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vendredi 22 novembre 2024
ActualitéLe retour de l’enseignement scientifique en français est une nécessité

Le retour de l’enseignement scientifique en français est une nécessité

Malgré son adoption en Conseil de gouvernement et des ministres, le projet de loi cadre prévoyant le retour de l’enseignement des matières scientifiques et techniques en langue étrangère a provoqué une levée de boucliers du PJD et de l’Istiqlal lors de la tenue d’une commission parlementaire. L’occasion de solliciter un éminent chercheur qui du fait de son implication sur cette question dans une instance officielle a préféré rester anonyme. Selon lui, le retour de l’enseignement scientifique en français est une nécessité dans un monde globalisé où l’arabe et l’amazigh n’ont pas encore trouvé leur place.

 

Que faut-il penser du retour des langues étrangères, et plus particulièrement du français, dans l’enseignement des matières scientifiques et techniques qui ont été arabisées au collège et au lycée?

Une question d’actualité sachant que la discussion en commission parlementaire du 8 janvier dernier après l’adoption du projet de loi cadre en Conseil de gouvernement et des ministres a entraîné une opposition des députés du PJD et de l’Istiqlal qui y voient une menace contre les langues officielles du pays.

Un ardent partisan de cette réforme rappelle que le retour du français pour enseigner les mathématiques, la chimie et la physique ne concernera que le cycle primaire au lycée.

Précisons en effet que ces matières (et d’autres techniques) ont été arabisées progressivement jusqu’à arriver au baccalauréat mais qu’au cycle universitaire, elles sont enseignées en français.

Selon notre spécialiste des langues, l’expérience d’arabisation a été un échec car l’éducation nationale s’est contentée de traduire le contenu de ces matières sans effort sur la compréhension.

« Le conseil supérieur de l’enseignement et des experts internationaux qui ont fait son bilan ont conclu à un échec. Cela s’explique par le fait que le Maroc a simplement arabisé le verbe et pas le contenu scientifique. Il n’y a pas eu de pédagogie parce qu’il ne produit pas de science ».

« Si nous sommes capables de trouver l’équivalent de l’expression « une équation à 2 inconnues », nous avons été incapables de traduire en arabe le sens de cette abstraction.

« En fait, ce n’est pas un problème de traduction mais plutôt de conceptualisation car le vocabulaire adéquat n’existe pas.

« Ne pouvant analyser, théoriser et dégager des lois, nous sommes restés dans le langage et la rhétorique. Une langue qui ne produit pas science, de technologie, de concepts et donc d’idées se cantonne à faire de la traduction.

« On peut facilement traduire un mot mais pas les concepts des matières scientifiques.

« Au Maroc, le savoir scientifique n’est pas assez ancré pour le faire efficacement car on s’est contenté de développer des discours. Ce n’est pas dit en termes de réussite ou d’échec mais de constat », avance notre expert qui pense que l’acquisition du français est un atout dont le Maroc ne pourra pas faire l’économie.

Urgence de réintroduire la langue française pour enseigner les matières scientifiques

Sachant que le Maroc a hérité de deux siècles de travaux de recherche (ethnologie, archéologie, anthropologie, histoire …) effectuées en français, le pays a, selon notre interlocuteur, une chance qu’il doit capitaliser sur la base de ses documents d’archives, d’écrits, de patrimoine, témoignages …

« Cela nous facilite la tâche et donne une profondeur pour la recherche en termes d’arguments et pas de narration.

« C’est là où réside la différence car les bibliothèques de savoir dont nous avons hérité ne se constituent pas du jour au lendemain.

« Grâce à la passerelle française, le Maroc a hérité d’une culture immense complémentaire pour enrichir la sienne car il faut reconnaître que si le déclin arabe a commencé au Moyen-âge, le savoir a évolué ailleurs de manière remarquable ».

Selon lui, le Maroc qui n’a pas créé la révolution industrielle a profité de l’évolution technologique et scientifique avec le protectorat français qui a ramené la construction de ports, de ponts et chaussées, de chemins de fer, sciences, sidérurgie, métallurgie, scieries, système d’impôts ….

Si le Maroc a profité de l’apport des carthaginois, romains, andalous, arabo-musulmans, amazighs, cette somme n’est cependant pas un savoir scientifique mais plus plutôt théologique et culturel.

Sachant que la communauté marocaine expatriée la plus nombreuse est francophone et que ceux qui parlent le français s’expriment plus facilement dans d’autres langues, notre expert affirme que l’enfermement dans une seule langue pour des considérations identitaires est suicidaire.

« L’ouverture sur le français est d’autant plus importante que notre économie satellitaire est greffée sur celles de la France et de l’Europe.

« Cette ouverture qui date du début du 20ème siècle se fait à travers la France et en partie sur l’Espagne pour le nord et le sud du Maroc.

« Sachant que l’Espagne n’est plus une puissance, la France s’est imposée en devenant une des locomotives de l’Europe qui est le principal partenaire économique et commercial du Royaume.

« A partir de là, l’Hexagone est donc un véhicule et un instrument crucial pour que le Maroc puisse intégrer l’économie mondiale avec des partenaires et investisseurs francophones.

« Le retour de l’enseignement des matières scientifiques en langue française est donc logique en même temps que celui d’autres langues comme l’anglais.

« C’est d’ailleurs l’avis du conseil supérieur de l’enseignement qui affirme que la maîtrise des langues étrangères ne fait pas d’ombre aux langues officielles que sont l’arabe et l’amazigh.

« Le drame actuel de l’Education nationale au Maroc est d’avoir enseigné un arabe littéraire identitaire, ce que l’on risque d’ailleurs de reproduire avec l’amazigh.

« Ne pas s’ouvrir sur le français et demain sur l’anglais empêchera la société et l’économie marocaine d’avoir des instruments de travail et de participation à la mondialisation, à la recherche scientifique et à la transmission du savoir qui sont formidables.

« Si on n’enseigne pas en français aujourd’hui et en anglais demain, on ne pourra pas profiter de ces instruments pour s’insérer dans l’économie mondiale juste avec notre lexique arabe ou amazigh », avance, pessimiste, notre professeur et chercheur

Selon lui, il est, en effet, impossible d’enseigner les transferts de technologies (know-how), l’économie de la connaissance, les nanotechnologies, l’informatique, le numérique, l’industrie spatiale … sans les matières et les langues des pays où la recherche est la plus avancée.

Sans ce biais, le Maroc sera condamné à utiliser la traduction des traductions de la traduction et ne sortira donc pas de la narration.

Contrairement à ce qui est dit par les opposants, ce n’est pas la langue arabe qui est en question.

Le débat actuel serait ramené à des considérations identitaires sur l’arabe et l’amazigh alors que, selon lui, le Maroc n’est pas assez puissant pour concurrencer la France, les Etats-Unis et la Chine.

L’intelligence devrait donc dicter de rester soi-même en utilisant les atouts que les langues mondiales offrent.

« Certains veulent exclure le français au profit de l’anglais mais remplacer la langue de Molière par celle de Shakespeare réclamerait un siècle de travail.

« On ne doit pas faire la même bêtise que nous avons faite en arabisant car nous ne nous sommes pas préparés en formant des formateurs.

« Pour réussir, l’arabisation aurait dû commencer par le haut, c’est-à-dire avec la création de centres de recherches, la création de lexique et de dictionnaires, formation de traducteurs et de pédagogues.

Tout cela aurait pris trente ans au maximum et nous ne serions pas dans la situation actuelle car il ne suffit pas de connaitre le verbe, le sujet et le complément pour parler une langue », juge notre expert

Pas d’affrontement entre les langues arabe et française

Notre interlocuteur pense que les acteurs du débat confondent et confrontent les langues nationales et les langues étrangères alors qu’en France, en Belgique, certaines universités enseignent les nanotechnologies en anglais et ne font pas pour autant abstraction de leurs langues officielles.

La maîtrise d’une langue étrangère qui véhicule le savoir permet donc un raccourci « fantastique » pour accéder à la technologie et aux sciences. Selon lui, il ne faut pas confondre identité et science.

« La science est froide car elle n’a pas de patrie et pas de passeport.

« Sortons de ce complexe qui dit que ceux qui utilisent le français sont des colonisés car cette langue n’est plus celle du colonisateur, elle est plus prosaïquement internationale et donc utile pour avancer.

« Concernant le discours du chef du groupe parlementaire du PJD, qui avance que l’arabe peut véhiculer la science, c’est un positionnement purement politique qui se base sur un patrimoine idéologique de son parti à référentiel religieux.

« En fait, il exprime simplement une peur d’un retour d’une certaine forme de francophonie qui avait été traumatisante dans le passé.

« Il est vrai qu’à un certain moment de notre histoire, l’élite francophone a évincé les autres avec une certaine arrogance voire même du mépris.

« A cette époque pas lointaine, tout ce qui était francophone était considéré comme moderne, les Arabes des arriérés et les Amazigh préhistoriques.

« Pour faire court, il y avait les sauvages amazighs, les traditionnalistes arabes et les modernes francophones. Tout cela a laissé des traces avec un vrai traumatisme et une profonde rancune.

« Sachant que nous sommes en plein débat, il faut donc prouver au PJD que ses appréhensions du retour d’une espèce de suprématie sont infondées », propose le chercheur qui ajoute qu’il faut être convaincant.

Rejet identitaire contre considérations pratiques

 « Si nous avions arabisé progressivement et intelligemment, en restant ouverts sur le français et l’anglais, nous n’aurions pas sacrifié 3 générations de Marocains qui ne parlent correctement aucune langue y compris natale ou officielle.

« Au final, ce n’est pas un problème de langue mais plutôt d’esprit conquérant et pratique qui fait appel à l’initiative, à la pédagogie et à la méthode.

« Une langue est une fusée qui prospecte des univers à découvrir. La question de l’arabisation ne doit pas se faire contre les autres langues dans une logique d’opposition ou de confrontation.

« Moi contre le reste du monde ne permet pas d’avancer. Pour que le Maroc soit une économie émergente qui puisse jouer sur le terrain des grandes puissances, il faut utiliser les mêmes armes dans le domaine des sciences et du savoir et surtout pas dans celui du discours.

Aujourd’hui, c’est l’utilisation du français et de l’anglais qui est nécessaire mais demain ça sera celle du chinois. Ce problème ne s’est jamais posé aux Libanais qui sont au minimum trilingues.

Ils sont partout, à la Ligue arabe où ils s’expriment parfaitement en arabe, à la Banque mondiale où ils conversent en anglais et enfin à l’Unesco où ils passent allègrement à la langue française sans complexe. Leur force vient du fait qu’ils maîtrisent à la fois les langues et leur contenu », donne en exemple le professeur.

Mélange des genres

Pour lui, il faut arrêter de tomber dans le piège qui mélange la langue et la religion. Ainsi, l’arabe a des capacités magnifiques en poésie et en théologie, mais n’a pas encore pu devenir une langue de l’économie ou des sciences du fait que le Maroc ne produit pas de savoir scientifique.

Il cite en exemple inspirant l’Allemagne qui est devenue la patrie de la philosophie. Selon lui, c’est parce que la langue allemande a dès le départ pénétré la liturgie et la théologie. Le protestantisme est né comme une critique de la religion dominante puis l’esprit critique a fait le reste.

« Aujourd’hui au Maroc, vous trouvez des livres d’économie d’auteurs étrangers qui sont traduits par des littéraires arabes qui se contentent de traduire le verbe et pas l’essence ou les concepts.

« Un philosophe qui traduit un philosophe étranger, c’est parfait mais un littéraire qui traduit un mathématicien, c’est une catastrophe », dénonce notre expert en linguistique.

Concernant les déclarations du chef du groupe parlementaire de l’Istiqlal, qui attribuent l’échec du système d’éducation marocain à l’importation de systèmes étrangers, notre source le ramène, là aussi, à sa condition de politicien.

« Notre système d’arabisation a échoué parce qu’il n’était tout simplement pas préparé. Dans le débat actuel, chaque parti tente de mettre en avant son patrimoine teinté de discours idéologique.

« Sachant que comme disait Jacques Brel, « aucune idée même sincère ne mérite une guerre », le plus important est de garantir aux opposants de ce projet de loi cadre que l’arabe ne sera pas méprisé comme ça a pu être le cas dans le passé.

Tout comme l’Islam marocain est censé être celui du milieu, nous devons profiter de notre ouverture sur l’étranger à condition de garder notre personnalité.

« Quelqu’un comme Nizar Baraka est capable d’assumer cette situation et d’imposer que l’arabe ne devienne pas une langue au rabais », affirme optimiste notre interlocuteur qui n’exclut cependant pas l’influence négative de considérations électorales basées sur des idéologies rétrogrades.

A la question de savoir si le Maroc dispose de suffisamment de professeurs capables du jour au lendemain d’enseigner les matières scientifiques en français, il se veut affirmatif.

« Il y a des enseignants au rabais mais aussi des très bons éléments. L’essentiel est que ceux qui maîtrisent ces matières sont capables de les enseigner dans n’importe quelle langue.

S’il faudra former des formateurs, cela ne prendra pas beaucoup de temps car à la base, la plupart des enseignants ont été formés en français », conclut notre éminent chercheur qui se veut optimiste sur l’aboutissement rapide du projet de loi-cadre sur l’enseignement.

Par Samir El Ouardighi

Source : MEDIAS 24

 

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