La France s’en est tenue à une réaction laconique après la disparition du journaliste saoudien en Turquie.
« On ne peut rien dire, mais l’Arabie ne se comporterait pas avec nous comme avec le Canada. » Le diplomate auteur de cette confidence tente d’expliquer pourquoi la France, contrairement à Ottawa, garde le silence face aux atteintes aux droits de l’homme en Arabie saoudite. Une discrétion qui se confirme à propos de la disparition, depuis une semaine, au consulat saoudien d’Istanbul, du célèbre journaliste dissident Jamal Khashoggi.
La France « est préoccupée […], nous souhaitons que sa situation soit éclaircie le plus rapidement possible », a réagi, six jours après les faits, le Quai d’Orsay, dans un communiqué laconique. Contrairement au Département d’État américain, elle ne réclame aucune « enquête approfondie et indépendante ».
En août déjà, le silence français après l’expulsion d’Arabie de l’ambassadeur du Canada avait été assourdissant. Pas un mot de solidarité avec Ottawa, dont l’ambassade à Riyad s’était déclarée dans des tweets « gravement préoccupée » par une vague d’arrestations de militants des droits de l’homme. Le Canada avait alors appelé « à les libérer immédiatement ». « Inacceptable […] que les mots “libération immédiate” figurent dans le communiqué », avait alors réagi le ministère saoudien des Affaires étrangères. Riyad avait également gelé ses relations commerciales avec le Canada. À bon entendeur salut ! « Riyad ne nous traiterait pas ainsi », voulait alors croire le diplomate français.
Pourtant, quelques semaines plus tôt, un incident avait éclaté entre Paris et Riyad. Christian Testot, ambassadeur de France au Yémen relocalisé à Riyad pour cause de guerre civile, avait alors dû attendre plusieurs jours à Djibouti un avion pour Sanaa, dont Riyad lui refusait l’accès. L’Arabie ne voulait pas que l’émissaire français se rende au Yémen auprès des miliciens houthistes, alliés de l’Iran, que Riyad affronte chez son voisin. «L’affaire a secoué la relation», se souvient un observateur. Mais, malgré ce couac, nul durcissement de ton. En public, du moins.
En choisissant, dès 2015, de relocaliser à Riyad son ambassadeur au Yémen, la France s’est lié les mains, s’agissant d’un conflit dans lequel elle est alliée de l’Arabie et des Émirats contre les houthistes. Un choix que n’a pas fait l’Allemagne, par exemple, qui suit le Yémen depuis la Jordanie. Mais, dans le conflit yéménite, Paris a besoin de Riyad pour lui vendre des munitions et de l’imagerie satellitaire montrant les positions houthistes que les aviations saoudienne et émirienne bombardent ensuite. Pour organiser sa conférence humanitaire sur le Yémen, fin juin, Emmanuel Macron dut se rallier au prince héritier saoudien, Mohammed
Ben Salman (MBS), qui exigeait que les miliciens chiites proiraniens n’y soient pas invités. Ce qui, ajouté à l’offensive concomitante des Émirats sur le port d’Hodeïda, tua la conférence dans l’œuf. Si l’épisode canadien a marqué les esprits, c’est parce que l’Arabie profita de sa brouille avec Ottawa pour marteler sa nouvelle doctrine. Des critiques trop marquées entraîneront désormais l’annulation des contrats. Et les menaces saoudiennes portent : même l’Allemagne, qui avait osé aller au clash avec Riyad, a dû en rabattre.
Quant à l’Espagne, qui avait critiqué l’Arabie, elle a aussi dû battre en retraite. En jeu : deux milliards de dollars de contrats.
Position prudente
Riyad a étendu la règle au Bahreïn et aux Émirats, ses alliés du Golfe, qui représentent d’autres marchés pour les Occidentaux. Paris faillit en être victime. Le 22 juin, un émissaire bahreïnien est venu discrètement au Quai d’Orsay délivrer un message de fermeté. Trois semaines auparavant, Cécile Longé, ambassadrice de France à Manama, avait exaspéré le roi du Bahreïn par ses tweets appelant à défendre l’opposant Nabil Rajab, emprisonné à Manama. Furieux, le monarque annula sa visite à Paris, qui devait intervenir quelques jours après. « Le facteur politique a toujours été un élément important dans la signature des contrats par l’Arabie avec ses partenaires occidentaux, mais sous MBS, cet élément est quasi déterminant», constate un industriel, familier de Riyad. Dès lors, comment critiquer ces monarchies sans ruiner tout espoir de contrats ? « En faisant passer les critiques lors des tête-à-tête entre chefs d’État, et pas sur la place publique », préconise l’industriel. C’est la position prudente d’Emmanuel Macron, qui affirmait pourtant durant sa campagne électorale qu’il serait « sans complaisance avec l’Arabie saoudite et le Qatar». « Je n’ai jamais fait partie du chœur des convertis à MBS, je ne vais pas l’encenser, mais je ne vais pas le plomber », s’est-il expliqué récemment devant des ONG. Lors de son premier entretien en décembre avec MBS, Macron lui avait pourtant tenu tête lorsque le prince saoudien lui avait déclaré que « si jamais les entreprises françaises allaient faire des affaires en Iran, elles ne seraient pas les bienvenues en Arabie ». « On ne parle pas ainsi au président de la République », avait rétorqué Macron. Depuis, la realpolitik s’est imposée : Paris et Riyad convergent dans la lutte contre « l’expansionnisme » iranien au Moyen-Orient. Une réunion s’est tenue la semaine dernière à l’Élysée sur le partenariat stratégique avec l’Arabie. Emmanuel Macron prévoit d’y aller l’année prochaine. Sollicité, l’Élysée n’a pas répondu à notre demande.
GEORGES MALBRUNOT
Source : LE FIGARO