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samedi 27 juillet 2024
DébatsSa conscience de femme kabyle

Sa conscience de femme kabyle

Elle est née à Tizi, en haute Kabylie. C’est un bout de l’histoire de cette terre, la vie de ma mère. Car elle est comme toutes les femmes kabyles, ma mère…
Quand elle n’est pas bien, elle sait le cacher. Ne pas craquer. Ne pas pleurer. Ne pas s’énerver. Ne pas s’indigner. Elle passe sa vie à sourire, ma mère. A faire de l’endurance. Enfermer ses soucis. Nuancer ses propos et ses émotions. Cacher ses sentiments. On ne s’encombre pas de sentiments, chez nous. On lui demande des choses utiles, à la femme. Du travail, du silence et de la résistance. De la retenue aussi. Pour assurer des responsabilités et tenir à tous les coups. Les coups de la vie, les coups de la famille et plus tard, ceux de sa santé. Elle est forte, ma mère. C’est la coutume qui le dit. C’est la coutume qui le veut. Forte pour se laisser flétrir. Seule.
Comme toutes les femmes kabyles…
Souffrir avant de triompher, elle y croit dur, ma mère. « La récompense finit toujours par arriver » se convainc t-elle. Alors, elle cultive une formidable capacité à nier les évidences. A faire des provisions de patience. A nourrir d’illusions sa persévérance. Pour colorier son monde. Quand le pire devient immonde. Quand quelqu’un lui demande comment elle va, elle a toujours su répondre: « hamdoullah. » Parce que, ne pas avoir le moral, être en dépression, être mal, c’est pas permis chez nous. Pour la femme.
Le mal-être est une honte. C’est un échec. C’est un manque de fierté. Se laisser submerger est un manque d’éducation. La douleur morale est un tabou, chez nous. Pour la femme.
Et il y a comme ça, plein d’autres choses et d’autres raisons interdites à la femme, chez nous. Mais elle ne veut pas d’histoire, la femme. Parce qu’elle a un rôle important dans l’Histoire. La mémoire, c’est elle, qu’on lui dit. Elle, la gardienne des traditions. Des coutumes. Des mœurs et des modes de vie de la communauté. Obsédée par la norme, guidée par la morale, marquée par les conventions, elle ne doit rien renier du passé ou des sacrifices des ancêtres. Elle se doit d’assumer et perpétuer cet héritage qui l’avilie, qui la déprécie, qui l’empêche d’avancer…Au fil des ans, elle s’est résignée à porter le joug presque avec fierté.
Si elle sort, il a peur et il a mal au bide, son homme. Il faut qu’elle se fasse discrète, effacée presque muette. « Comment va t-elle se comporter?  » « A qui va t-elle parler ou plaire? » Il y a partout des malintentionnés. Et des collègues et des parents et des amis pour la surveiller. Pour la remarquer. Pour la critiquer. Pour s’interroger. L’homme n’oublie jamais ça. Et il n’est jamais tranquille. C’est plus fort que lui. Il a toujours peur que le ciel lui tombe sur la tête. Par sa femme. Par sa fille. Ou par sa sœur. Si elle travaille, surtout pas de métiers d’hommes ! Avec les mômes, oui. ça lui va bien  d’être enseignante, la femme. Chez nous.
Les hommes, eux, se couchent tard, se lèvent tard, bouffent du foot à la télé et tapent la conversation au café. A la maison, ils peuvent hurler et même cogner si ça peut les soulager. Ils aimeraient tous que la femme sache rester bien à sa place. Se taire et ne rien revendiquer. Elle a déjà un lave-linge et un aspirateur. C’est mieux que ses voisines. Quoi de plus comme tendresse? Il a des champs d’oliviers. Et il lui offre une deuxième famille. Pour la solidarité. On ne sait jamais ! Elle doit donc s’intégrer. Entrer dans les jeux. Deviner les trajectoires. Donner son amour. Et sa force. Et son temps.  C’est une richesse, les champs d’oliviers. C’est magique, la famille élargie. Les parents, les beaux-parents. Les frères, les beaux-frères. Elle ne s’ennuie jamais ! Honorer sans rechigner. S’incliner sans rouspéter. Créer l’osmose et la synergie dans sa nouvelle tribu, c’est son rôle aussi. Faire vivre la solidarité. La culture et l’identité. La baraka, elle vient des aïeux et il faut la mériter. Un mari, c’est jamais gratos. Chez nous.
Elle a tout bien, ma mère. Sauf qu’elle a fait sa vie en marge de la vie. Avec le silence. Sans doléance. Sans désespérance. Pour avoir trop pris l’habitude d’être femme. Comme toutes les femmes kabyles…
Katia BOU

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