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vendredi 26 juillet 2024
CultureL'État algérien face à la revendication berbère et à ses outils "éditions, médias..." (première partie)

L’État algérien face à la revendication berbère et à ses outils « éditions, médias… » (première partie)

Ce texte provient de la communication présentée au colloque « la question berbère après la colonisation. Amnésie, renaissance, soulèvements » qui s’est tenu les 19 et 20 mai 2015 à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Il diffère sur certains points de la présentation orale qui en a été faite, ainsi que de la version écrite, plus courte, destinée à la publication dans les Actes du colloque.

Ramdane Achab éditeur, enseignant

 

Introduction

De nos jours, la langue berbère est attestée sous forme d’un nombre relativement important de variétés régionales réparties sur une dizaine de pays, le Maroc et l’Algérie étant les plus importants sur les plans de la démographie et de la revendication identitaire. Aux communautés linguistiques des pays d’origine s’ajoutent celles des pays d’adoption. Sans être unique, la langue reste le marqueur le plus immédiat, le plus manifeste, le plus emblématique, mais aussi le plus fragile, le maillon faible de l’identité berbère, celui sur lequel pèsent et convergent toutes les menaces, de la plus anodine à la plus ultime.

La langue berbère s’est trouvée très tôt confrontée à la présence de grandes langues de civilisation et de pouvoir (punique, latin, grec, arabe, turc, français) qui ont exercé leur domination, voire leur monopole, dans les domaines « nobles » et les échanges formels de façon générale. L’impact le plus fort et le plus durable dans les domaines de la langue, de la culture, de la civilisation, de l’identité en général, est très certainement celui de la conquête arabo-musulmane, surtout à partir du 11ème siècle. Les avancées de la langue arabe lui ont permis de ravir la première place à la langue berbère, jusque dans les échanges informels. Le recul de la langue berbère est un phénomène historique qui se poursuit de nos jours.

Recul en termes de perte de territoires, de baisse de la démographie relative, de statut social, entermes d’une accentuation de la variation et de la fragmentation linguistiques, en termes de démantèlement des sociétés traditionnelles dans ce qu’elles avaient de plus essentiel, comme ce fut le cas, pendant la colonisation française (1830-1962), de la Kabylie dans le dernier tiers du 19ème siècle et du monde touareg au début du 20ème, à titre d’exemples, compromettant ainsi, sérieusement, les possibilités de régénération et de redéploiement, surtout que les Etats postindépendance, au lieu de s’atteler à la résorption des violences et des traumatismes hérités de l’histoire, se sont au contraire inscrits dans leur prolongement par la négation, la marginalisation, la répression, la réduction et la destruction de la dimension et des espaces berbères, langue, culture, histoire, civilisation et identité.

 

  1. L’État algérien

Bien avant le déclenchement en 1954 de la guerre d’indépendance, le mouvement national algérien était dominé par l’idéologie de l’arabo-islamisme qui n’envisageait et n’admettait pour l’Algérie future que la seule identité arabe et musulmane, à l’exclusion de la dimension identitaire berbère. L’identité de l’Algérie était déjà scellée pour l’essentiel bien avant le début de la guerre, ce qui ne signifie pas qu’il y eût unanimité ou consensus à son sujet, puisque la berbérité et la revendication de la berbérité étaient bien présentes dans la société bien sûr, mais aussi, quoique de façon minoritaire, dans les structures du mouvement national, au sein de l’Etoile Nord-Africaine dans les années 1920, au sein du PPA-MTLD vers la fin des années 1940, et pendant la guerre de 1954 à 1962.

L’Etat algérien est né dans la violence, la violence de la guerre bien sûr (1954-1962), mais aussi la violence des luttes claniques de pouvoir qui ont commencé plusieurs années avant l’indépendance : liquidation physique de concurrents potentiels, liquidation de « berbéristes » avant et pendant les années de guerre, liquidations en nombre de maquisards lors de purges internes, crise de l’été 1962 qui a culminé avec des affrontements meurtriers entre « l’armée des frontières » et les combattants de l’intérieur, installation d’un pouvoir autoritaire, répression violente de la révolte du FFS en 1963, coup d’Etat militaire en 1965, parti unique, omniprésence et omnipotence de la police politique, arrestations, emprisonnements, liquidations d’opposants politiques à l’intérieur du pays comme à l’extérieur, etc. En un mot, tous les attributs d’un régime de dictature, avec l’arabo- islamisme comme idéologie, l’adoption de l’Islam comme religion d’État (1976) et comme projet de société. Utilisant tous les leviers de l’État et portée par des forces politiques ascendantes, cette idéologie tentaculaire s’est très vite imposée dans des secteurs-clefs comme l’éducation, la justice, l’administration, l’armée, etc. La politique d’arabisation de l’enseignement par exemple, menée tambour-battant avec des moyens illimités, n’a pas consisté en une simple opération de substitution linguistique, le remplacement du français par l’arabe, elle a été l’occasion d’une redéfinition et d’une réorientation politique et idéologique des contenus : formatage politique et idéologique des élèves (et à travers eux, de la société), mise sous le boisseau de tout esprit critique et des matières « Subversives » (sciences humaines), etc. Un jeune élève algérien par exemple connaît « tout » du Prophète de l’Islam et de ses compagnons, mais il ignore tout de l’histoire de son village ou de sa ville, il est même loin de se douter que son village ou sa ville ont une histoire.

 

  1. La revendication identitaire berbère

De notre point de vue, la revendication identitaire berbère n’est pas réductible à des événements, des dates, des lieux, des personnes, une chronologie, un folklore, etc. Elle n’est pas réductible à une lecture de type racial ou ethnique (telle « race », telle « ethnie » contre telle autre), elle n’est pas réductible à une lecture de type essentialiste (les Berbères ont toujours été ceci ou cela), elle n’est pas non plus réductible à une lecture de type unanimiste (tous les Berbères sont ceci ou cela). Ces quelques définitions par la négative permettent de se prémunir contre un certain nombre de dérives dans l’analyse et l’interprétation des faits.

Nous entendons par revendication identitaire berbère le mouvement historique par lequel et dans lequel se sont exprimées, individuellement ou collectivement, à l’extérieur ou à l’intérieur de structures quelles qu’elles soient, l’une et/ou l’autre de ces attitudes :

  • l’attachement à l’identité berbère, déclinée sous un ou plusieurs de ses aspects : langue, culture, société, histoire, civilisation, etc. ;
  • la défense et la promotion de cette identité.

Ce cadre définitoire nous semble correspondre aux principales données du terrain. De notre point de vue, il exclut toute considération d’ordre « ethnique ». Il inclut au contraire la diversité des régions, des nations et des origines, la diversité des idéologies et des croyances.

Ce mouvement historique n’est uniforme ni dans le temps ni dans l’espace. Sur le plan politique et idéologique par exemple, toutes les tendances sont présentes et actives en son sein. Il a connu des périodes de continuité et de croissance, d’apogée même, mais aussi des périodes de doute, d’attente, de rupture, de régression et de déclin. C’est un mouvement multiforme et multipolaire qui est soumis aux lois de l’histoire, et non pas à de prétendues « lois du sang », de la génétique ou de la psychologie des peuples.

 

  1. L’État algérien face à la revendication berbère

La revendication identitaire berbère heurte de façon frontale et remet en cause de façon radicale les fondements mêmes de l’État algérien dans ce que celui-ci a de plus essentiel : son idéologie arabo-islamique, son monolithisme politique, culturel, linguistique, son autoritarisme, sa conception centralisée de l’État, etc. Elle avance les valeurs et les principes politiques de pluralisme linguistique, de démocratie, de libertés individuelles et collectives, de justice sociale, de décentralisation, etc.

Du côté de l’État algérien, deux attitudes assez nettement différenciées, correspondant à deux périodes distinctes, caractérisent son face-à-face avec la revendication identitaire berbère :

  • La négation et la répression jusqu’à la fin des années 1980 ;
  • Et, à partir des années 1990, une nouvelle stratégie qui, sans exclure ni la violence (2001) ni quelques concessions concrètes ou purement symboliques, s’attèle à un travail systématique de démantèlement qui touche non seulement le mouvement de revendication identitaire, mais la société dans son ensemble et particulièrement des bastions importants comme la Kabylie. Cette nouvelle stratégie est, nous semble-t-il, caractérisée par les trois principaux niveaux d’action suivants :
    1. Un niveau « macro » qui agit sur les grands paramètres de la société (les facteurs économiques par exemple) ;
    2. Un niveau « micro » de suivi et de traque sur le terrain avec comme objectif de réduire les différents obstacles et les différentes poches de résistance ;
    3. Un troisième niveau qui consiste :
  • à dévoyer la revendication identitaire par l’introduction en son sein d’un véritable cheval de Troie : le paradigme « ethnique » comme paradigme d’analyse et de perception des problèmes, identitaires ou autres. Les questions quelles qu’elles soient se résolvent alors, miraculeusement, dans ce paradigme, qu’elles relèvent de l’histoire, de la sociolinguistique, de la politique, de l’anthropologie, etc. « Nous les Kabyles, on est ceci ou cela, on est comme ceci ou comme cela… », c’est le sésame qu’on trouve en amont ou à la conclusion de bien des discours, de bien des explications, et qui se décline sous toutes les coutures, prose, poésie, chanson, etc., avec les imparables évidences et assurances du sens
  • à manipuler la même revendication identitaire, notamment en favorisant l’émergence d’acteurs et d’organisations capables d’assurer la promotion politique du même paradigme. Une manipulation qui peut rejoindre des aspirations de type nationaliste et qui peut rencontrer en écho le désespoir et l’impatience d’une partie de la

Ainsi dévoyée et manipulée, la revendication identitaire est détournée de ses objectifs ; elle devient disponible pour toutes sortes d’aventures et de marchandages, à l’échelle du pays pour servir au besoin de détonateur à une confrontation violente de type « interethnique », ou bien, à l’échelle de l’Afrique du Nord, pour défaire le tissu de solidarités avec les autres régions berbérophones afin d’affaiblir, sinon de neutraliser le mouvement dans son ensemble.

Il n’est pas inutile de rappeler ici que ce dévoiement et cette manipulation de la revendication identitaire se sont faits à l’occasion et à la faveur des événements de 2001 et l’assassinat resté impuni de près de 130 citoyens par les gendarmes en Kabylie. Après la phase ascendante du Mouvement citoyen qui a culminé avec l’imposante marche du 14 juin, le cours de ces événements a été détourné pour ne plus servir qu’à disqualifier la politique et le politique en général. Faire table rase du passé, neutraliser les acteurs politiques, les forces de médiation, nettoyer la Kabylie politique au kärcher, faire émerger de nouvelles forces, de nouveaux acteurs, de nouveaux « porte-paroles », de nouveaux « guides », de nouveaux « héros », installer la violence, l’émeute, la jacquerie, le vandalisme, les barricades et la fumée des pneus brûlés comme nouveaux codes du militantisme et nouveau mode de gouvernance : telle fut la mission historique, tel fut l’héritage des Arouchs, force aux relents fascisants fabriquée et gérée dans les cabinets secrets chargés d’élaborer et d’implanter des stratégies d’éradication des racines mêmes de la revendication et de la fronde.

Les événements de 2001 ne sont pas une réplique du printemps berbère de 1980, ils en sont non seulement la caricature mais la négation la plus absolue, tant au niveau des principes et des valeurs que dans celui du fonctionnement et des objectifs. Ils illustrent les capacités illimitées du régime en matière de manipulation de la société, la capacité de retourner la société contre elle- même. C’est dans le sillage de ces événements et dans une volonté de reconfiguration au forceps du paysage politique régional, que se sont profilées les premières expressions autonomistes (et aujourd’hui indépendantistes) et que sont apparus les tuteurs politiques autoproclamés de la région, chargés de tenir leur rôle dans la polarisation de la vie politique, et de travailler de l’intérieur à la réduction, à l’implosion et à l’effondrement de la revendication identitaire et de la contestation en général.

Dévoiement et manipulation n’excluent pas, cependant, l’existence intrinsèque et relativement ancienne, de positions berbéro-nationalistes, entrevues en termes d’autonomie, d’autodétermination, de régionalisation, de fédéralisme, etc., à l’échelle d’un pays comme l’Algérie ou à celle de l’Afrique du Nord toute entière. La première formation politique à s’être engagée formellement sur ce terrain est le FFS clandestin qui, vers la fin des années 1970, a avancé le concept de « démocratie décentralisatrice » ainsi que le triptyque « autonomie individuelle, autonomie locale et autonomie régionale ». Mais ces concepts ont été proposés par le FFS clandestin pour l’Algérie toute entière, alors que des formations plus récentes voguent sur le paradigme « ethnique » et se focalisent sur la seule Kabylie.

Dans la mise en application de cette stratégie de dévoiement-manipulation, à partir des années 1990, plusieurs leviers sont actionnés :

  • dégradation de la situation sociale, avec, notamment, un taux de chômage significativement élevé par rapport aux taux des autres régions du pays ;
  • politique de découragement des investisseurs : rejets arbitraires des dossiers, insécurité voulue et entretenue, enlèvements d’entrepreneurs et de membres de leurs familles, etc. ;
  • apparition rapide de maux sociaux à grande échelle : lieux de débauche, drogue, prostitution, avec la complicité des autorités ;
  • militarisation de toute la région, sous prétexte d’une insécurité volontairement entretenue ;
  • destruction ou neutralisation de tous les espaces où peut s’exprimer, s’organiser et se développer le lien social : structures traditionnelles, partis politiques, réseaux sociaux, etc. ;
  • offensive islamisante destinée, avec la complicité des autorités, à encadrer idéologiquement la population, à la dresser à l’obéissance et à la soumission, à la traumatiser par la remise en cause des rituels d’enterrement par exemple, tout en servant de véhicule et de force d’appoint à l’arabisation ;
  • stratégie de pollution et de brouillage des repères et des valeurs, de nivellement par le bas,
  • etc.
  • Ramdane Achab

    Deuxième partie

 

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