Depuis son indépendance en 1962, l’Algérie a bâti une diplomatie fondée sur trois piliers : le non-alignement, la souveraineté nationale et un attachement aux principes du Sud global . Mais en 2025, le monde bascule à une vitesse vertigineuse : l’Europe s’affaiblit sous le choc de la réélection de Trump, la Russie et la Chine accélèrent leur expansion, et l’ordre mondial occidental vacille .
Dans ce contexte, quel rôle l’Algérie peut-elle jouer ? Comment naviguer entre ces nouvelles puissances et conserver sa souveraineté sans être absorbée dans un des blocs ?
L’Europe en déclin : un partenaire fragilisé mais encore utile
L’Algérie a historiquement entretenu une relation ambivalente avec l’Europe . D’un côté, l’Union européenne (UE) est son premier partenaire commercial (notamment avec l’Italie, la France et l’Espagne). Mais de l’autre, Alger a souvent énoncé l’ingérence européenne, les déséquilibres économiques et les politiques néocoloniales déguisées .
Pourquoi le déclin de l’Europe inquiète Alger ?
Moins d’investissements et d’échanges commerciaux : La crise économique qui frappe l’UE sous Trump II risque d’affaiblir les exportations algériennes (notamment le gaz).
Un Maghreb déstabilisé : Avec une Europe affaiblie et focalisée sur sa propre crise existentielle (OTAN en danger, montée des extrêmes-droites, divisions internes), la gestion des crises au Maghreb (Libye, Mali, tensions algéro-marocaines) pourrait être reléguée au second plan, laissant place à plus de chaos.
Moins de pression sur les droits de l’Homme : Un affaiblissement de l’UE signifie aussi moins d’ingérence occidentale dans la politique interne algérienne . L’Algérie pourrait en profiter pour renforcer son autorité sans crainte de sanctions.
Pourquoi Alger peut voir une opportunité ?
Un recentrage sur l’Afrique et le Moyen-Orient : Sans une Europe omniprésente, l’Algérie pourrait renforcer son influence en Afrique et dans le monde arabe en jouant un rôle de médiateur.
Une carte énergétique à jouer : Avec un affaiblissement des relations transatlantiques, les Européens auront encore plus besoin du gaz algérien comme alternative au gaz russe. Cela donne à Alger un levier majeur sur ses négociations.
Face à la Russie de Poutine : entre amitié et méfiance
L’Algérie et la Russie entretiennent des relations historiques solides, notamment sur le plan militaire . Alger reste le troisième plus gros acheteur d’armes russes après l’Inde et la Chine . Mais si Trump tourne le dos à l’Ukraine et laisse Moscou redessiner l’ordre mondial, Alger pourrait se retrouver à devoir choisir entre coopération et prudence .
Ce qui rapproche Alger de Moscou : une vision anti-ingérence et multipolaire : L’Algérie partage avec la Russie une volonté de contrer l’hégémonie occidentale et prône un monde multipolaire.
Une coopération militaire stratégique : Alger continue d’acheter des Sukhoï, des chars T-90 et de participer à des exercices conjoints avec l’armée russe.
n rapprochement diplomatique sur les conflits régionaux : Moscou et Alger ont des vues similaires sur la Libye, la Syrie et la lutte contre l’extrémisme au Sahel.
Ce qui inquiète Alger avec Moscou : une Russie trop envahissante ? Si Poutine continue son expansionnisme, Alger pourrait craindre une influence excessive de Moscou sur la région, notamment en Libye et au Sahel.
Les BRICS, une alliance à double tranchant ? L’Algérie a exprimé son intérêt à rejoindre les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Mais une extension du bloc sous domination russe et chinoise pourrait limiter l’indépendance diplomatique algérienne.
La Chine : une relation économique essentielle, mais jusqu’où ?
La Chine est aujourd’hui le premier fournisseur de l’Algérie , devant la France. Pékin investit massivement dans les infrastructures algériennes, notamment via ses entreprises publiques de construction.
Les atouts d’un rapprochement sino-algérien :
Des investissements massifs : Pékin finance des routes, des ports, des logements et des raffineries en Algérie.
Un soutien diplomatique discret mais efficace : La Chine ne critique pas la gouvernance algérienne et n’exerce pas de pression sur les droits de l’Homme, contrairement à l’UE.
Une alternative commerciale à l’Europe : En cas de crise avec l’UE, l’Algérie pourrait encore plus s’ouvrir au marché chinois.
L’endettement et l’influence chinoise : Pékin a l’habitude d’utiliser sa « diplomatie de la dette » pour accroître son influence. L’Algérie devra éviter de tomber dans ce piège.
Un déséquilibre commercial : L’Algérie importe massivement de Chine, mais exporte peu. Cela crée un déficit structurel préoccupant.
L’option d’un leadership africain et arabe renforcé
Face à ces bouleversements mondiaux, l’Algérie pourrait opter pour un recentrage sur son rôle régional :
Dans le monde arabe : Alger pourrait renforcer son rôle au sein de la Ligue arabe, en mettant en avant son statut de puissance stable et souveraine face aux crises (Libye, Palestine, tensions Maroc-Iran).
En Afrique : l’Algérie pourrait profiter du recul de l’influence européenne pour renforcer son rôle diplomatique dans l’Union Africaine et la région du Sahel, notamment face aux militaires putschistes du Mali et du Niger, qui recherchent des partenaires non-occidentaux.
Dans l’énergie : avec la demande croissante en gaz et pétrole, Alger peut se repositionner comme un acteur clé entre l’Europe, la Russie et la Chine .
Un pragmatisme nécessaire, mais jusqu’où ?
Face à un monde en mutation rapide , l’Algérie va devoir jongler entre plusieurs stratégies :
Profiter du déclin de l’Europe pour renforcer son autonomie diplomatique et économique. Rester proche de la Russie , sans tomber dans une dépendance militaire totale.
Accueillir les investissements chinois, sans sacrifier son indépendance. Éviter les turbulences du trio Trump-Poutine-Xi , tout en renforçant son influence africaine et arabe.
L’Algérie a toujours revendiqué un non-alignement pragmatique . Mais en 2025, le monde ne permet plus vraiment la neutralité .
Désormais, la question est simple : l’Algérie peut-elle rester spectatrice, ou devra-t-elle enfin jouer un rôle d’acteur clé sur la scène mondiale ? « Les nations n’ont pas d’amis, elles n’ont que des intérêts », disait Charles de Gaulle
Dr A. Boumezrag