À quatre mois de l’élection présidentielle algérienne, une scène familière se rejoue : dix partis politiques se réunissent à Alger pour appeler à un « candidat de consensus ». Cette initiative, loin d’être une nouveauté, soulève des questions profondes sur l’état de la démocratie en Algérie.
Le communiqué issu de cette conférence ressemble étrangement à une liste de vœux pieux : « protection de la souveraineté décisionnelle », « renforcement de la stabilité institutionnelle », « consolidation de la démocratie participative ». Ces formules, aussi nobles soient-elles, sonnent creux dans un pays où le débat public est de plus en plus restreint. Comment parler de « démocratie participative » quand des journalistes comme Ihsane El Kadi croupissent en prison pour avoir osé exprimer une voix dissidente ?
Plus révélateur encore est le choix du lieu : le siège du Mouvement El-Bina. Ce parti, comme la plupart des autres participants tels que El Fadjr El Djadid ou le Front de l’Algérie nouvelle, est connu pour son alignement avec le pouvoir en place. Leur appel à un « candidat de consensus » ressemble moins à une initiative citoyenne qu’à une orchestration politique visant à légitimer un résultat prédéterminé.
Leur évaluation du mandat de Tebboune frôle l’hagiographie : il aurait « tenu tous ses engagements et promesses malgré les défis ». Cette affirmation contraste fortement avec la réalité vécue par de nombreux Algériens. La jeunesse, en particulier, fuit le pays par milliers, préférant les risques de la traversée maritime à un avenir qu’elle juge bouché. Est-ce là le signe d’une présidence qui a comblé les attentes ?
Les partis invoquent la pandémie de Covid et les fluctuations des marchés mondiaux comme excuses. Pourtant, d’autres nations confrontées aux mêmes défis ont su maintenir, voire renforcer, leurs libertés fondamentales. En Algérie, au contraire, on a vu une répression accrue, transformant la crise en opportunité pour museler toute critique.
L’appel à « laisser le temps nécessaire » pour « parachever la structuration nationale » est particulièrement révélateur. Il suggère que la démocratie est un luxe que l’Algérie ne peut pas encore se permettre, qu’il faut d’abord bâtir l’État avant de donner voix au peuple. Cette logique, héritée de l’ère post-coloniale, ignore que la participation citoyenne n’est pas un obstacle à la construction nationale, mais son fondement même.
Le concept de « candidat de consensus » est, en soi, problématique dans une démocratie moderne. Il sous-entend que les élites politiques peuvent et doivent choisir à la place du peuple. Cette approche paternaliste nie le principe même du suffrage universel : le droit de chaque citoyen à faire son propre choix, même s’il diverge de celui de l’establishment.
En réalité, ce « consensus » semble n’être qu’un écran de fumée. Derrière les mots grandiloquents se cache une tentative à peine voilée de pré-valider la candidature de Tebboune pour un second mandat. En louant ses « réalisations », ces partis ne font pas que l’appuyer ; ils découragent toute alternative sérieuse. Quelle figure politique oserait se dresser contre un candidat déjà adoubé par tant de formations ?
Cette manœuvre révèle la fragilité du système politique algérien. Un régime vraiment confiant dans son bilan et sa légitimité n’aurait pas besoin de telles mises en scène. Il accueillerait le débat, encouragerait la pluralité des candidatures, laissant aux électeurs le soin de juger.
Kamel AIDOUNE