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jeudi 21 novembre 2024
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Hirak : La solidarité des codétenues m’a sauvée (Témoignage)

Dans l’ouvrage « Dissidences populaires, regards croisés », Yasmine Si Hadj Mohand, militante du Hirak, livre un témoignage saisissant. Ingénieure de retour d’expatriation, elle relate son arrestation brutale à Alger en février 2020 alors qu’elle s’apprêtait à marcher, les conditions inhumaines de sa détention provisoire, et sa condamnation à 3 mois avec sursis. Cette expérience a renforcé son engagement malgré la répression visant aussi la diaspora.

Le vendredi 21 février 2020, j’ai été arrêtée à Alger, ma ville natale. Auparavant, je dois préciser que j’ai grandi en France où j’ai étudié jusqu’à l’obtention de mon diplôme d’ingénieur. Par la suite, j’ai vécu en Australie pendant quatre années. Il était rare que j’aille passer des vacances en Algérie.

Mais l’émergence du Hirak, ce mouvement révolutionnaire pacifique, le 22 février 2019, m’avait réconciliée avec ma citoyenneté́ algérienne. De fait, la fréquence de mes voyages en Algérie et en particulier à destination d’Alger, avait pour le moins augmenté́. Je tenais à participer aux grandioses marches du vendredi.

Après un très long voyage à travers le monde, je reviens en France et je travaille dans le domaine du tourisme pour occuper le poste de gérante d’un établissement d’hébergement touristique avant de devenir entrepreneur. Mon retour en France coïncidait à quelques mois près avec le début du Hirak.

Mon arrestation le vendredi 21 février 2020 au centre- ville d’Alger a eu lieu à̀ la veille du premier anniversaire du Hirak, un événement qui me tenait particulièrement à̀ cœur et que je ne voulais absolument pas rater.

Malheureusement j’en été privée et c’est au commissariat que je l’ai passé. Mon arrestation surprise, sauvage et spectaculaire a été menée par des agents en civil le vendredi matin aux alentours de 10h du matin lorsque je m’apprêtais à̀ aller prendre un café́ en ville.

Avant mon arrestation, je marchais dans la rue, enthousiaste par la perspective de l’événement de la journée. J’étais insouciante et surtout inconsciente de la gravité de la répression si bien que j’ai utilisé mon téléphone pour passer des appels vidéo tout en marchant dans des rues où un impressionnant dispositif de police, avait été déployé en vue de la grande marche qui s’annonçait.

Mon arrestation a été brutale. Un agent en civil m’a arraché le téléphone des mains en invoquant comme motif : l’utilisation de mon téléphone dans le but de filmer la police.

Avant de me faire monter à bord du 4X4 de la police, un agent s’est adressé à moi. Il me demande : « Es-tu Kabyle ? »

Je réponds spontanément et avec ferveur : « Oui, je suis Kabyle et algérienne et j’en suis très fière ». J’ignorais alors complètement le but et l’arrière-pensée de cette question.

En quelques minutes, je me retrouve en garde à vue. C’était cauchemardesque. J’étais privée de mon droit d’appel. Ces procédés psychologiquement choquants et intimidants, avaient pour but de me faire avouer des faits infondés, ridiculement démesurés si ce n’est leur gravité, comme une collaboration avec l’étranger. Je m’étais demandé si c’était un canular ou une caméra cachée ou tout simplement un cauchemar. C’était à peine incroyable !

Après la garde à vue, des agents ont « perquisitionné » mon smartphone. J’ai été présentée devant le procureur et jugée dans le cadre de la procédure de la comparution immédiate.

Après cette longue et pénible garde à vue avec de longues heures d’interrogatoire orienté sur le thème extrêmement grave de l’espionnage et de la collaboration avec l’étranger, l’accusation retenue contre moi était uniquement « l’incitation à̀ attroupement non armé ».

Je me disais que tout cela n’avait accouché que d’une souris. Cette accusation, selon eux, s’appuie sur une de mes publications sur twitter datant de quelques mois auparavant et dans laquelle, je proposais avec une pointe d’humour, une manifestation de sept jours sept nuits pour fêter le premier anniversaire du Hirak, telle la fameuse et légendaire tradition festive algéroise « sept jours et sept nuits » qui a pour but la célébration prolongée du premier anniversaire, d’un heureux événement, connue, chez nous, sous le nom de «Sebaa yem ou sebaa lyali ».

Un mandat de dépôt a été́ prononcé à mon encontre à l’issue de la comparution immédiate sans qu’aucun membre de ma famille ou ami ne soit mis au courant. Cependant un avocat bienveillant présent dans la salle ce jour-là̀, avait pris la peine d’alerter le comité́ des avocats du Hirak. C’est avec le concours de cet avocat, que mes parents ont été́ alertés. Ils ont pris l’avion pour Alger.

Des conditions de détention inhumaines

Les conditions de détention dans les geôles du pouvoir sont inhumaines. Les repas sont difficilement comestibles. On les prend à même le sol, au pied du lit. Il n’y a ni réfectoire ni tables. Tout a lieu dans la même salle où une cinquantaine de femmes avec des accusations diverses sont détenues.

C’est grâce à la solidarité de mes codétenues, notamment les premiers jours avant l’arrivée de mes parents, que j’ai réussi à me nourrir et à me vêtir.

Mon lit était situé à côté des WC, avec des canalisations explosées qui me laissaient jour et nuit, vivre dans une odeur nauséabonde, rendant ainsi mes repas encore plus indigestes, et mon sommeil davantage perturbé…

Une détenue m’a offert un savon parfumé à mon arrivée, je l’ai accroché près de mon nez à l’aide d’une écharpe. C’est en respirant ce savon que je tentais de trouver le sommeil.

Les lumières restent allumées toute la nuit empêchant ainsi tout sommeil. Les corvées bihebdomadaires nous obligent à transporter des marmites de nourriture qui pèsent plus de 100kg. C’est une charge quasi impossible à soulever. Quand mon tour de corvée arrivait, là encore, je pouvais compter sur la solidarité de mes codétenues. Pour ce qui est de l’hygiène, seule une douche par semaine est autorisée.

Le jour de mon audience, j’apprends à travers les différentes plaidoiries des avocats que mon emprisonnement n’était pas légal, car la détention provisoire n’est pas applicable dans le cadre du délit dont j’ai été ́ accusée, à savoir « l’incitation à attroupement non armé ».

J’ai finalement été́ libérée avec une condamnation de 3 mois de prison avec sursis, avec confirmation de la peine au procès d’appel du procureur en mon absence. Un procès donc qui reste ouvert.

Après ma libération et mon retour en France, l’esprit de lutte pour une Algérie libre s’est renforcé́. Cela m’a encouragée à prendre part aux très nombreuses manifestations et marches qui ont lieu autour de l’Algérie.

Nous avons observé ces dernières années une interdiction du « Hirak parisien » notamment quelques arrêtés préfectoraux non justifiés de certaines marches et rassemblements.

Il est à noter également que le confinement relatif aux conditions sanitaires liées au Covid, a fortement contribué à l’essoufflement du mouvement que connaît le « Hirak parisien » et la diaspora en général.

De plus les poursuites judiciaires algériennes à l’encontre des militants du Hirak de la diaspora se sont nettement multipliées, provoquant ainsi le retrait de plusieurs militants qui souhaitent se rendre en Algérie sans être inquiétés, voire emprisonnés.

Cependant, j’ai l’intime conviction que cet essoufflement que connaît le Hirak en Algérie ou à l’étranger, n’est que temporaire. L’esprit de libération est maintenant ancré en chacun de nous.

Bien que le nombre de manifestants ait fortement diminué, la résistance de certains militants toujours présents sur le terrain, maintient plus que jamais la flamme allumée.

Je reste convaincue que le Hirak reprendra de plus belle grâce à un travail sur un projet politique commun, et une organisation et coordination du mouvement à l’intérieur du pays avec le soutien de la diaspora.

Yasmine Si Hadj Mohand

Militante du Hirak

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