Ah, la France et l’Algérie ! Soixante-trois ans après leur séparation officielle, ils continuent de se tourner autour, s’adorant en secret, se haïssant en public. Une relation à la fois fusionnelle et toxique, entre déclarations enflammées et disputes interminables. Ce n’est plus une histoire d’amour, c’est un mauvais feuilleton qu’on regarde en boucle, avec toujours les mêmes dialogues : « Tu me dois des excuses ! », « Et toi, un peu de gratitude ! »
L’Algérie a arraché son indépendance en 1962, mais le cordon ombilical n’a jamais été complètement coupé. Paris et Alger jouent à « je t’aime, moi non plus » avec une constance remarquable. La guerre d’Algérie est officiellement terminée, mais elle continue de nourrir les discours, les polémiques, et surtout, les intérêts.
Côté algérien, la mémoire coloniale est un outil politique en or. Le régime utilise le souvenir de la guerre comme un bouclier pour masquer les dysfonctionnements internes : corruption, chômage, restrictions des libertés… Plutôt que d’expliquer pourquoi des milliers de jeunes veulent fuir le pays chaque année, mieux vaut désigner un coupable extérieur : la France et son « néo-colonialisme ». Et puis, demander sans cesse la repentance évite d’avoir à se repentir soi-même sur d’autres sujets sensibles.
Mais voilà le paradoxe : on fustige la France en journée, on rêve d’un visa pour elle la nuit. Car pendant que les officiels dénoncent « l’héritage colonial », des milliers de jeunes Algériens cherchent par tous les moyens à obtenir un passeport pour venir étudier, travailler, ou simplement tenter leur chance de l’autre côté de la Méditerranée. Un rejet théâtralisé d’un côté, une fascination assumée de l’autre.
Côté français, la repentance est une équation politique compliquée. Trop d’excuses, et on risque d’ouvrir la porte aux revendications (juridiques, financières, migratoires). Pas assez d’excuses, et on alimente l’hostilité d’Alger et d’une partie de la communauté franco-algérienne. Alors, on fait semblant de faire des gestes : un rapport, une commémoration, une visite officielle… De la diplomatie du symbole, jamais suivie d’actes concrets.
Mais là aussi, l’hypocrisie est à son comble : on critique Alger à grands coups de micro, mais on signe des contrats de gaz de l’autre main. On réduit les visas pour « envoyer un message », mais on déroule le tapis rouge quand il s’agit de garantir l’approvisionnement énergétique ou de préserver les marchés pour les entreprises françaises. Autrement dit, les grandes déclarations patriotiques devant les caméras, les poignées de main discrètes en coulisses.
Pourtant, derrière ces postures théâtrales, la France et l’Algérie savent qu’elles ont besoin l’une de l’autre. Ce qui les lie aujourd’hui, ce n’est plus l’Histoire, mais le business. Et sur ce terrain, tout le monde met ses beaux principes de côté.
Le gaz algérien, surtout depuis la crise énergétique européenne, est une manne précieuse pour la France, qui cherche à diversifier ses approvisionnements après la guerre en Ukraine. En 2022, Alger est devenu un partenaire stratégique pour l’Europe, forçant Paris à faire profil bas malgré les tensions.
Les visas, enjeu hautement inflammable. D’un côté, la France veut limiter l’immigration et utilise la politique des visas comme moyen de pression. De l’autre, l’Algérie, qui joue sur la double identité de sa diaspora, réclame plus de facilités pour ses ressortissants. Résultat ? Des bras de fer diplomatiques à répétition, suivis d’arrangements discrets.
Les contrats en tout, qui rappellent que même quand on se dispute en public, on sait très bien faire des affaires en coulisses. La France vend des armes, des avions, du matériel médical… et l’Algérie achète, tout en dénonçant « l’impérialisme français » dans ses discours officiels.
Le problème de la relation franco-algérienne, c’est qu’elle est piégée entre un passé qu’on refuse d’assumer totalement et un avenir qu’on peine à construire. Pendant que les gouvernements entretiennent un dialogue de sourds, la nouvelle génération, elle, regarde ailleurs.
Les jeunes Algériens rêvent de France pour leurs études, leur avenir professionnel, parfois même pour fuir un régime autoritaire. Mais ils ne se sentent pas prisonniers du passé colonial. Leur réalité, c’est le manque de perspectives, pas la bataille de Sétif.
Les jeunes Français, eux, ne connaissent l’Algérie que par le foot, la musique et les récits familiaux. La guerre, ils l’ont étudiée en cours d’histoire, mais elle ne définit pas leur identité. Ils n’ont pas de « nostalgie de l’Algérie française », ni de comptes à régler avec les anciens colons ou révolutionnaires.
Alors, pourquoi continuer cette pièce de théâtre absurde ? Parce que ni Paris ni Alger ne veulent dire la vérité : la France et l’Algérie ne sont pas des ennemies, mais elles ne seront jamais totalement réconciliées non plus. Trop d’histoire, trop de blessures, trop de cynisme.
Au fond, la relation franco-algérienne est un vieux couple qui ne sait ni se quitter ni se retrouver. On se fait la guerre sur la mémoire, mais on s’arrange sur les affaires. On se méprise dans les discours, mais on se serre la main dans les négociations.
Mais l’illusion ne tiendra pas éternellement. Car comme le dit si bien l’adage :
« L’Histoire est un boomerang : elle finit toujours par revenir frapper ceux qui tentent de l’oublier. »
Rendez-vous au prochain épisode de ce feuilleton sans fin.
Dr A. Boumezrag