Mercredi 18 octobre, le Bureau de l’Assemblée populaire nationale (ANP) a constaté « la vacance de poste » de son président, Saïd Bouhadja. Fatiha Benabbou, constitutionnaliste, chercheuse et professeure de droit à l’université d’Alger, revient sur cette crise sans précédent depuis l’avènement du multipartisme en 1989.
Premier pas vers la destitution formelle de Saïd Bouhadja ? La commission juridique de l’Assemblée, saisie par le Bureau (un organe composé du président et de huit vice-présidents), a confirmé ce jeudi « la vacance de poste » du 3e personnage de l’État. Sauf énième retournement de situation, une élection aura lieu la semaine prochaine pour désigner le nouveau chef de l’APN.
Depuis le 27 septembre dernier, des députés de la majorité présidentielle (FLN, RND, TAJ et MPA) ont gelé leurs activités dans l’hémicycle et exigent le départ de Saïd Bouhadja. Dénonçant un acte anticonstitutionnel, ce dernier refuse d’abdiquer, répétant qu’il ne partira que si le président Bouteflika le lui demande.
Jeune Afrique : Le Bureau de l’Assemblée nationale a constaté, hier lors d’une réunion extraordinaire, la « vacance de poste » de son président. Cette décision a-t-elle un fondement légal ?
Fatiha Benabbou : Personne n’a besoin d’une formation de juriste pour y répondre. Évidemment que cette décision est inconstitutionnelle, puisque le statut du président de l’APN est reconnu par la loi fondamentale. Il y a une disposition expresse qui dit que son mandat est de cinq ans.
Saïd Bouhadja ne peut-il donc pas être révoqué ?
Non, impossible. Sinon ce serait une décision inconstitutionnelle. L’ancien président du Conseil de la nation (chambre haute du parlement algérien), Bachir Boumaza, avait bien été poussé à la porte en 2001, mais sa situation n’était pas la même. À l’époque, on avait pu jouer sur deux dispositions constitutionnelles contradictoires.
D’un côté, l’article 114 alinéa 1 de l’ancienne Constitution, qui stipulait que le président de la seconde chambre est élu pour une période de trois ans. De l’autre, il y avait une disposition transitoire, en l’occurrence l’article 181, qui disait clairement que le premier président du Conseil de la nation allait disposer d’un mandat de six ans. En droit, la disposition spéciale déroge à la disposition générale. Dans ce cas, l’article 181 dérogeait à l’article 114. Il y avait un doute, et on a joué sur ça pour évincer Bachir Boumaza.
Dans le cas du président de l’Assemblée, le Bureau a évoqué l’article 10 du règlement intérieur, selon lequel la vacance du pouvoir peut être prononcée en cas de décès, de démission, d’incompatibilité ou d’incapacité du président. Comment peut-on constater une incompatibilité ou une incapacité ?
L’incapacité, c’est l’état dans lequel se trouve une personne qui est incapable de se déplacer, qui se trouve dans un état de léthargie ou encore de paralysie grave. Il lui est donc physiquement impossible d’exercer ses fonctions. Ce n’est pas un bureau qui constate cette incapacité, mais des médecins assermentés.
Quid de l’incompatibilité ?
La loi organique de janvier 2012 codifie cette incompatibilité, qui se prononce juste après l’élection de l’Assemblée. On va demander au député de choisir entre son nouveau statut d’élu et la ou les fonctions antérieures qu’il occupait avec son élection. Ainsi, un parlementaire ne peut à la fois exercer son mandat d’élu et occuper des fonctions dans le privé ou au sein des institutions, administrations publiques et collectivités territoriales, en qualité de membre de leurs organes ou structures sociales.
La fonction d’un député est de défendre l’intérêt général, et non l’intérêt spécifique d’une corporation ou d’un secteur. Il y a des fonctions pour lesquelles il n’y a pas d’incompatibilité, comme par exemple enseignant ou chercheur, qui permettent de cumuler les deux statuts. C’est ce qu’on appelle le non-cumul des fonctions – totalement différent d’une incompatibilité d’humeur entre telle ou telle majorité politique. Par conséquent, dans le cas du président de l’Assemblée nationale, on ne peut évoquer ni l’incapacité ni l’incompatibilité.
Mardi 16 octobre, des députés de la majorité ont empêché Saïd Bouhadja de rejoindre l’hémicycle, qui a été fermé avec un cadenas. Les contestataires ont également évacué et changé les serrures de ses bureaux du cinquième étage. Est-ce une manière de précipiter cette vacance de poste ? Les actions de ces députés sont-elles légales ?
On ne peut pas créer une vacance de poste en empêchant le président de se rendre à ses bureaux. N’était-ce l’immunité parlementaire qui protège les députés, et qui englobe aussi l’enceinte du Parlement, nous serions devant une voie de fait.
Je ne comprends pas comment le président de l’Assemblée nationale, qui a toutes les forces de sécurité à l’intérieur du bâtiment sous sa responsabilité, ne les a pas fait intervenir. Il aurait pu leur dire : « Dégagez-moi tous ces gens-là ! », et faire enlever les cadenas.
Certes, les députés sont juridiquement protégés par l’immunité parlementaire, mais est-ce légal de cadenasser le portail d’une institution et de changer les serrures du bureau du président ?
Oui, sauf si on considère que nous sommes face à un flagrant délit. Si on arrive à démontrer le flagrant délit, l’immunité parlementaire tombe d’elle-même. Mais c’est au président de l’APN de le démontrer. Nul n’a le droit de pénétrer dans l’enceinte parlementaire sans l’autorisation du président, qui a sous son commandement les forces de sécurité. La loi lui donne le droit d’intervenir pour répondre à ces actions. Il est en droit de leur donner l’ordre de sécuriser le lieu et d’enlever les cadenas.
Que le président de l’Assemblée peut-il faire aujourd’hui pour invalider la décision du bureau de l’APN ?
Il ne peut pas annuler cette décision, car c’est un acte parlementaire et non administratif, donc ne peut pas être porté devant la justice. Les actes parlementaires ne sont pas susceptibles d’être portés devant le conseil d’État.
Selon vous, quelle peut être la suite de ce bras de fer entre les deux parties ?
Les adversaires du président de l’Assemblée nationale ont été très mal conseillés, car ils ont commis un coup de force qui ternit l’image de cette institution et de l’Algérie. C’est un rapport de forces politique qui ne peut être réglé que par une solution constitutionnelle. Si le droit ne peut rien, il donne une solution au président de la république de dissoudre l’Assemblée sans conditions. C’est une solution démocratique qui met l’Algérie à l’aise devant l’opinion publique nationale et internationale.
Tandis que là, nous sommes dans un coup de force qui peut faire plonger le pays dans une situation d’incertitude. Le droit, s’il n’est pas respecté par les personnes mêmes qui sont censés le mettre en œuvre, peut donner lieu à toutes les dérives. Quand ceux qui votent les textes ne les respectent pas, le citoyen peut se rebeller contre l’ordre et la loi.
Source : jeuneafrique.com