Signe du développement touristique, la multinationale de transports Alsa, qui assure la gestion des bus urbains, vient de lancer deux circuits de visites en bus à impériale.
Celui du centre-ville emprunte des ruelles étroites, surpeuplées, souvent encombrées de voitures en stationnement interdit.
« Circuler là avec un bus de 4,4 mètres de haut, c’est une vraie aventure » et « monter ce projet a été sportif », confie Jose Ramon Fernandez, le directeur local d’Alsa.
Le circuit passe près de la « Bab Merican » (la « Porte « américaine ») du cimetière juif, du Grand théâtre Cervantes (un rendez-vous mondain incontournable jusqu’à sa fermeture en 1962), près du vieux marché aux poissons puis monte vers l’ancien consulat italien, où se réfugia en 1850 Garibaldi, le héros du « Risorgimento » (Renaissance) avant de gagner les quartiers modernes.
« Tout est mélangé ici, c’est une ville cosmopolite et hétérogène, une ville émotionnelle », s’emballe l’écrivain Farid Othman, qui a conçu les parcours touristiques.
Ce militant culturel hispano-marocain de 39 ans organise, depuis le lancement de ces grands bus rouges, des tournées gratuites pour les enfants de la ville « afin qu’ils apprennent à connaître la beauté de Tanger et à en prendre soin ».
Ibn Battûta, Paul Bowles, William Burrough, Truman Capote, Alexandre Dumas, Jean Genet, Joseph Kessel, Mohamed Choukri, Antoni Gaudi, Mick Jagger : Farid Othman connaît toutes les ombres célèbres qui hantent Tanger et « n’imagine pas vivre ailleurs ».
« Tanger a toujours attiré et inspiré des artistes et des écrivains du monde entier », relève Younes Cheik Ali, un commerçant féru d’art et considéré comme une mémoire locale.
Une de ses grandes fiertés : tenir un café littéraire dans une maison très ancienne de la vieille ville, immortalisée par le peintre français Eugène Delacroix avec « La noce juive au Maroc » (1841). Cet amateur d’art possède lui-même un petit Delacroix dans sa précieuse collection liée à l’histoire de Tanger.
Statut international Aux confluents de l’Atlantique et de la Méditerranée, la ville a été successivement phénicienne, romaine, arabo-musulmane, portugaise, espagnole, anglaise, puis sous statut international entre 1923 et 1956, avant son intégration au Maroc : Abdelaziz Alamai Taidi, un marchand, aime raconter l’Histoire à ses clients. Dans sa modeste boutique située en face du mausolée islamique qui a inspiré le peintre Henri Matisse, il vend des foulards marocains, des livres en anglais, des tableaux africains, des objets décoratifs de la tradition juive…
Tanger vit tournée vers l’Espagne, à moins d’une heure de bateau, mais un TGV attendu pour la fin de l’année la rapprochera bientôt de Rabat, la capitale.
Reste à aménager ses quartiers périphériques, qui ont proliféré au fil des ans et des mouvements de migrations, transformant la deuxième ville économique du Maroc en un étalement urbain chaotique d’environ un million d’habitants.
Vigilantes face à la convoitise des promoteurs, les associations de protection du patrimoine ont convaincu les autorités de préserver des monuments emblématiques comme le palais hispano-mauresque de l’écrivain-espion britannique Walter Burton Harris, en cours de rénovation, ou les vieilles arènes, en attente d’un projet de réhabilitation.
« Cette ville n’a cessé d’éprouver un dilemme entre son développement économique et démographique et la protection de son trésor environnemental et historique », souligne le dernier rapport de l’Observatoire de protection de l’environnement et des monuments historiques.
Les noctambules, eux, ont retrouvé leurs nuits blanches : en mode veille pendant les grands travaux, la fête a repris ses quartiers dans les boîtes de nuit lovées en contrebas de la nouvelle corniche et au sous-sol de la Marina.