Les vivants, décidément, ne savent plus quoi faire. Après six décennies à gesticuler entre pseudo-modernité et fausse souveraineté, ils se retrouvent une fois de plus dans l’impasse. Mais qu’à cela ne tienne ! Plutôt que d’inventer, d’oser ou même de simplement assumer leurs responsabilités, ils préfèrent convoquer les morts. Non pas pour leur rendre hommage, mais pour leur refiler la facture.
Dès que l’horizon s’obscurcit, on ressort les vieilles icônes, les discours d’antan et les reliques politiques. On invoque les figures du passé comme des talismans censés conjurer la crise, comme si ressusciter des slogans poussiéreux pouvait miraculeusement générer du progrès. Les morts deviennent alors les boucliers commodes d’un pouvoir à bout de souffle, d’une élite qui se débat pour maintenir un ordre qui n’a plus de raison d’être, si ce n’est pour elle-même.
L’histoire regorge d’exemples de ces invocations du passé pour masquer l’incapacité à construire l’avenir. En 1989, les régimes communistes d’Europe de l’Est s’effondraient sous le poids de leurs contradictions, après des décennies passées à instrumentaliser les figures révolutionnaires du passé pour justifier un autoritarisme stérile. En Afrique, combien de dirigeants continuent d’évoquer les luttes anticoloniales des années 1960 pour masquer leur propre immobilisme politique et économique ? Même en 2025, certaines nations, à l’image du Venezuela, continuent d’évoquer les figures de Bolívar et Chávez pour justifier des politiques qui plongent leur peuple dans la précarité.
L’économie chancelle ? Ce n’est pas une question de mauvaise gestion, c’est que nous avons oublié les principes de nos glorieux aïeux. L’État est gangrené par la corruption ? Rien de nouveau, et d’ailleurs, nos ancêtres aussi savaient y faire… La jeunesse est désabusée ? Elle devrait relire les discours d’hier plutôt que de rêver à demain.
Ainsi, pendant que d’autres nations réfléchissent, innovent et avancent, nous, nous débattons encore avec les fantômes. Nous continuons d’administrer du formol à un système en décomposition, espérant que la momification du pouvoir lui donnera un semblant d’éternité. Sauf que les morts, eux, ne gouvernent pas. Ce sont les vivants qui trichent, qui procrastinent, qui cherchent des excuses au lieu de prendre les choses en main.
À l’aube de 2025, les enjeux sont pourtant plus cruciaux que jamais. Les défis économiques, climatiques et technologiques exigent des réponses audacieuses. Pendant que certains pays investissent massivement dans l’intelligence artificielle, la transition énergétique ou encore la conquête spatiale, d’autres se réfugient dans une nostalgie paralysante. La Chine et les États-Unis redéfinissent l’ordre mondial tandis que l’Europe peine à affirmer sa place.
Pendant ce temps, des gouvernements s’accrochent encore à des mythes du passé pour justifier l’inaction.
Alors posons-nous la question : pourquoi refuser d’affronter le présent avec des idées nouvelles ? Pourquoi tant d’efforts pour déterrer ce qui est révolu au lieu de construire ce qui pourrait advenir ? Peut-être parce qu’il est plus facile d’idolâtrer hier que de répondre des échecs d’aujourd’hui. Peut-être parce qu’un système rentier préfère le recyclage de ses mythes à l’émergence d’une véritable alternative.
Mais une chose est sûre : un peuple qui passe son temps à convoquer les morts finit par enterrer son propre avenir. Et ça, aucun fantôme ne viendra le sauver.
L’avenir ne se construit pas en consultant des spectres ni en récitant des litanies sur un passé glorifié. À force d’invoquer les morts pour masquer nos propres échecs, nous finissons par ressembler à un peuple en deuil permanent, accroché à des illusions qui ne nourrissent ni les ventres ni les esprits. Le monde avance, implacable, pendant que certains préfèrent rester figés dans des commémorations sans lendemain. Mais à trop jouer avec les fantômes, on risque d’en devenir un soi-même.
« Quand un peuple préfère les nécrologies aux projets, il ne lui reste plus qu’à organiser ses propres funérailles. »
Dr A. Boumezrag