Journalistes, artistes, footballeurs, depuis quelques mois, de nombreuses personnalités sont arrêtées, mises en détention provisoire, jugées, libérées ou non. Le 25 décembre, un journaliste a été condamné à un an de prison ferme pour «attroupement».
Le 25 décembre, la justice algérienne a condamné à un an de prison ferme un journaliste algérien reconnu coupable d’«attroupement». Adlene Mellah, rédacteur des sites d’information Algérie Direct et Dzair Presse, a été arrêté le 9 décembre dans la capitale algérienne lors d’une manifestation de soutien au chanteur Reda City 16, lui-même en détention depuis octobre.
Ce jour-là, présent comme des dizaines de personnes devant le théâtre national, Adlène Mellah a été arrêté et accusé «d’attroupement», d’«incitation à un attroupement non armé», d’«outrage à fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions» et de «rébellion». «Adlène savait qu’ils lui en voulaient», assure un de ses proches, Saïd Boudour, journaliste et militant des droits de l’homme.
Lors d’une audience qualifiée de «surréaliste» par les nombreux journalistes présents le 18 décembre, plusieurs dizaines d’avocats s’étaient déplacés de nombreuses régions du pays pour défendre le journaliste. La trentaine d’avocats qui le représentent ont quitté la salle d’audience car la juge du tribunal, «n’a pas cessé de les interrompre durant les plaidoiries», selon Noureddine Benissad, l’un des avocats.
Le procureur avait requis trois ans de prison ferme mais le délit d’«outrage» n’a pas été retenu par le tribunal lors de l’énoncé du verdict. Adlène Mellah a fait appel de la condamnation mais reste derrière les barreaux en attendant le nouveau délibéré. Il a depuis entamé une grève de la faim et son état de santé est préoccupant, selon le Huffpost Maghreb.
«Je suis choqué de voir des citoyens algériens accusés d’attroupement non autorisé en 2018 alors que le droit de manifester est garanti par la Constitution», a déploré Noureddine Benissad.
Adlène Mellah devra également comparaître le 7 février dans le cadre d’une autre affaire dans laquelle il est accusé de «chantage», «atteinte à la vie privée» et «diffamation», selon ses avocats. Avec ses co-accusés (le journaliste comparait avec le photographe Abdelaziz Laadjel et l’artiste Adbdelhafid Nekrouche), Adlène Mellah est l’objet d’une plainte déposée par Anis Rahmani, patron d’Ennahar, groupe médiatique privé algérien et proche de certains cercles du pouvoir, Abdelkader Zoukh, wali (préfet) d’Alger, et Abderrahmane Benhamadi, PDG du conglomérat algérien d’électronique et électroménager Condor.
Toutes les manifestations sont interdites dans la capitale algérienne depuis 2001, officiellement pour des raisons sécuritaires, ce que déplore le mouvement d’opposition Mouwatana qui tente régulièrement de manifester à Alger.
«Une situation de fin de règne»
Le cas d’Adlène Mellah est loin d’être isolé. Ces derniers mois se sont enchaînées de manière inquiétante des interpellations aux allures arbitraires et des procès expéditifs visant des journalistes, des artistes, des sportifs et des anonymes.
Ces événements ont lieu alors que les élections présidentielles en Algérie se tiendront en avril 2019. Malgré une annonce officielle, la candidature d’Abdelaziz Bouteflika, qui briguerait un cinquième mandat, demeure incertaine.
Mustapha Benfodil, journaliste et écrivain algérien, considère que le pays est «dans une situation de fin de règne, où l’Etat est en déliquescence». Selon lui, il y a en Algérie une opacité du pouvoir et des affaires assez inquiétante. «Comment Anis Rahmani qui est le patron d’un média, peut avoir autant de pouvoir sur les procureurs et l’appareil judiciaire ?», s’interroge le journaliste.
L’argument, souvent invoqué par les cercles proches du pouvoir, de l’importance de la stabilité du pays ne semble pas convaincre Mustapha Benfodil. «Ceux qui font planer la crainte de voir se reproduire chez nous le scénario libyen ou le scénario syrien n’ont pas l’air d’avoir l’Algérie comme priorité. Ils ont tout simplement peur pour leur business», dénonce-t-il, pointant des procédés qui font sombrer le pays dans le «chaos».
Les journalistes opposants dans le viseur ?
Le 19 décembre, Abdelkrim Zeghilèche, directeur d’une webradio basée à Constantine, dans l’est du pays, et également coordinateur du mouvement d’opposition Mouwatana, a été remis en liberté conditionnelle après avoir été maintenu en détention provisoire près de deux mois, poursuivi entre autres pour «outrage à fonctionnaire». Il est surtout accusé d’«offense au président de la République» pour des publications partagées sur Facebook, selon Abdelghani Badi, son avocat interrogé par l’AFP et qui affirme : «C’est une affaire politique, on lui reproche ses activités politiques». Il encourt jusqu’à cinq ans de prison.
Le 8 novembre, les journalistes Abdou Semmar et Merouane Boudiab, du site Algérie Part ont été libérés après deux semaines d’emprisonnement. Arrêtés le 23 octobre, ils étaient accusés de «menaces, insultes et atteinte à la vie privée». Le procureur avait requis une peine d’une année de prison ferme assortie d’une amende de 200 000 dinars. Les plaignants dans cette affaire sont encore une fois le wali (préfet) d’Alger Abdelkader Zoukh et le directeur d’Ennahar TV, Anis Rahmani.
Depuis, Merouane Boudiab a quitté le pays et s’est réfugié en France, disant ne plus se sentir en sécurité en Algérie. «Nous sommes victimes d’une lutte de clans au sommet du pouvoir», a déclaré Abdou Semmar à l’antenne de Radio M, webradio algérienne.
Saïd Chitour, journaliste et fixeur de la presse anglo-saxonne en Algérie, a été remis en liberté le 11 novembre, après plus de 16 mois de détention. Il était détenu préventivement pour une accusation «d’intelligence avec partie étrangère» que le tribunal n’a finalement pas retenue. Il avait été accusé d’avoir remis des documents confidentiels à des diplomates étrangers «dans le but de nuire à la sûreté nationale».
Les multiples affaires visant des journalistes ne correspondent pas, c’est peu de le dire, au discours officiel des autorités algériennes. En effet, le 22 octobre, à l’occasion de la journée nationale de la presse, le président algérien Abdelaziz Bouteflika avait rappelé aux journalistes qu’ils étaient sous la protection de l’Etat et de la loi, les exhortant donc à «souligner les insuffisances existant à travers [leur] vaste pays ou les dérives enregistrées ici et là», qualifiant de «précieuse» leur contribution au «redressement de la situation et au renforcement de l’Etat de droit».
En mai, à l’occasion de la journée internationale de la liberté de la presse, le président algérien avait déjà exhorté les journalistes à «jouer un rôle de contrôle et de gardien vigilant pour relever toutes les insuffisances affectant nos affaires publiques».
L’affaire de «Kamel le boucher»
Saïd Boudour, journaliste, notamment pour Algérie Part, membre du syndicat des éditeurs de la presse électronique SAEPE, et militant des droits de l’homme, a été arrêté à Oran début juin et libéré à Alger trois jours plus tard. Il a raconté à RT France comment il avait été, selon ses propres mots, «enlevé».
Le 1er juin, en sortant d’une réunion de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADDH) à Oran, Saïd Boudour était attendu selon lui par 20 à 25 agents de la sécurité civile qui l’ont embarqué «d’une manière brutale», d’abord vers la sûreté de la wilaya (préfecture) d’Oran, puis transféré vers Alger. «J’ai fait 450 kilomètres menotté, on ne m’a rien expliqué», assure-t-il. «On m’a juste dit : « Quand tu arriveras à Alger, tu sauras »», poursuit-il. «Le véhicule dans lequel j’ai été emmené jusqu’à Alger roulait à 180km/h. On a fait un accident à mi-chemin. Heureusement, l’airbag s’est déclenché et personne n’a été blessé», rapporte-t-il encore.
Le journaliste et militant a ensuite passé trois jours à Alger dans les bureaux de la lutte contre la cybercriminalité. Là, il affirme avoir été interrogé «jour et nuit» sur toutes les questions sur lesquelles il travaillait, et notamment sur une affaire de cocaïne. La saisie, le 29 mai, de 701 kilogrammes de cocaïne à bord d’un bateau dans le port de la ville d’Oran, censé transporter de la viande rouge importée du Brésil pour le compte de Kamel Chikhi, surnommé «Kamel le boucher» avait en effet déclenché des limogeages en série en Algérie. Dans cette affaire, des dizaines de fonctionnaires et des magistrats ont été mis en cause jusqu’au limogeage, le 26 juin, du chef de la police, Abdelghani Hamel, et à l’inculpation le 14 octobre devant le tribunal militaire de cinq ex-généraux. Dans cette affaire, «des noms étaient cachés», selon Saïd Boudour. «On m’a demandé mes sources», raconte-t-il.
Les policiers l’auraient également interrogé au sujet de la couverture des questions migratoires. Des ONG reprochent régulièrement à l’Algérie de mal traiter les migrants subsahariens expulsés. «On m’a accusé de salir l’image de l’Algérie à l’échelle internationale et on m’a demandé si j’avais des relations avec des pays étrangers et certaines personnalités», confie Saïd Boudour. 14 avocats se sont portés bénévoles pour défendre le journaliste et militant lorsqu’ils ont eu vent de son arrestation. Il a finalement été libéré le 3 juin et nommé comme témoin dans cette affaire qui est toujours chez le juge d’instruction depuis sept mois.
Anis Rahmani VS Amir DZ
Outre les journalistes, Fodil Dob, un ancien footballeur de Ligue 1, des acteurs dont le très populaire Kamel Bouakaz, et le rappeur Mister AB sont passés par la case prison sans que le motif de leur incarcération ne soit clarifié. Toutes ces personnalités ont en commun d’avoir contrarié le puissant Anis Rahmani, PDG d’Ennahar. Ce magnat des médias leur reproche de soutenir, voire d’être les sources d’information, d’Amir DZ, un blogueur très influent sur les réseaux sociaux. Réfugié en Europe, la page Facebook de ce dernier, avant d’être supprimée récemment, réunissait plus de 2,5 millions d’abonnés. Dans la plupart de ses publications, Amir DZ accusait Anis Rahmani d’être un traître à son pays, et révélait de nombreuses informations qui, visiblement, dérangeaient ce dernier. «Toute personne susceptible d’être en lien avec le blogueur est jetée en prison» sur dénonciation d’Anis Rahmani aux forces de l’ordre, laissait entendre Bouzid Ichalalène, rédacteur en chef du média en ligne algérien Inter-lignes, interviewé par L’Obs.
Le 15 décembre, Abdou Semmar, Merouane Boudiab, Mister AB, Kamel Bouakaz et Fodil Dob ont signé une déclaration commune dans laquelle ils annoncent se constituer en collectif pour entamer une procédure judiciaire contre la chaîne Ennahar.
Les signataires de la déclaration accusent Ennahar TV de les avoir dépeints «comme des criminels dangereux composant un réseau mafieux» et violant ainsi leur présomption d’innocence. Des allégations qu’ils estiment «fausses», car «toutes ces personnalités ont été libérées par la justice car les délits pour lesquels elles ont été poursuivies sont mineurs et ne justifient nullement leur incarcération».
Il y a tout juste deux ans, le 11 décembre 2016, le journaliste Mohamed Tamalt était décédé en détention, au terme d’une longue grève de la faim, consécutive à son arrestation en juin de la même année pour offense au président Bouteflika.
Un climat tendu avait aussi régné à la veille de l’élection présidentielle de 2014. Un mouvement nommé Barakat («ça suffit», en français) s’était alors mobilisé pour empêcher un quatrième mandat de Bouteflika. La police avait procédé à des interpellations répétées de citoyens ayant pris part aux rassemblements de ce mouvement.
Meriem Laribi
Source : RT France