La naissance compromise.
La Kabylie a été aux avants-postes de la revendication identitaire amazighe. Le printemps berbère de 1980 est et reste un repère et une date symbolique importante pour tous les imazignen du monde : du Maroc à la Tunisie, des îles Canaries à l’Oasis de Siwa en Égypte.
C’est dans cette lancée qu’un certain nombre de cinéastes en Algérie et au Maroc ont tenté l’aventure de la création d’un cinéma amazigh, un cinéma d’expression amazighe, réalisé par des Imazignen et décrivant une réalité amazighe sans exotisme.
En Algérie particulièrement en Kabylie d’abord, trois cinéastes ayant suivi de hautes études cinématographiques sont considérés comme les pionniers de cette aventure artistique et militante inédite. Il s’agit d’Abderrahmane Bouguermouh, de Bekacem Hadjadj et d’Azzedine Meddour.
La première tentative remonte aux premières années de l’indépendance (1965), Bouguermouh sur un texte de Malek Haddad réalise le premier moyen métrage en Kabyle sous le titre « Comme une âme ». Le film fut refusé par le ministère de tutelle exigeant du réalisateur d’Ouzellaguene une version en arabe. Devant le refus obstiné du réalisateur les négatifs et les positifs du film furent détruits de ce fait cette œuvre première ne sera jamais diffusée. Il faudra, alors, attendre 1996 pour voir la réalisation du premier film en kabyle qui naîtra dans la douleur.
Bouguermouh dépose le scénario de « La colline oubliée » dès 1968. Le scénario est une adaptation du livre éponyme de Mouloud Mammeri avec lequel le réalisateur kabyle était devenu ami. Dans la lettre d’intention accompagnant le dossier du film, Bouguermouh insiste sur l’obligation absolue de réaliser le film en kabyle, la commission de censure rejeta le projet sans aucune explication. Il a fallu attendre presque vingt ans (1989) pour que le réalisateur ait enfin l’autorisation de tourner son film en kabyle sous le titre « Tawrirt i swasun » la colline oubliée.
Le projet connaîtra une adhésion et un engouement populaire formidable. En effet, devant les difficultés financières, toute la Kabylie et la diaspora s’impliquent, il deviendra le film de toute la Kabylie. Il faudra sept longues années de péripéties, de souffrance et de militantisme pour que le film voie le jour en 1996, ce qui signera la naissance du cinéma kabyle. La même année verra aussi la réalisation du premier film de Belkacem Hadjadj « Machahu ». Historiquement le film de Hadjadj et le premier étant donné que le film fut achevé en 1995, mais « La colline oubliée » fut le premier film présenté au public.
En 1997, Azzedine Meddour réalise lui aussi son premier film en kabyle sous le titre « Adrar N Baya », » La montagne de Baya »».
Ces trois premiers films scellant la naissance du cinéma kabyle sont des films dits cinéma. Ils ont été réalisés selon les normes cinématographiques internationales et en 35 mm.
En 2007, un autre grand nom du cinéma kabyle réalise un téléfilm (format vidéo), Ali Mouzaoui, sous le titre « Mimezran ».
À ce jour, il n’existe que six films longs métrages kabyles répondants aux normes cinématographiques internationales.
- La colline oubliée. Abderrahmane Bouguermouh. 1996.
- Machahu. Belkacem Hadjadj.1996.
- La montagne de Baya. Azzedine Meddour.1997.
- Si Mohand U Mhand. L’insoumis. Rachid Benallal. Lyazid Khodja.2004
- Arezki l’indigène. Djamel Bendedouche. 2007
- Fadhma N soumeur. Belkacem Hadjadj. 2013.
Cette naissance qui a suscité énormément d’espoir est aujourd’hui compromise. En effet, notre cinéma stagne ou pire encore, il régresse, et cela pour plusieurs raisons à mon sens :
- La disparition de certains pionniers à l’image de Bouguermouh ou de Meddour a privé la nouvelle génération de profiter pleinement de leur expérience. Le flambeau n’a pas été transmis correctement faisant de notre cinéma un cinéma orphelin.
- Le manque flagrant de financements provoqué par le désengagement de l’État.
- Aucune politique de production cinématographique digne de ce nom et encore moins d’une véritable industrie cinématographique.
- Le manque d’intérêt des bailleurs de fonds, des industriels, des grands patrons ou tout autre acteur économique pour ce secteur artistique.
- L’absence de salles de cinéma. Cette carence aura des effets pervers sur cette activité, comme le formatage du public qui a perdu la culture des salles obscures ou le manque d’engouement des sponsors pour le manque de visibilité donc ils ne pourraient (les sponsors) intervenir que comme mécènes, culture quasi absente chez nos bailleurs de fonds.
- Manque de formation de qualité. En effet, la majorité de nos techniciens ou réalisateurs qui ont investi ce créneau n’a reçu aucune formation ou très peu dans leur domaine. Même si les dons existent, malheureusement cela ne suffit pas dans ces métiers de plus en plus techniques où le bricolage n’a plus sa place. Sans une formation de qualité, on n’arrivera jamais à une production de qualité. De ce fait, le milieu est infesté d’opportunistes qui ont vu dans ce créneau un moyen pour s’enrichir ou de profiter de certains pseudo avantages inavouables. Mais je pense que la décantation se fera inexorablement. Pour le moment, la majeure partie des productions est réalisée par des amateurs dont je fais partie.
- Les entraves des instances intervenant dans ce domaine. Il est clair que l’état ne veut pas ou tout au moins, ne souhaite pas l’émergence d’un cinéma kabyle de qualité. La médiocrité est encouragée (avantagée ?) à tous les niveaux. Le festival du film amazigh, lancé en 1999, avait suscité beaucoup d’espoir. Il avait permis aux réalisateurs de comparer leurs productions aux autres réalisateurs venant de divers horizons. Malheureusement, ce festival est devenu un modeste événement local diminuant ainsi son aura.
Malgré tous ces aléas, le cinéma kabyle a, encore une fois, servi de précurseur et d’élément provocateur pour le reste du cinéma amazigh.
Le cinéma amazigh
Le premier film chaoui verra le jour, en 2008 sous la réalisation d’Aomar Hakkar sous le titre « La maison jaune ».
Huit années séparent la naissance du premier film cinématographique kabyle du premier film amazigh marocain (Chleuh). En effet, c’est en 2005 qu’est produit le film « Tililla » secours en français du réalisateur marocain Mohamed Mernich, premier film réalisé selon les standards cinématographiques internationaux (35 mm).
Le cinéma amazigh marocain connaîtra ses premiers balbutiements en 1992 par la réalisation de films vidéo en tamazight avec les moyens du bord. Le premier film vidéo fut réalisé, en 1993 par Lahoucine Bizguaren sous le titre « Tamghart wurgh » « La femme d’or ».
Le Maroc organisera le festival du film amazigh à Casablanca en 2006. Ce festival est créé par l’Association marocaine pour la Recherche culturelle (AMREC), cette première rencontre verra aussi la participation des films kabyles qui y étaient à l’honneur.
Enfin, le cinéma kabyle à l’image du cinéma amazigh est naissant, beaucoup de jalons restent à poser. La matière existe, une bonne politique culturelle fera, sûrement, décoller ce secteur vital pour la préservation de notre culture et de notre personnalité. Notre image ne peut être transmise que par nos soins donc nous devons à tout prix la soigner.
Aït Iftene Hacène