Partis d’une situation atone avant le 22 février, nous vivons en ce moment une période où s’accélèrent des évènements cruciaux pour l’avenir de notre pays. Dans ce contexte, nous devons garder à l’esprit qu’il est essentiel de ne pas se précipiter et de se concentrer sur l’essentiel, afin de ne pas perdre de vue nos aspirations collectives. Aspirations légitimes, à commencer par la reprise de notre souveraineté. Celle-là même qui nous a été confisquée dès l’indépendance. Le retour de la souveraineté à qui de droit -le peuple- est le préalable fondamental qui permettra d’asseoir des institutions investies par la volonté populaire, prélude de l’instauration d’une véritable démocratie au sein du pays, et fondement de tout projet de refondation de l’Etat algérien.
L’état des revendications populaires a atteint un niveau de maturité, qui nous laisse très optimistes quant à l’issue de ce mouvement historique. Dans l’esprit de tout un chacun, il ne s’agit plus de refuser un cinquième mandat avilissant, de dénoncer les travers d’une caste dirigeante coupée de la réalité des algériens. Il s’agit bien de changer radicalement tout le régime pour l’édification d’un Etat de droit. Pour une justice indépendante. Pour le respect des libertés individuelles et collectives. Pour une justice sociale. Pour l’abolition des privilèges et du clientélisme.
Plus qu’un éveil, une révolution
Depuis quelques semaines, nous assistons à une réappropriation progressive de l’espace public et du terrain politique, longtemps confisqués par le régime dans sa stratégie d’atomisation et de clonage de la classe politique et de la société civile. Une nouvelle dynamique est en marche et elle se concrétise en une révolution de rue et d’esprit. Des assemblées générales se tiennent partout : dans les universités, dans les entreprises, dans les villages et les quartiers des villes. Des rencontres, des
conférences sont initiées sur tout le territoire national. Les Algériens veulent se parler, se concerter, échanger, se renseigner, comprendre, se projeter.
De cette effervescence émergera forcément une nouvelle organisation et une nouvelle classe politique. Au rebours de la dépolitisation généralement admise, on ne peut qu’être frappé, par la présence active de la jeune génération. Une nouvelle force politique serait-elle entrain de naître ? Il ne fait aucun doute que la jeunesse algérienne a fait preuve ces dernières semaines, d’une activité politique incomparablement plus intense que les générations passées, illustrée dans l’organisation des marches sur le terrain, l’ingéniosité des slogans, l’appropriation de la communication virale à travers les réseaux sociaux, ou encore la maturité des revendications.
Mais parler d’une nouvelle génération, d’une rupture avec des pratiques politiques ou politiciennes jugées dépassées, ne doit pas nous conduire pour autant, vers une coupure avec nos aînés. Bien au contraire, rien ne peut se faire sans l’expérience des anciens militants. La pratique dans l’encadrement, l’accompagnement, la transmission sont des conditions nécessaires pour faire passer le flambeau.
Nous devons donc assumer entièrement notre part dans l’écriture du récit national, et nous engager pleinement dans ce processus, avec tout ce que nous possédons comme moyens. Nos grands-parents ont libéré le pays, nos parents l’ont construit, il nous appartient aujourd’hui de le mettre sur les rails de la prospérité et de la démocratie.
Nous assistons aussi à une mobilisation sans précédent dans les corporations : magistrats, avocats, médecins, étudiants, et syndicats autonomes. Des voix dont le poids est indéniable dans le combat pour le recouvrement d’un Etat de droit. A côté de ça, il y a la classe politique dite d’opposition. Même contestée à des moments, elle revient de loin et essaie d’occuper un terrain perdu faute d’adhésion dans un passé récent. Les partis doivent retrouver leur principale mission qui est l’animation de la vie politique en incarnant les différents courants de pensées qui traversent la société.
De la conscience en acte
Nous devons plus que jamais sortir du calendrier imposé par le régime et contourner les pièges de ses manœuvres pour survivre à cette vague citoyenne. Nous n’avons guère à répondre à ses multiples provocations, dont le seul but est de maintenir un système qui a fait de l’Algérie sa vache à lait.
Mobilisation et vigilance sont de rigueur jusqu’à la chute inéluctable de ce régime. Car, le temps contrairement à ce que d’aucuns peuvent croire et/ou déclarer, joue en notre faveur. Le temps isole le régime et sème le doute chez ses clients les plus fidèles. Il nous permet de mieux nous concerter et de nous organiser pour surmonter les défis à venir.
A juste titre, les défis à venir sont importants. Ils nous imposent de la rigueur, de la concertation, de l’exemplarité, de l’intégrité et surtout l’implication de toutes et tous. Nous devons plus que jamais nous libérer des dissonances antérieures, dépasser nos rancunes, faire converger nos différences, laisser de côté nos postures politiques. Des sacrifices, peut-être, mais essentiels pour la consolidation de notre mouvement populaire et l’édification de l’Algérie que nous rêvons.
Le régime est à bout de souffle. Il n’a plus de plans de rechange, hormis de rentrer dans une guerre médiatique, psychologique et diplomatique. Guerre dans laquelle il joue ses dernières cartes, pour ne pas regretter de s’être livré trop tôt. Nous devons prendre conscience de cette situation, comprendre qu’il n’a absolument aucun intérêt à abandonner ses privilèges, et qu’il agit dans une logique de bande qui voit ses intérêts menacés. Nous devons comprendre également, que le régime qui gère le pays comme une propriété privée tire tous ses passes-droits du seul fait que nous lui avons cédé l’ensemble de nos droits.
Les prémices d’une reconquête
Cette révolution citoyenne a pour but ultime la reconquête de nos droits et de notre pays longtemps spolié par un régime mafieux. La chute de ce dernier est une condition sine qua none à toute sortie de crise.
“La chute du régime”, n’est pas une expression anodine, ou un slogan, mais un ensemble de signes visibles, et invisibles sans lesquels on ne peut parler d’une quelconque transition. La fin du régime est un processus dynamique composé d’un ensemble d’éléments concrets. Elle se fera en deux étapes que nous appelleront :
1- Abolition des signes visibles
2- Abolition des signes invisibles
Le régime ne sera considéré en hors d’état de nuire que lorsque ces deux étapes seront dépassées.
1) Abolition des signes visibles :
Les signes visibles sont l’ensemble des éléments qui constituent le décor dessinant la démocratie de façade. Un Président à l’apparence élu, mais en réalité désigné, des partis politiques, qui sont, pour la plupart des coquilles vides ou des structures inféodées. Une presse privée mais ligotée, par sa dépendance à la publicité de l’ANEP, un parlement qui sert de chambre d’enregistrement au lieu d’être le lieu où s’affirme la volonté populaire. En bref, un apparat qui ne sert qu’à légitimer le régime au niveau international.
La première étape de la disparition du régime doit donc passer par l’éviction de ces signes visibles, à savoir :
▪ Le départ de Bouteflika à la fin de son mandat avec ses plus proches conseillers
▪ La dissolution du parlement et de ses deux chambres ; l’assemblée populaire nationale et le sénat.
▪ Démission du gouvernement désigné par Bouteflika
▪ Garantir la préservation de la continuité de l’Etat et de l’ordre institutionnel, ce sont des acquis historiques déterminants pour la bonne conduite de la transition démocratique.
▪ L’ouverture du champs politique et médiatique, notamment par l’abrogation sans délais de toutes les lois liberticides, qui attentent aux libertés collectives (loi sur le code de l’information, loi sur les manifestations, loi sur les partis politiques, loi sur les associations, ..).
2) Abolition des signes invisibles :
Une fois débarrassés des signes visibles du régime, nous entrerons dans une période de transition formelle. Celle-ci ouvrira la voie à la deuxième phase qui est l’abolition de ses signes invisibles et des structures profondes qui détiennent le pouvoir réel. Ces structures se fédèrent autour du commandement militaire, qui joue le rôle de club informel ou les décisions capitales sont prises. Il est composé des militaires les plus influents, des civiles qui occupent des postes stratégiques, et depuis peu des oligarques, qui sont ces nouveaux riches apparus avec l’arrivée de Bouteflika et la manne pétrolière sans précédents qu’a connue le pays. Ce club de décideurs s’appuie sur la police politique qui forme le plus grand parti du pays, avec un très grand réseau clientéliste, des organisations satellites infiltrées et inféodées. Donc pour pouvoir parler de la fin du régime, il faut en finir définitivement avec ce réseau profond, c’est pourquoi il faut :
– Dissoudre la police politique, et rendre au service de renseignement sa mission originelle qui est celle de la sécurité de l’armée et du contre-espionnage.
– La dissolution du FLN, et la restitution du sigle, comme patrimoine national. Le FLN, nous appartient à tous, et l’ère de la légitimité historique est révolue.
– Dissolution de toutes les organisation satellites du régime inféodées à la police politique (UGTA, UNFA, UNEA…) et laisser le champ libre à la création d’associations et à l’activité des syndicats librement constitués.
– La consécration d’un état civil passe par la nomination d’un ministre de la défense civil, elle marquera la naissance d’un état civil et politique, dans lequel l’armée reprendra son rôle naturel qui est celui de nous protéger et défendre nos frontières.
Une fois ces conditions concrétisées, on pourra alors parler de la fin du régime autoritaire et on entrera formellement et de fait dans une période de transition. Période dans laquelle les grands chantiers d’édification d’un Etat de droit s’ouvriront. Nous estimons que tant que le régime est encore en place, cette transition reste hypothétique, il n’est donc pas le moment de dérouler les propositions d’une feuille de route sur le terrain, ou de désigner ou coopter des personnalités quelle que soit leur intégrité et leur patriotisme, car personne ne peut à lui seul détenir la clé.
Ensemble, maintenons la mobilisation !
Nous avons la profonde conviction, que la force de ce mouvement réside dans sa cohésion, son homogénéité et dans le fait qu’il revendique fièrement l’unité nationale. Nous devons par conséquent, tout faire pour préserver cette unité, tant que les garanties ci-dessus ne sont pas satisfaites.
Nous avons pu voir ces derniers jours comment il est dangereux d’avancer des noms, ou des propositions empreintes de contenu idéologique. Le pouvoir en place attend la moindre brèche à exploiter pour nous diviser. Nous proposons ci-dessous plusieurs pistes pour maintenir la mobilisation :
– Coordonner les efforts sur les réseaux sociaux pour faire émerger un discours politique prônant l’unité et la cohésion nationales.
– Interpeller les personnalités nationales les plus influentes (artistes, intellectuels, scientifiques, …) pour rappeler sans cesse l’intérêt vital à rester soudés et à dépasser les clivages idéologiques, pour couper l’herbe sous les pieds aux tentatives du régime à réinstaller des polarisations idéologiques.
– Faire la promotion de toutes les initiatives positives et les relayer massivement – Participer au renforcement des structures intermédiaires (syndicats autonomes, associations,
collectifs, ..)
– Réfléchir à des solutions pour l’organisation d’une consultation, en vue de désigner le prochain gouvernement de transition.
– Diffusion de contenu audiovisuel pédagogique explicatif des différentes étapes à venir.
– Fixer une date commune pour une journée nationale de grève générale (Par exemple, une grève perlée, une fois par semaine, pour maintenir la dynamique sans pour autant pénaliser le citoyen).
– Occuper l’espace public en organisant des réunions publiques, des conférences débats – Occuper le champ artistique en multipliant les initiatives, clips, chansons, pièces théâtrales.
– Ouvrir des ateliers publics pour détailler et mettre en place un plan et une stratégie pour chacune des propositions ci-haut.
Nous avons la profonde conviction, que la mobilisation en cours, n’a plus rien d’un simple mouvement populaire, ou d’une insurrection circonstancielle. Il s’agit bien d’une révolution pacifique ayant entraîné une émulation sociale et politique sans précédent dans l’histoire de l’Algérie indépendante. Ceci augure de meilleurs lendemains et un avenir à la hauteur de nos espérances pour l’Algérie et tous ses enfants. Restons mobilisés !
Premiers signataires, par ordre alphabétiques des noms
Takfarinas AKRACHE, citoyen
Ali Benbekkou, militant politique
Lydia BENKAIDALI , Chercheuse CNRS
Ali BOUCHERKA, Enseignant
Tinhinen BOUHADDI, citoyenne
Selma DJEBAR, journaliste
Hocine GASMI, journaliste
Ouheb HAMIDI, citoyen
Adel KHALED, étudiant
Idris KHALED, citoyen
Asma LABOUDI, citoyenne
Khoudir LAGGOUNE, citoyen
Radia MANSOURI, citoyenne
Thiziri MAMMES , militante politique
Asma MECHAKRA, chercheuse universitaire.
Nassim NABET, citoyen
Samir Ouanzar, citoyen
Aissa RAHMOUNE, Avocat
Nadjah ROULA, militante
Fateh TITOUCHE, ingénieur en Informatique
Anis SAIDOUNE, citoyen